dans les campagnes, des citoyens se mobilisent contre le RN

Sur l’herbe détrempée, ils sont une centaine de personnes dans les jardins du Presbytère de Guipel, au nord de Rennes, à braver la bruine du mercredi 19 juin. Sous les tonnelles, ont été disposées des tables d’école sur lesquelles sont étalées des rangées de pain grillé et saucisses. Un robinet de bière a été installé. « C’est gratuit, mais il n’y en aura qu’un par personne », prévient la cervoise. Ensuite, ce sera vers le bar. »

L’ambiance « auberge espagnole » contraste avec le sérieux du moment. Pendant que les enfants jouent au fond du pré, les adultes discutent de la meilleure façon de rencontrer les habitants. La rencontre se déroule sous le haut patronage de Tristan Lahais (Génération.s) et de son adjointe, Isabelle Joucan, la locale de l’étape (maire sans étiquette de Guipel), candidats du Nouveau Front populaire (NFP) dans la deuxième circonscription d’Ille. -et-Vilaine. Le seul autour de Rennes qui n’a pas évolué à gauche aux législatives de 2022. Leur objectif : contrer l’extrême droite en tentant de convaincre les habitants de la vaste circonscription, – elle s’étend de Livré-sur-Changeon à Hédé en passant par les quartiers nord de la capitale bretonne – de voter pour le binôme NFP.

Les citoyens mobilisés ne font, pour la plupart, pas partie de partis politiques, mais sont des sympathisants de la gauche et du Nouveau Front populaire. (David Brunet)

Dans la ville comme dans les communes, la liste conduite par Jordan Bardella (Rassemblement national) est arrivée largement en tête – 30 % des voix – lors des élections européennes du dimanche 9 juin. Deux fois plus que celle de Raphaël Glucksmann (PS, Place publique). Une situation qui a stupéfié les sympathisants de gauche de cette commune de 1.700 habitants. Ils se sont mobilisés dès qu’Emmanuel Macron a annoncé la dissolution en créant un collectif, se félicite Hasan Gedlec. «C’était un mouvement citoyen spontané», s’enthousiasme l’ancien patron du restaurant Le Coucou Rennais, à l’origine de l’initiative. Le collectif rassemble des personnes de tous horizons, dont la plupart ne font pas partie des partis. Dès le dimanche soir des européennes, j’ai alerté mon réseau en créant une boucle Whatsapp. Mercredi, nous avons organisé une assemblée générale. »

Une union faite bien avant que le Nouveau Front populaire (NFP) ne soit officialisé, vendredi 14 juin. Et surtout, sans difficultés ni querelles personnelles entre sympathisants insoumis, socialistes ou écologistes, insiste-t-il. Le slogan était clair dès le premier soir, Hasan clame : « Contre le racisme et l’exclusion. Pour l’égalité et l’unité. » Petit à petit, la boucle s’est étendue aux communautés locales. Aujourd’hui, « 400 personnes » y participent. Dans chaque commune, des représentants ont été désignés pour faire du porte à porte et remorquer sur les marchés, braderies, etc.

Les habitants de Guipel font du porte à porte pour soutenir la candidature de Tristan Lahais et d’Isabelle Joucan, la maire de Guipel. (David Brunet)

Cette mobilisation n’est pas sans rappeler le « mouvement spontané », lancé sans coordination en 2002, après le choc de la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle face à Jacques Chirac. Le 21 avril au soir, des centaines de milliers de jeunes sont descendus dans les rues aux quatre coins de la France pour protester contre le Front National. Des actions ont été mises en place spontanément pour se coordonner en dehors des partis politiques et des syndicats. 22 ans plus tard, la situation a changé. Alors que le « Menhir » avait obtenu 18 % des voix au second tour de l’élection présidentielle – sans aucune chance de victoire finale -, Jordan Bardella en a recueilli 31 % aux élections européennes de juin 2024. Aujourd’hui, l’ancien Front national pourrait bien , pour la première fois de son histoire, à la tête du pays.

Discours d’extrême droite décomplexé

Dans ce contexte, pour des néo-militants pas encore habitués aux méthodes des partis traditionnels, mener une action politique dans des villages où tout le monde se connaît n’est pas toujours évident. En 2002, personne n’a reconnu son vote FN. Aujourd’hui, le discours d’extrême droite est devenu plus détendu. « Les gens n’ont jamais vu d’étranger, il n’y a pas d’insécurité. Ils votent RN à cause de l’image renvoyée par les médias, Cnews et les réseaux sociaux, analyse Hasan. Il y a des gens en colère mais pas seulement des fascistes dans les campagnes. »

Quand les portes restent fermées, les deux militants déposent les tracts dans les boîtes aux lettres. (David Brunet)

Il n’en reste pas moins que la ruralité est un territoire particulièrement aux prises avec les idées du parti de Marine Le Pen. « Nous sommes allés remorquer dimanche à la braderie de Saint-Gondran », raconte un représentant de la commune de 500 habitants. C’était très compliqué. Nous avions des gens sympas, certains indécis. Mais aussi de véritables adeptes du RN. Certains camarades sont repartis complètement paniqués. Tout le monde se connaît dans la communauté. Si vous êtes un organisme sans but lucratif et propriétaire d’une entreprise, vous pourriez avoir peur d’être lynché. » Et de recommander d’envoyer, dans certaines villes, des militants des villages alentours.

L’objectif numéro 1 est de ne pas faire céder les militants RN aguerris. « Il faut mobiliser les autres, les indécis, les abstentionnistes », insiste Hasan. Si l’agriculteur travaille, il faut traverser son champ, monter sur son tracteur avec lui et lui parler. »

Quand les portes s'ouvrent, c'est parfois pour rencontrer des électeurs déjà engagés dans la cause du Nouveau Front Populaire.
Quand les portes s’ouvrent, c’est parfois pour rencontrer des électeurs déjà engagés dans la cause du Nouveau Front Populaire. (David Brunet)

Démonstration le lendemain soir avec Élise et Laura. Sous un ciel menaçant, les deux habitants de Guipel débutent leur porte à porte « après le travail, et avant les pâtes ». Résultat ? Un peu moins de la moitié des portes restent fermées. En s’ouvrant, les deux femmes mettent avant tout en avant leur ancrage local. « Nous sommes citoyens de Guipel. Nous venons discuter avec vous des élections législatives du 30 juin. » Une jeune femme ouvre la porte. Son visage lumineux ne laisse aucun doute. « Je suis Front Populaire », sourit-elle.

” ATTENTION AU CHIEN “

En fait, de nombreuses personnes acceptant le débat sont déjà engagées dans la cause. Mais pas toujours. Sur un palier, un panneau « Attention aux chiens » est affiché à côté de la porte. La vieille dame indique, dans l’embrasure de la porte, « surveiller la politique ». Elle refuse de dire pour qui elle a voté. Peu importe. Les trois femmes discutent un moment. De quoi le renverser ? Le retraité n’en dira pas plus. La tournée continue. Dehors, le ciel s’éclaircit. Les nuages ​​noirs n’ont pas déchargé leur fardeau sur Guipel.

 
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