Une appli pour tomber enceinte plus vite, vraiment ?

L’infertilité touche une personne sur six, selon les données de l’Organisation mondiale de la santé. Pour la Dre Diane Francoeur, présidente de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, « la fertilité est un gros marché : il y a beaucoup d’argent à gagner ».

Elle côtoie des couples stériles depuis plus de 30 ans. Ce qu’elle découvre, c’est que l’infertilité peut causer beaucoup de culpabilité chez les femmes.

En quête de réponses, certains se tournent vers les réseaux sociaux. C’est le cas de Vanessa, une Américaine abonnée à Gyna. Elle souhaite rester anonyme car ses proches ne savent pas qu’elle est stérile.

Après sa dernière fausse couche, elle s’est sentie impuissante et frustrée lorsque ses médecins lui ont dit de réessayer, mais sans obtenir de réponses supplémentaires.

Il devait y avoir quelque chose que je faisais de mal. Peut-être que je ne mangeais pas bien ou que je ne prenais pas les bonnes vitamines.

Une citation de Vanessa

Après plus de deux ans à vivre avec des problèmes d’infertilité, elle a retrouvé un peu d’espoir grâce aux publicités de Gyna, confie-t-elle au téléphone.

Une publicité de la plateforme Gyna sur le réseau social Facebook.

Photo : Facebook/Gyna Conseils sur la fertilité et la grossesse

Après plusieurs fausses couches, je me sentais émotionnellement vulnérable. Les publicités de Gyna nous laissent croire que nous obtiendrons des réponses pour tomber enceinte, car plusieurs femmes y témoignent disant qu’elles sont tombées enceintes après avoir utilisé ces services.dit-elle.

Avec ses publicités et publications, Gyna cible également les femmes qui tentent de concevoir à 35 ou 40 ans. C’est précisément ce qui a piqué la curiosité de Susanna Stankiewicz, une Suédoise qui a payé son abonnement 170 dollars.

Elle admet qu’elle a ressenti beaucoup de honte en essayant de concevoir alors qu’elle avait la quarantaine. L’approche positive de Gyna lui a donné confiance. J’avais l’impression que c’était une entreprise honnête qui voulait vraiment aider les femmesdit-elle.

>>>>

Ouvrir en mode plein écran

Susanna Stankiewicz s’est exprimée dans l’émission “La facture”.

Photo : Radio-Canada

L’une des promesses de Gyna est qu’elle vous donnera des informations précises sur votre équilibre hormonal et vous indiquera exactement quoi faire pour tomber enceinte plus rapidement. Chaque cliente doit accepter de remplir un questionnaire complet sur sa santé reproductive.

Cependant, lorsqu’on arrive sur la plateforme, on ne trouve pas de description du profil hormonal de l’utilisateur mais plutôt une centaine de chapitres de contenus à la fois génériques et spécialisés sur l’alimentation et la fertilité.

Nous avons recueilli des témoignages d’utilisateurs de plusieurs pays ainsi que ceux de Québécois abonnés à Gyna. À la fin de leur essai gratuit, ces femmes ont payé entre 130 et 200 dollars pour un abonnement de base qui devait durer de trois à six mois.

>>>>

Ouvrir en mode plein écran

« The Bill » a recueilli les témoignages de nombreuses femmes qui connaissent des problèmes de fertilité.

Photo : Radio-Canada

Confiance brisée

La confiance de Susanna et Vanessa a été brisée lorsqu’elles ont tenté d’annuler leur abonnement.

Insatisfaits du service de Gyna, ils ont envoyé de nombreux emails à l’entreprise, mais n’ont jamais pu obtenir de remboursement.

Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas me rembourser parce que je n’avais pas terminé tous les modules de fertilité.explique Vanessa. De son côté, Susanna a reçu la même réponse de la part de l’entreprise.

Mon expérience avec Gyna a été terrible. Je me sentais stupide et utilisé.

Une citation de Suzanne

Contrairement à ce que prétend Gyna dans ses publicités, le contenu n’est pas personnalisé, estime Vanessa. Pour moi, c’est clair que tout le monde reçoit le même programme, peu importe ce qu’on répond [dans le questionnaire]dit-elle.

>>Une femme sur l’écran d’un téléphone portable.>>

Ouvrir en mode plein écran

Une publicité sur Instagram de la plateforme Gyna.

Photo : Instagram/Gyna_fertilité

Afin de vérifier cette hypothèse, nous avons créé trois profils avec des problèmes de santé différents : une femme de 38 ans souffrant d’obésité avec intolérance au lactose, une femme de 37 ans souffrant du syndrome des ovaires polykystiques – l’une des principales causes d’infertilité. chez les femmes – et, in fine, chez une femme de 29 ans, avec un poids santé et sans problème de santé particulier.

Résultat : hormis cinq chapitres sur le poids et la fertilité destinés au profil de l’utilisateur fictif en situation d’obésité, les 106 autres chapitres et recettes proposés étaient identiques.

>>Une femme regarde deux écrans.>>

Ouvrir en mode plein écran

« The Bill » a comparé les recettes proposées par la plateforme Gyna à différents profils de femmes et a découvert qu’elles sont identiques.

Photo : Radio-Canada

Informations douteuses

Les jeunes femmes qui incarnent la marque Gyna partagent sur Instagram des informations qu’elles disent tirées de la science. Ils parlent d’aliments qui tuer la fertilitépar exemple la viande rouge, ou d’autres aliments qui, au contraire, l’augmentent, comme le lait riche en matières grasses.

D’autres informations inhabituelles peuvent également être trouvées sur la plateforme de cette société. Par exemple, Gyna affirme que boire quatre à sept verres d’alcool par semaine est associé à une concentration plus élevée de spermatozoïdes.

Cette affirmation fait sourciller plusieurs experts consultés pour ce rapport, dont le Dr Francoeur. Je n’ai jamais vu ça nulle part, souligne-t-elle avec étonnement. Nous sommes plutôt dans la tendance inverse. Nous savons que si nous en consommons trop, cela peut avoir un impact inverse et réduire la spermatogenèse.

>>Diane Francoeur est assise avec un journaliste.>>

Ouvrir en mode plein écran

La Dre Diane Francoeur a analysé les informations recueillies par l’équipe de « La bill ».

Photo : Radio-Canada

En parcourant la plateforme Gyna, Vanessa avait également des doutes sur les fondements scientifiques du contenu. Ce n’était pas très encourageant, dit-elle. Lorsque j’ai effectué quelques vérifications, j’ai réalisé que les informations ne provenaient pas de recherches solides ou étaient basées sur de petites études avec de petits échantillons.

D’ailleurs, nous avons fait réviser certains contenus Gyna par des experts, notamment la nutritionniste Émilie Bernier. Elle souligne qu’il est difficile de confirmer si les affirmations de la plateforme font l’objet d’un consensus scientifique puisque les études et références n’y sont pas citées.

Il est fait mention de l’étude sur la santé des infirmières à quelques reprises, mais de manière vague, sans fournir certains détails nécessaires à leur interprétation juste et éclairée. De plus, les résultats présentés semblent avoir été mal interprétés.declares Émilie Bernier.

La fertilité est un sujet très complexe, influencé par de nombreux facteurs, dont certains ont plus de poids que la nutrition, comme l’âge, les conditions gynécologiques ou le mode de vie.explique la nutritionniste Céline Saloumi, qui s’intéresse à la fertilité dans le cadre de sa pratique.

Même si l’alimentation peut jouer un rôle, souligne Saloumi qu’aucun aliment pris séparément ne peut nuire à la fertilité. Elle insiste : C’est plutôt l’équilibre de l’assiette, la densité nutritionnelle, mais aussi la qualité globale de l’alimentation de l’individu qui compte.

>>Céline Saloumi sur fond noir.>>

Ouvrir en mode plein écran

Céline Saloumi is a nutritionist.

Photo: Céline Saloumi

De plus, certaines restrictions alimentaires encouragées par Gyna peuvent devenir Source de stress, selon ces deux nutritionnistes. Le Dr Francoeur est du même avis.

Dès que nous essayons trop de contrôler notre vie, cela conduit à un certain niveau d’anxiété.

Une citation de Dre Diane Francoeur, présidente de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada

La plateforme est également catégorique sur certains aliments. Il faut notamment éviter de manger du riz, des pommes de terre, des frites ou encore des pizzas surgelées en raison de leur indice glycémique élevé.

>>Diane Francoeur est assise dans une salle de rédaction.>>

Ouvrir en mode plein écran

Diane Francoeur est présidente de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada.

Photo : Radio-Canada

Le médecin est troublé par cette approche, qui pourrait culpabiliser inutilement une femme si elle consomme ces aliments en essayant de concevoir.

Je ne vois rien qui me convienne, scientifiquement parlant, de culpabiliser les femmes de l’échec de ne pas tomber enceinte, précise le Dr Francoeur. Et je trouve ça terrible !

Politique de confidentialité dérangeante

De plus, certains passages de la politique de confidentialité de Gyna pourraient poser problème, selon Sara Ève Levac, avocate et analyste chez Option Consommateurs.

L’entreprise affirme notamment pouvoir vendre, partager, échanger ou louer des informations personnelles à des sociétés tierces sans les divulguer au préalable.

Une citation de Sara Ève Levac, lawyer and analyst at Option Consommateurs

Me Levac ajoute ceci : La Loi sur la protection des informations personnelles stipule que si nous collectons des informations personnelles sur des consommateurs, nous devons leur indiquer à quelles fins ces informations sont collectées, donc comment nous les utilisons, pourquoi nous les récupérons et également auprès de quels tiers ou catégories de tiers. ces informations personnelles pourront être communiquées.

>>Sara Ève Levac est assise dans un fauteuil.>>

Ouvrir en mode plein écran

Sara Ève Levac is a lawyer and analyst at Options Consommateurs.

Photo : Radio-Canada

Gyna est une application de Lily Health, une entreprise qui utilise l’intelligence artificielle pour fournir des conseils en matière de santé reproductive aux femmes. Il affiche une adresse américaine mais affirme fonctionner conformément aux lois kenyanes.

Même si une entreprise est étrangère, dès qu’elle fait des affaires au Québec, elle doit respecter les lois québécoises, rappelle Sara Ève Levac.

Nous avons tenté à plusieurs reprises de contacter les fondateurs de cette société, sans obtenir de réponse.

>>Quatre femmes noires sourient.>>

Ouvrir en mode plein écran

La page d’accueil du site Lily Health.

Photographie : Lily Santé

C’est énorme, tout ce qu’on essaie de faire avaler aux femmes et de leur faire croire que la magie va opérer et qu’elles vont tomber enceintesdéplore le président de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada.

Lorsqu’on lui demande si elle recommanderait une plateforme comme Gyna, la réponse est sans équivoque : Absolument pas !

Lorsqu’on essaie d’avoir un bébé, il faut essayer d’avoir de bonnes habitudes de vie, ajoute le médecin. Ayez une alimentation variée et de la couleur dans votre assiette […]faites de l’exercice, essayez de vous changer les idées et prenez 150 $ pour aller vous faire masser, cela apportera beaucoup plus d’effets positifselle conseille.

Le reportage de la journaliste Alessandra Rigano et de la réalisatrice Florence Pelletier est présenté à l’émission La facture Mardi à 19h30 (EST), samedi à 12h30 sur ICI Télé ainsi que dimanche à 17h30 sur ICI RDI.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Moselle. « La Salle », le nouvel espace multifonction inauguré à Destry après deux ans de travaux
NEXT INONDATIONS DU FLEUVE SÉNÉGAL