le Cold Case de Notre-Dame

le Cold Case de Notre-Dame
le Cold Case de Notre-Dame
Joachim du Bellay, gentilhomme angevin [portrait frontispice]via Wikimédia

Mi-septembre, la célèbre cathédrale parisienne était de nouveau sur le devant de la scène. Selon les conclusions d’une enquête minutieuse, un cadavre anonyme retrouvé à Notre-Dame est celui du poète de la Loire décédé en 1560.

Heureux celui qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage… Sous Notre-Dame, Île de la Cité, se trouvent environ un millier de tombes, principalement de vieux religieux morts entre le 14ee et 18e siècles. Cette nécropole se cachait tranquillement sous terre depuis la fin des sépultures sur le site religieux au XVIIIe siècle.e siècle, permettant les crues de la Seine, les travaux d’urbanisme… mais pas l’incendie dévastateur de 2019. En 2022, lors de recherches d’archéologie préventive liées aux travaux de réhabilitation de la cathédrale détruite (et confiées à l’Inrap par la loi du 30 juillet 2019 ), deux sarcophages anthropomorphes en plomb ont été retrouvés à la croisée du transept, lieu très prestigieux. L’une porte une épitaphe avec la mention d’Antoine de La Porte, chanoine de la cathédrale pendant plus de cinquante ans qui finança de sa poche la fin des travaux du chœur de l’édifice. Le second est anonyme. Un mystère que les équipes de l’Inrap ont cherché à résoudre.

Saviez-vous? Que le cadavre date d’hier ou d’il y a quatre siècles, les processus d’identification des cadavres suivent les mêmes directives, émises par l’organisation internationale de police criminelle (Interpol), chargée, entre autres, de retrouver les personnes disparues. ou pour identifier des cadavres anonymes. Bien entendu, les principaux éléments d’identification sont les éléments les plus fiables pour établir formellement l’identité d’une personne : les empreintes digitales (ou « analyse de la crête papillaire »), les dents (odontologie médico-légale) et l’ADN (analyse génétique). Mais que faire quand le temps a tout balayé ? Ce sont donc des éléments secondaires, un faisceau d’indices, qui permettent de formuler une hypothèse, ou une conclusion.

En 2014, sous le couvent des Jacobins de Rennes, Éric Crubézy, professeur d’anthropobiologie à l’université Toulouse III, a travaillé à la découverte sous le couvent des Jacobins de Rennes du corps remarquablement conservé de la noble Louise de Quengo, décédée en 1656 et également entouré d’un sarcophage en plomb. Actu-Juridique a interrogé le passionnant scientifique sur l’origine de son hypothèse et qui prépare la sortie d’un livre sur le sujet, en janvier prochain, chez Odile Jacob.

Actualités-Juridique : En quoi les méthodes que vous utilisez dans ce type de recherche diffèrent-elles de celles de la médecine légale ?

Éric Crubézy : Ce qui est intéressant c’est qu’il s’agit d’une identification d’un point de vue juridique. La question qui se pose dans un cas comme celui de Notre-Dame concerne les critères d’identification. Ces critères sont régulièrement révisés par Interpol. Il existe de véritables critères d’identification, basés sur les dents, les empreintes et l’ADN, qui font que lorsqu’une personne disparaît et qu’un corps est retrouvé, on compare l’ADN trouvé sur le corps avec celui trouvé sur la brosse à dents de la personne disparue ou d’un membre de sa famille proche. On retrouve une certaine identification. Pour les populations du passé, c’est évidemment différent. Déjà parce que retrouver la brosse à dents de Joachim du Bellay serait une idée poétique, mais aussi parce qu’il serait absurde de tenter de comparer l’ADN présent sur le squelette à d’éventuels descendants, sachant que 15 à 18 générations nous séparent de lui, qu’il n’avait aucune connaissance. descendant direct et que les branches collatérales se seraient éteintes au XVIIee siècle. Quant à l’ADN autosomique (celui sur lequel reposent les tests ADN qui pullulent sur le marché), il ne fonctionne pas au-delà de six générations : la seule conclusion que cela pourrait nous amener est de dire qu’il était européen.

AJ : Comment se fait l’identification en l’absence de ces méthodes ?

Éric Crubézy : Nous allons travailler sur un ensemble d’arguments qui conduiront, selon Interpol, à une identification de possible à très probable. Personnellement, je penche pour le très probable (d’autres scientifiques de l’Inrap sont plus dubitatifs, NDLR). C’est ainsi que nous avons travaillé et étudié : de manière fiable, nous savons que nous avons un squelette pathologique, quelqu’un qui montait à cheval, âgé entre 30 et 40 ans, car la clavicule est fusionnée et aucune trace d’arthrose à la surface de l’oreille et un genre masculin. C’est intéressant car il y a vraiment très peu de jeunes enterrés à Notre-Dame : sur un échantillon de 400 sujets, on n’a trouvé que des traces d’épitaphe faisant état d’un jeune mort. Puis, comme l’a découvert l’institut médico-légal de Toulouse, il est dans un cercueil en plomb dont la datation au carbone 14 nous donne le XVIe siècle (le poète meurt à 38 ans, en 1560). Les élites, à laquelle appartenait la famille Du Bellay (premier entourage royal et papal), étaient enterrées dans du plomb anthropomorphe afin que le squelette garde le plus possible son intégrité lorsque l’ange sonnerait la fin des temps. Dans l’air du temps, il fallait enterrer les morts dans une église pour qu’ils puissent continuer à entendre la messe et dans une cathédrale pour les familles d’un certain rang voulant honorer leurs morts avec prestige. Ensuite, le sujet a eu des lésions cervicales liées à la tuberculose et nous disposons d’études épidémiologiques qui montrent que ces cas de tuberculose méningée étaient très rares, à peine 3 sujets sur 1 000. Et nous avons des données dans la littérature de l’époque confirmant que Joachim du Bellay souffrait d’une telle pathologie. Nous avons donc un faisceau de présomptions, d’arguments.

AJ : Comment savait-on que Joachim du Bellay y était probablement enterré ?

Éric Crubézy : Le grand-père du général de Gaulle, l’historien Julien Philippe de Gaulle, avait retrouvé l’acte du chapitre qui mentionnait qu’à la mort du poète, sa famille avait souhaité qu’il soit enterré à la Saint-Chapelle. Crépin avec son père adoptif, également son oncle. On sait qu’au XVIIIe sièclee siècle, des travaux concernèrent cette chapelle et l’on retrouva des dizaines de secteurs avec des plaques sur les tombeaux, notamment celle de Louis du Bellay, mais aucune trace de celle de Joachim du Bellay. Le fait qu’elle ait été retrouvée à la croisée du transept peut laisser penser à deux choses : il pourrait s’agir d’une sépulture de transition car on a retrouvé un cas similaire dans la famille Du Bellay, dans l’église du Mans, où un corps est resté dans la sépulture de transition. enterrement car les travaux de la voûte avaient mis trop de temps à être achevés (manque de fonds). Nous retrouvons enfin l’oncle à la croisée des transepts. Il faut se dire que nous sommes confrontés à un Queues de Da Vinci à la française… pour l’instant tous ces faisceaux d’indices et bien d’autres pointent vers l’identification formelle de Joachim du Bellay.

AJ : Qui prendra en fin de compte la décision d’identifier ou non le corps ?

Éric Crubézy : Les squelettes seront restitués par l’Inrap au ministère de la Culture qui pourra en décider.

 
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