Dieppe, ville d’art et d’histoire

Dieppe, ville d’art et d’histoire
Dieppe, ville d’art et d’histoire

Située à l’embouchure de l’Arques, dans une faille de la grande falaise d’Albâtre, Dieppe est surnommée la « ville aux quatre ports ». Ferries, conchylicoles, vraquiers et plaisanciers se partagent en toute fluidité les installations nautiques et portuaires, récemment dotées d’un étonnant port sec dans un ancien carénage. Avec cette animation perpétuelle, Dieppe n’a pas le charme tamisé des petites sous-préfectures endormies, surtout quand le ton monte. Située au cœur du centre historique, la marina compte 410 places à flot sur pontons dans le bassin d’Ango. Depuis 2019, il est titulaire du label « Qualité Plaisance 5 étoiles ». C’est le cas lorsque se mobilisent les opposants au futur parc offshore qui érigera 62 éoliennes au large de Dieppe et du Tréport. Situé à 16 kilomètres du rivage, il faudra compter sur un ciel dégagé pour les immortaliser sur votre smartphone ! Le parc éolien, qui entrera en service en 2024, devrait fournir de l’électricité à 850 000 personnes.

Dieppe a connu un nouvel accès de fièvre entre 2011 et 2016. Cette fois, il ne s’agissait pas de préserver la virginité de l’horizon, mais de sauver l’ancien pont Colbert. Depuis la fin du XIXème siècle, cette ancienne carcasse métallique enjambe le canal qui mène aux nouveaux bassins commerciaux. Pour moderniser les installations, notamment la machinerie hydraulique, le syndicat mixte portuaire a eu la malheureuse idée de vouloir remplacer cette dentelle de fer par un pont flambant neuf. Les Dieppois sont rassemblés autour de Pascal Stéfani, président du Comité de sauvegarde du pont Colbert. Ils ont rallié à leur cause les artistes locaux et même la mairie. De l’autre côté du pont, au comptoir du bistrot C’est mieux ici qu’en face, on parle encore de cette mobilisation pour sauver l’emblème du quartier du Pollet, le cœur populaire de Dieppe, enfin classé monument historique.

Si Dieppe possède un caractère bien trempé ainsi qu’une personnalité attachante, c’est sans doute parce qu’elle repose sur la dualité. D’un côté, une population ouvrière et sa mairie communiste quasi indestructible. De l’autre, une bourgeoisie commerciale qui prospère grâce aux activités du port. Dieppe flirte même avec la crème de l’aristocratie. À partir de 1824, la duchesse de Berry profite chaque été des vertus thérapeutiques de la natation, entraînant dans son sillage toute une vie mondaine. Après quelques saisons, la mode des bains de mer est lancée en France. Et cinquante ans plus tard, la côte normande se couvre d’un chapelet de stations balnéaires. Fenêtre sur la Manche, Dieppe était à l’époque le point de passage obligé entre Londres et Paris. Le train arrive en 1848 et, en 1874, la ligne est prolongée jusqu’au terminal des vapeurs du quai Henri-IV.

Avec à peine 30 000 habitants, Dieppe joue aujourd’hui un rôle modeste sur la scène normande. Cela n’a pas toujours été le cas. « La ville, déjà importante au Moyen Âge, a connu son apogée civilisationnelle à la Renaissance », rappelle Pierre Ickowicz, conservateur au musée de Dieppe, en faisant référence aux aventuriers et aux grands marins. En 1523, mandaté par l’armateur Jean Ango, Verrazano appareille de Dieppe pour explorer les côtes américaines dans l’espoir de trouver une route vers le Pacifique et l’Asie. L’année suivante, il atteint l’embouchure de l’Hudson et découvre la baie de New York. En réalité, la réputation de Dieppe est déjà établie depuis le XIIIe siècle. A cette époque, le monde arabe contrôlait une grande partie de l’économie occidentale avec des marchandises venant d’Afrique et d’Orient. Or, sur les cartes arabes, seuls deux ports apparaissent en Normandie : Dieppe et Rouen ! Au XVIIe siècle, Dieppe participe à la colonisation de la Nouvelle-France. Ses convois de colons rejoignent ceux partant de La Rochelle dans l’estuaire du Saint-Laurent. Ensemble, ils remontent la rivière le plus loin possible. Dieppe est au cœur d’une stratégie coloniale organisée qui profite à son développement. « Le travail de l’ivoire, la montée du protestantisme, les grands officiers de marine comme Duquesne, les artisans et intellectuels, les hydrographes… Toute cette dynamique fit de Dieppe une place forte de l’économie normande à une époque où Le Havre venait à peine d’être créé (1517). La puissance maritime, l’expérience, la tradition du voyage sont à Dieppe et à Rouen. Et le port en haute mer, c’est Dieppe. »

Louis XIV considérait Dieppe comme un port hautement stratégique. C’est ce qui provoquera sa chute. Frapper Dieppe, c’est frapper le royaume. En 1694, les navires de la Ligue d’Augsbourg lancèrent des bombes incendiaires sur la ville portuaire. Construite en colombages en bois, elle a brûlé à 80 %. Seule l’île Pollet s’en est sortie. Il ne reste que les grands monuments de pierre. Les églises Saint-Denis et Saint-Jacques, les remparts médiévaux disparus au XIXème siècle et le château qui symbolise la fin du Moyen Âge. Aujourd’hui, il ne reste que très peu de maisons à colombages, dont la maison Miffant. La ville portuaire est rayée de la carte mais, pour le Roi Soleil, elle reste un lieu vital. Vauban a mandaté l’architecte Ventabren pour sa reconstruction. Plusieurs projets sont proposés, dont un plan orthogonal qui reçoit l’opposition de la municipalité. Les habitants souhaitent conserver les alignements de façades et l’usage des caves qui ont été conservés. Finalement, l’ancien cadre est repris avec quelques alignements. « En termes d’urbanisme et d’écriture architecturale, le style Ventabren est immédiatement reconnaissable, avec l’utilisation de briques blondes et chatoyantes », souligne Bertrand Edimo, guide-conférencier. Cette brique fabriquée à partir des boues sableuses de l’estuaire est un marqueur de la reconstruction qui s’est déroulée sur une trentaine d’années. Une brique tendre et friable, mais moins chère que la brique rouge orangé de Varengeville. L’autre marqueur de l’architecture dieppoise, c’est cette ligne d’arcades sur le port pour abriter l’activité économique, et ces façades bien écrites. Ventabren imagine des arcades aveugles avec des demi-niveaux conçus comme des mezzanines de rangement. Un principe constructif toujours désapprouvé par les riverains ! Si les façades ont été conservées, l’organisation intérieure a été chamboulée pour rehausser les plafonds. Avec ses grandes lanternes, la rue du Bœuf, par exemple, témoigne de cette écriture harmonieuse, indique Pierre Ickowicz. « La hauteur des bâtiments est proportionnelle à la largeur de la rue pour former un carré parfait, les arcades se complètent bien. On comprend ici le principe de ce que serait la ville si l’on n’avait pas rompu sa régularité en y ajoutant des colombages et des façades 1900. »

 
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