Saumane, Pernes-les-Fontaines, Le Beaucet, Mazan (Vaucluse), report
A deux pas du site très touristique de Fontaine-de-Vaucluse, Nathalie Wouters, 54 ans, s’accroche pour continuer à cultiver ses plantes aromatiques. Principalement des roses, mais aussi de la verveine ou de la sauge sclarée. Ce 12 novembre, coiffée d’un chapeau turquoise, la paysanne rayonne de son optimisme lors d’une visite du terrain d’un peu plus d’un hectare qu’elle loue sur la commune de Saumane-de-Vaucluse.
Son humeur contraste avec sa situation professionnelle compliquée. Elle a lancé son activité en 2021, et pour le moment, elle dépend RSA et l’épicerie solidaire locale. « Mes 400 euros c’est juste pour manger »témoigne Nathalie Wouters, qui préférait vivre de la vente de ses produits bio.
Et voilà que le département du Vaucluse menace de retirer son RSA s’il ne rentre pas dans un « contrat d’engagement réciproque ». Elle serait obligée de suivre 15 heures par semaine de formation et de placement professionnel, sur six semaines. Dans le cas contraire, ses revenus seraient suspendus.
Comme Nathalie Wouters, 150 ménages agricoles dépendent RSA dans le département, selon la mutualité sociale agricole (MSA) Alpes-Vaucluse, l’organisme qui gère les prestations sociales des agriculteurs. Selon la loi « pour le retour au plein emploi » promu par le gouvernement, ce conditionnement de RSA est actuellement testé dans 47 départements et deviendra obligatoire pour tous les allocataires en France à partir de janvier 2025.
Ce « dispositif de remobilisation positive »tel que présenté par le Ministère dans un courriel à Reporterreprévoit les quatre premières semaines « ateliers collectifs et entretiens individuels autour notamment de la confiance en soi, des techniques de recherche d’emploi, de l’intégration dans l’entreprise ». Puis les deux dernières semaines « un jeu de rôle en milieu professionnel ou une formation ».
Objectif du Département : « une baisse des bénéficiaires »
Le Vaucluse, cinquième département le plus pauvre de France métropolitaine, compte 15 100 habitants. RSA. Dans sa réponse à Reporterrel’établissement s’engage à rechercher un « retour sur investissement à long terme »ce qui se traduirait par « une baisse des bénéficiaires ».
« On m’a demandé de faire le ménage alors que je travaillais déjà. J’ai autre chose à faire. Je prépare les marchés de Noël »déplore Nathalie Wouters qui travaille déjà plus de 45 heures par semaine. En plus de la culture, elle transforme elle-même ses plantes en hydrolats et eaux florales. Son besoin : du temps pour soutenir son activité.
« Mes rosiers ont besoin de pousser pour pouvoir répondre à toute la demande que j’ai »explique-t-elle. Les Biocoops de la région, mais aussi un chef étoilé et même un spa à Gordes, village prestigieux du Luberon, l’ont sollicité.
La Confédération paysanne et l’association Solidarité paysanne dénoncent les nouvelles règles et apportent leur soutien aux agriculteurs concernés. Les deux organisations ont appelé le gouvernement à veiller à ce que les agriculteurs soient soustraits à cette forme de « RSA conditionné ». Je ne le fais tout simplement pas.
« Il n’y a pas d’autre solution pour les agriculteurs »
« La réponse était : il n’y aura pas de cas particulier »explains Julie Peyrot, rural mediator at Solidarité paysanne Provence-Alpes. « Hormis le RSAil n’y a pas d’autre solution pour les agriculteurs qui débutent et qui ont un problème de revenus »however, affirms Laurent Thérond, co-spokesperson for the Confédération paysanne 84.
Parfois, ce sont des accidents de la vie qui poussent des agriculteurs déjà installés depuis plusieurs années à demander RSA. Sous son chapeau de cowboy et sa barbe fournie, Jean-Christophe Raffin, 59 ans, a postulé RSA après s’être séparé en 2019. Il a dû quitter la ferme de sa compagne et acheter du matériel agricole.
Il est désormais installé dans un mas agricole au confort sommaire, loué à prix cassé à Pernes-les-Fontaines. Ses transformations de plantes aromatiques et médicinales issues de ses cultures biologiques et récoltes sauvages sont vendues sur place, dans les commerces de proximité et sur les marchés.
Jean-Christophe Raffin a vécu sa convocation pour le conditionnement de RSA comme une hache dans son espoir de se sortir du pétrin. « je voulais partir » – comprendre mettre fin à ses jours – demande-t-il sans détour.
« On se donne corps et âme chaque jour et les gens viennent nous dire « tu es paresseux » »
« Ce fut une interview des plus humiliantes.se souvient Nathalie Wouters à propos de son entretien individuel. Mon interlocuteur était un pitbull en mode guerrier. Elle a essayé de me forcer à arrêter RSA. Nous n’avons absolument pas parlé de mon activité. » De retour à la maison, « pendant trois jours j’étais au pied du lit. Je me suis dit, soit tu plonges, soit tu te bats »dit-elle.
« On se donne corps et âme chaque jour et les gens viennent nous dire « tu es paresseux, va clean » »» partage avec colère Sarah Vigogne, 46 ans, à la tête d’un centre équestre et éleveur de Malinois à Mazan. N’ayant pas participé à certaines journées d’atelier, car occupée avec ses animaux, Sarah Vigogne s’est fait couper les cheveux. RSA depuis octobre.
Pareil, depuis cet été, pour Florian Morel, producteur de semences paysannes et maraîcher sur sol vivant dans le Beaucet. « J’ai répondu que je n’irais pas travailler. j’ai déjà un travail »dit-il calmement en cueillant des graines de ricin.
« Tous les gens qui ont le RSA j’en ai besoin »
Pour le quadragénaire, « le problème dépasse l’agriculture. Je pense que tous les gens qui ont le RSA j’en ai besoin. Quelle que soit la raison : parce que ce sont des femmes célibataires, des personnes handicapées… Peu importedit-il. Le gouvernement estime qu’il existe des secteurs en tension dans lesquels il veut contraindre les gens à travailler. Ce que chacun veut faire dans sa vie n’existe pas pour lui. »
À la suite de demandes d’information des organismes agricoles, le Ministère a décidé d’expérimenter la gestion des « contrats de travail » les agriculteurs à travers MSA. Lequel devrait être effectif en janvier 2025. La forme et le contenu de ce que prévoit le MSA sont « lors de discussions techniques »précise Céline Argenti-Dubourget, la directrice du MSA Alpes-Vaucluse.
Injonction à la viabilité
Elle imagine des solutions pour « supprimer les obstacles sociaux, tels que la garde d’enfants ou les problèmes de santé ». Et puis s’associer avec la chambre d’agriculture pour « mettre en place un soutien aux flux de production ou à la diversification. »
Une injonction à la viabilité des exploitations agricoles est toujours nécessaire. « L’objectif du Département est d’aider les gens à avoir une activité qui les rapporte suffisamment pour ne pas les obliger à recourir durablement aux minima sociaux. »writes President Dominique Santoni in a letter to the Confédération Paysanne 84, that Reporterre consulté.
La pression exercée par le nouveau système pourrait inciter de nombreux agriculteurs à abandonner pour obtenir le RSA. Selon une enquête de Reporterre réalisée en 2023, plus d’un agriculteur sur 10 en France était bénéficiaire d’une allocation de solidarité : RSA et prime d’activité. Et déjà, le taux de non-recours à ces prestations sociales était estimé entre 50 et 60 % par le MSA.
For Laurent Thérond of the Confédération paysanne 84, « les agriculteurs en difficulté devraient être bénéficiaires de l’aide publique, et non RSA ». Le syndicat reste en alerte concernant l’adaptation mise en place par le Département. Son co-porte-parole prévient, dans le contexte du mouvement social des agriculteurs qui redémarre : « Ce n’est pas la saison pour nous déranger, car les choses vont changer. Il n’est pas exclu que l’on s’invite au conseil départemental. »
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