Rotheux-Rimière, Esneux (Belgium), report
En ce samedi matin brumeux, six bénévoles s’affairent dans les serres de la ferme Larock, nichée dans le village de Rotheux-Rimière, en province de Liège. Pendant que Mélissa, Florence, Alexandra et Éric démêlent les haricots verts des filets afin de les retirer, Marieke et Léna creusent des rigoles à la pelle avec Simon, qui s’occupe du maraîchage, puis ratissent et aplatissent les mottes de terre déposées sur le côté. Les plates-bandes enfin prêtes, tout le groupe commence à transplanter 1 800 plants de mâche dans le sol fraîchement travaillé.
A 5 kilomètres de là, dix autres bénévoles s’activent l’après-midi à la ferme Beauregard, sur la commune d’Esneux. Equipés d’un sécateur, ils séparent les courges de leurs tiges épaisses et piquantes, les soulèvent et les déposent délicatement dans les caisses. En une demi-heure, la récolte est pliée.
Sans attendre, le groupe se lance dans sa prochaine mission : arracher les plants de tomates des serres. Ce travail, plus minutieux – il faut couper les plants, ôter les griffes, cueillir les fruits encore mûrs, regrouper les tuteurs en fond de rangs – prend deux bonnes heures. Durant laquelle Maxime, le maraîcher, fait des allers-retours pour vider les brouettes.
Originaires de la région ou de plus loin, la plupart de ces volontaires ont répondu à l’appel des Brigades d’Action Paysanne (BAP), un réseau citoyen belge soutenant l’agriculture paysanne et le mouvement pour la souveraineté alimentaire. Animé en 2017 par le réseau d’appui à l’agriculture paysanne (RéSÈVE) et coordonnées par paires ONG (Quinoa et Fian Belgique), BAP sommes nés « du constat que le lien entre mangeurs et agriculteurs manquait »explains Marie-Hélène Lefèvre, member of the BAP et responsable du plaidoyer et de la mobilisation chez Fian.
Pour combler cette lacune, le réseau citoyen a lancé des projets participatifs dans des exploitations paysannes, agroécologiques ou en transition vers un modèle durable. Des exploitations agricoles généralement de petite taille, ancrées localement, avec des pratiques agricoles respectueuses des sols et de la vie.
« LE BAP [dont le nom fait référence aux brigades internationales qui, durant les années 1930, luttaient contre le fascisme en Espagne] nous prétendons militants car nous sommes conscients qu’il faut combattre un système qui dévore peu à peu l’agriculture paysanne et la fait disparaître »continues Marie-Hélène.
68 % de fermes en moins depuis 1980
Entre 1980 et 2019, la Belgique a perdu 68 % de ses exploitations, dont la surface moyenne a triplé durant la même période. Le nombre d’actifs agricoles en Wallonie a diminué de moitié depuis 1990, selon l’institut national de la statistique Statbel et le site Internet de l’État wallon de l’agriculture.
À cela s’ajoutent des bouleversements climatiques dont les agriculteurs paient largement le prix. C’est notamment le cas de Simon Elias. Originaire de Hesbaye, il a longtemps vécu à Bruxelles avant« faire une transition » et se tourner vers le travail de la terre, poussé par le « il faut revenir à l’essentiel ».
D’abord animateur bénévole dans un jardin social au bord de l’Ourthe, il a atterri à la ferme Larock après les inondations de juillet 2021 qui avaient tout pour plaire. « ruine ». En 2022, il crée l’association à but non lucratif (ASBL) Sous l’arbre, pour entretenir le jardin maraîcher. Mais depuis, les problèmes persistent. Cette année, « sur 1 ha 20, j’ai renoncé à 80 acres à cause des conditions extrêmes en terme d’humidité »dit-il.
Pas un seul des 900 choux qu’il a plantés avec des écoliers n’a survécu aux limaces, qui ont également dévoré 15 acres de luzerne. Le récent passage de la dépression de Kirk ayant détrempé les sols, Simon a dû réviser le programme de la journée, qui comprenait notamment la récolte de pommes de terre en extérieur. Face à l’engagement des participants, il remercie : « Merci d’être là pour nous aider. Si vous revenez quand tout a poussé, venez déguster la mâche »leur dit-il, tout sourire.
La joie rayonne aussi sur le visage de Maxime Leroy face à l’enthousiasme des bénévoles et à l’efficacité des chantiers, « amusant à faire à plusieurs »dit-il. Fils de professeurs d’éducation physique, il apprend le métier de maraîcher. « au travail » aux côtés d’un professionnel à Spa, et en parallèle de ses études d’agronomie.
« LE BAP nous occuper de toute la logistique pendant que nous sommes sur les champs »
En 2019, il lance, avec quatre autres personnes, la ferme Beauregard autour de plusieurs activités — maraîchage biologique, fruiticulture, élevage de poules pondeuses. Maxime n’a découvert les brigades que l’année dernière.
« Pour les agriculteurs qui ont le nez dans la meule en haute saison, c’est super simple. Décidez simplement d’une date et d’une tâche, et le BAP nous occuper de la communication et de toute la logistique pendant que nous sommes sur le terrain »se réjouit le maraîcher.
Cependant, la ferme compte déjà un groupe de coopérateurs qui s’impliquent bénévolement chaque semaine. « Comme la coopérative existe depuis quatre ans, l’enthousiasme initial s’est un peu essoufflé. »confie Maxime. LE BAP donc ramène un vent nouveau et puis, sans eux, « Je n’aurais jamais pu joindre les Bruxellois ».
Parmi les bénévoles présents ce jour-là, beaucoup venaient de la ville. Et beaucoup soutiennent, à leur manière, l’agriculture locale et paysanne. Comme Élodie, qui travaille pour la compagnie de théâtre Adoc, à l’origine du festival Nourrir Bruxelles. « Dans ce contexte, je collabore avec le BAP et je voulais un peu de béton »dit-elle.
Ou encore Mélissa et Florence qui cueillent elles-mêmes leurs légumes à la ferme des Cinq Branches à Soumagne. C’est là, lors d’un chantier, qu’ils entendirent parler du BAPet qu’ils voulaient « regardez-y de plus près, plutôt que sur Instagram »» dit Florence, fromagère de métier.
Consciente des conditions de travail difficiles, Mélissa, qui étudie l’agronomie, a également souhaité « comprendre les techniques agricoles » et « aider à promouvoir ces activités ». Pour Alexandra, étudiante en architecture à Liège, « passionné de gastronomie et de producteurs »participer à ces projets vous permet de « changer d’idée ». Éric suit une formation en permaculture après avoir travaillé comme « indépendant sur le toit »et j’aimerais créer un « jardin qui nourrit et guérit ».
En plus d’apporter « un soutien concret aux agriculteurs »les projets participatifs offrent des moments de partage entre agriculteurs et bénévoles, autant d’occasions d’échanger et d’aborder certains sujets… Marieke, d’origine flamande, en profite pour comprendre les enjeux politiques. « Sentez-vous une différence avec le nouveau gouvernement wallon ? ? » [1] demande-t-elle à Simon, un râteau à la main. « Il y a de l’inertie. […] Dans un marché mondialisé, [les producteurs wallons] sont déclassés. Nous avons besoin d’une agriculture locale, là où nous mangeons et où nous produisons »répond ce dernier.
« Si nous ne modifions pas l’équilibre des pouvoirs, les agriculteurs continueront d’être écrasés »
Arrêter d’accorder de l’argent public à l’agro-industrie et à la malbouffe et promouvoir plutôt l’agriculture paysanne et relocaliser l’alimentation : voici les revendications formulées par les Brigades d’action paysanne à travers les mobilisations politiques. « Un coup de main sur le terrain est précieux, mais si nous ne modifions pas structurellement l’équilibre des pouvoirs, les agriculteurs continueront d’être écrasés par le système dominant. Il faut conjuguer la force des citoyens avec celle des agriculteurs si l’on veut un jour manger une alimentation saine et qui rémunère équitablement ceux qui la produisent. »argues Marie-Hélène Lefèvre.
Des actions publiques de désobéissance civile sont parfois menées en solidarité avec les associations et les syndicats. Le 17 avril, Journée mondiale des luttes paysannes, une manifestation suivie de plantation de pommes de terre sur une parcelle menacée par un projet agrivoltaïque a été organisée à Aiseau-Presles, « pour nous rappeler que la fonction première de ces terres doit être de nous nourrir »dit le brigadiste.
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