à Cenon (33), « Mélenchon est le seul qui rassure les gens comme nous »

à Cenon (33), « Mélenchon est le seul qui rassure les gens comme nous »
à Cenon (33), « Mélenchon est le seul qui rassure les gens comme nous »

SSerait-ce alors ce que l’on appelle un racisme décomplexé ? Assise avec son ami Michou au milieu du très cosmopolite marché de Cenon (33), Dany – 78 ans – le revendique. « Oui, je le suis devenu, mais seulement envers ceux qui se comportent mal », assure cet ancien admirateur de Nicolas Sarkozy, aujourd’hui converti au lépénisme. « Comme quand les gens me font le doigt en conduisant, ou avec ces femmes voilées qui accélèrent pour m’empêcher de traverser. » Où l’on ose encore souligner une forme d’audace dans les propos, alors qu’ici le pire est promis aux électeurs du Rassemblement national. “Si j’en vois un arriver avec un tract, je le déchire immédiatement”, prévient Malik Bouteffah, au coin de la rue. Fils d’immigrés habitant cette banlieue bordelaise où près d’un quart des 25 000 habitants sont étrangers, ce commerçant ambulant de 43 ans se console d’avoir vu son champion prendre la tête au soir des élections européennes. « J’ai toujours voté pour Mélenchon, c’est le seul qui rassure les gens comme moi. »

« Le score RN m’a soudain rappelé mes origines maghrébines »

62% parmi les musulmans

Si la performance est unique en Gironde, à l’ombre d’un RN triomphant, peu a été dit que les Insoumis ont aussi remporté les enjeux électoraux dans la plupart des quartiers populaires des grandes métropoles. Plus de 42 % parmi la banlieue lilloise de Roubaix, encore plus au pied des villes lyonnaises ou à Saint-Denis (50,37 %). Au Val Fourré, quartier aussi pauvre que tristement célèbre de Mantes-la-Jolie, 83 % des électeurs ont voté pour LFI. Certes moins impressionnant, à Cenon le score (22,43%) a néanmoins été multiplié par deux en cinq ans. Et le soupçon du vote communautaire de n’être qu’une stratégie désormais quasiment assumée par les troupes insoumises et leurs électeurs. « Même si je ne suis pas forcément fan du personnage et qu’il est facile de surfer sur l’humanisme à l’international, je sais très bien que ses positions en faveur des musulmans et de Gaza étaient convaincantes », reconnaît Abner Kongo, militant associatif d’une cinquantaine d’années. « Et moi d’abord. »

Fabien Cottereau/SO

Selon un sondage Ifop pour le journal « La Croix », parmi ceux qui se sont rendus aux urnes, 62 % des électeurs musulmans auraient voté pour la gauche radicale. Habituellement proche du Parti animaliste, Nadia s’y est à son tour résolue, poussée par la crainte d’une suite électorale décevante. « Même si ce n’est pas vraiment visible, le score RN m’a tout de suite rappelé mes origines maghrébines », sourit amèrement ce comptable à la retraite de 62 ans. “Donc cette fois, la situation est trop grave pour que je choisisse quelqu’un d’autre que Mélenchon”, dit-elle, comme convaincue que ses jours en France pouvaient être comptés. Où d’ailleurs on ne vote pas pour LFI, mais en son nom, que le patron des Insoumis soit candidat ou non. « Parce qu’il n’y en a pas d’autre pour incarner comme lui la défense des étrangers, leur accueil, leur intégration et leurs enfants », insiste Malik. Dimanche midi, dès la fermeture de son stand, le commerçant lui apportera à nouveau sa voix fidèle. « Plus une question d’origine que d’islam, même si Mélenchon est le seul à se positionner clairement pour la Palestine. De plus en plus de jeunes des autres quartiers votent pour lui, comme ma fille qui est policière. »


Nadia (à gauche). « Même si ce n’est pas vraiment visible, le score RN m’a rappelé mes origines maghrébines. La situation est trop grave pour que je choisisse un autre que Mélenchon. »

Fabien Cottereau/SO

Le mirage du vivre ensemble

On aurait cependant vite oublié que là aussi le RN était attractif, presque à égalité avec LFI. A défaut du « grand remplacement » brandi par d’autres à l’extrême droite, deux blocs qui cohabitent à Cenon au mieux dans l’indifférence, au pire dans l’intolérance. « On dirait que le maire se vante d’avoir 82 ethnies dans sa ville, qu’importe ? », s’agace Michou, rejetant le sacro-saint vivre-ensemble. « Nous voulons juste vivre en paix, et pas avec ceux qui viennent masqués dans le hall de ma résidence », insiste le retraité de 75 ans.

Entre bars HLM de grande hauteur et petites maisons gentrifiées, commerces populos et épiceries bio, une fracture sociale est devenue électorale. Où, au milieu, coule le fleuve plus apaisé des socialistes bon enfant, de ceux qui ont offert près de 20 % des voix à Raphaël Glucksmann. Comme Marie-France, 73 ans, une rare électrice de droite basculée à gauche. « Mais la gauche à la PS, certainement pas celle de Mélenchon et de ses amis en colère. » Puisque le monde ne va finalement pas si mal, c’est un socialiste plutôt rassembleur – Alain David – qui sauvera ici les apparences du Nouveau Front populaire. « Je ne nie pas le côté communautaire et clivant du vote LFI, mais nous n’avons pas d’autre choix que de nous rassembler. »

“Bien sûr, je demanderai un vote dans mon prêche” L’imam de Cenon.

Peu importe si le candidat du RN fait campagne ailleurs dans la circonscription pour empêcher la construction d’une nouvelle mosquée, l’imam de Cenon s’interdit d’être prophète dans son pays. «Bien sûr, je demanderai un vote vendredi dans mon sermon, mais jamais en faveur de qui que ce soit. » À la tête de la plus grande mosquée du département – ​​bientôt 1 200 fidèles après l’achèvement du projet – Mahmoud Doua s’inquiète même de voir son collègue parisien appeler à un front unique contre l’extrême droite. « Attention à ne pas déroger au principe de neutralité », prévient-il. « C’est difficile à dire car cela banalise leur discours, mais je sais que parmi les électeurs RN, tous ne sont pas islamophobes. Il y a aussi des gens honnêtes qui ont peur. C’est aussi pourquoi il faut cesser de présenter les musulmans comme une ethnie, un bloc uni. Je connais des gens pauvres, des gens riches, qui votent socialistes ou Macron. »

Et même, aussi incongru que cela puisse paraître à première vue, quelque 6 % pour le RN selon l’Ifop. A supposer que Mohamed Chérif demande un jour sa naturalisation, c’est bien à l’extrême droite qu’il donnerait sa voix sans le moindre état d’âme. “Parce que je suis pour l’ordre, et l’ordre n’est pas une question d’Arabes ou de religions”, grogne ce vieux chibani venu tout droit de son Rif natal à l’aube des années 1970. Au Maroc, on se pose moins de questions : tu voles, tu vas en prison. Et celui qui l’incarne le mieux, c’est Le Pen. A mes amis dont les enfants sont voleurs, je vous rappelle que nous ne sommes que des invités en France. » Aussi mélenchoniste que circonspect, son vieil ami Slimane vacille. « Mohammed n’a pas compris que s’ils arrivent au pouvoir, nous retournerons au pays. »

Dans la prochaine partie, rendez-vous à Grenade, ville landaise qui a enregistré une abstention record lors des élections européennes.


Mohamed Chérif (à gauche) et son vieil ami Slimane. « Si je pouvais voter, ce serait pour Le Pen. Parce qu’elle incarne seule l’ordre. Et l’ordre n’est pas une question d’Arabes ou de religions. »

Fabien Cottereau/SO

 
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