l’essentiel
Avec une diminution constante du nombre d’avocats au barreau du Lot, le président Christophe Bernabeu pointe une situation critique, préjudiciable à la justice et aux droits des citoyens si la situation devait perdurer.
M. François Faugère respire enfin. Nous sommes un mardi, mais voilà que cet ancien du bar du Lot, officiellement nommé aux permanences criminelles, est en garde à vue dans tout le département depuis vendredi, samedi, dimanche. Le week-end dernier, sa mission a pris fin, mais il faut assister ses clients qui sont ensuite présentés en comparution immédiate la semaine suivante. «Je suis époustouflé», murmure-t-il encore en fermant les yeux, lors d’une pause d’audience. Lui, tout comme les avocats du barreau du Lot, mouille la robe autant qu’il peut. Et pendant qu’il tient toujours.
“On perd vite de l’argent”
En effet, la situation se tend considérablement, année après année, pour les avocats du département : « Nous étions 47 en 2017. Nous sommes 38 aujourd’hui », précise le bâtonnier, Me Christophe Bernabeu. Et il faut remonter à 2020 pour voir arriver une nouvelle robe noire. Quatre années de disette enfin brisées par l’arrivée de deux étudiants-avocats qui prêteront serment en fin d’année et arriveront en 2025. « Mais nous avons deux départs à la retraite », corrige le Président.
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Tropisme urbain des jeunes, difficulté à se rendre dans un département où le conjoint ne pourra pas trouver de travail, ou encore envie de se faire connaître rapidement expliquent peu ou prou cette difficulté à renouveler les robes noires du bar. Il y a aussi une spécificité du Lot avec un département fragmenté : « A Toulouse, l’avocat va faire son devoir pénal au commissariat, puis se rend à pied au tribunal. Nous disposons d’un commissariat à Cahors et de 25 brigades de gendarmerie. Quand nous sommes de service, nous courons de Cajarc à Martel en passant par Castelnau-Montratier. » Déplacement à la charge de l’avocat, qui est rémunéré 300 € HT que ce soit pour une demi-heure d’audience ou 48 heures de garde à vue. « L’activité d’avocat du Lot lui coûte environ 60 € par heure facturable avec ses honoraires. On perd de l’argent vite», souligne Christophe Bernabeu.
Pourtant, ces lignes téléphoniques pénales sont essentielles pour les citoyens, leur permettant de bénéficier de l’assistance d’un avocat à tout moment de la journée, et n’importe quel jour de l’année. Sauf que pour les robes noires, cela devient de plus en plus compliqué : « Il y a quelques années, on ne pouvait avoir qu’une seule apparition immédiate par mois. Aujourd’hui, nous en avons deux par semaine », poursuit le président. Une explosion des affaires pénales due à l’action du parquet. Ce qui s’explique à la fois par l’augmentation de la délinquance – l’émergence d’un trafic de drogue qui n’existait pas auparavant, par exemple – mais aussi par des faits moins poursuivis auparavant, comme les violences conjugales.
« Cela va devenir compliqué pour le parquet, le tribunal, les gendarmes et les citoyens »
Pour faire face, le bar du Lot a dû s’adapter. Là où un seul avocat de garde par semaine il y a quelques années, il y en a désormais trois quasiment à temps plein pour la semaine : « Quand je suis de garde, c’est simple, je ne prends pas d’autres rendez-vous. vous, je sais que je ne pourrai pas les prendre en charge », nous confie un avocat. A cela s’ajoutent un avocat chargé des mineurs – un dispositif en place depuis mai 2023 – et un autre des hospitalisations forcées. Ce dernier, chaque mardi, se rend à l’institut Camille Miret de Leyme pour vérifier l’état des patients hospitalisés sous la contrainte.
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Face à ce rythme, comment se portent les avocats ? « Il y a une attrition mondiale car l’avocat est aussi en contact avec une humanité en souffrance. Mais pour l’instant, ils tiennent le coup, nous avons beaucoup de bénévoles pleins d’énergie. Mais le jour où ils abandonneront, cela deviendra problématique», prédit le président, qui parle d’une situation déjà critique.
Quelles solutions alors ? Une augmentation de prix pour attirer de nouvelles recrues ? Ou simplifier les gardes à vue en les regroupant en trois ou quatre points principaux du département ? Cette dernière est une option envisagée par Christophe Bernabeu, qui souhaite, en tout cas, en discuter avec le futur procureur de la République de Cahors dont l’arrivée est attendue.
Il faudra de toute façon trouver une solution si, dans moins de huit ans, le barreau compte encore 10 avocats de moins : « Sinon, nous connaîtrons des déserts d’avocats, tout comme nous connaissons des déserts médicaux. Et cela va devenir très compliqué pour le tribunal, le parquet, la police et les citoyens. »