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A La Réunion, la « route la plus chère du monde » fait un détour par les tribunaux

12 kilomètres d’autoroute suspendue entre 20 et 30 mètres au-dessus de l’Indien. C’est le visage de la nouvelle route côtière de la Réunion, actuellement en construction au nord-ouest de l’Ile Bourbon. Son objectif : désengorger la route côtière initiale, construite en bord de mer à flanc de falaise. Cette dernière est à la fois saturée par un trafic automobile important entre la préfecture, Saint-Denis, et la commune de La Possession. Et il est devenu trop dangereux à cause de l’érosion des roches qui le bordent d’un côté, et de la montée du niveau de la mer de l’autre.

Sauf que tout ne s’est pas passé comme prévu. Partiellement ouverte à la circulation à l’été 2022, sur un premier tronçon reliant Saint Denis à la Grande Chaloupe grâce à un viaduc, le coût de cette route a déjà été considérablement revu à la hausse : la dernière estimation (2,4 milliards d’euros), qui date à partir de 2021, s’éloigne dangereusement des 1,66 initialement prévus, a souligné la Cour des comptes de la séance dans un rapport sur le sujet publié mi-2022. 2,4 milliards d’euros pour 12 kilomètres ? Il suffisait à certains opposants de rebaptiser la NLR la « route la plus chère du monde ».

Et le glissement ne fait peut-être que commencer. Car les géants du BTP chargés de la construction, Vinci et Bouygues, réclament plus de 900 millions d’euros d’indemnisation à la région Réunion pour avoir subi des imprévus et des retards qui leur auraient occasionné des coûts supplémentaires.

Ils reprochent à la collectivité notamment une mise à disposition tardive du chantier portuaire, une difficulté à obtenir suffisamment de roches par rapport aux besoins du chantier ou encore des lacunes dans les données géotechniques fournies. Ce dernier échec, estiment-ils, les aurait contraints à modifier tardivement les plans de la barge « Zourite », chargée de transporter en mer les 48 piliers du viaduc.

Les premières décisions de justice relatives à ces réclamations, rendues par le tribunal administratif de la réunion les 8 et 22 octobre 2024, ont donné raison à la région pour la quasi-totalité des motifs.

Le principal point de tension concerne l’approvisionnement en roches massives. Le projet nécessite plusieurs millions de tonnes, mais l’île offre des ressources limitées. Quant aux importations, elles sont rendues difficiles par sa situation géographique.

Les rochers au coeur de la polémique

Les constructeurs reprochent à la région de ne pas avoir fait de son mieux pour ouvrir de nouvelles carrières sur l’île. Un projet, à Bois Blanc, dans la commune de Saint-Leu, a fini par être rejeté après plusieurs recours en justice.

« Son impact aurait été considérable à la fois en raison de la présence à proximité d’écosystèmes sensibles et de nombreuses habitations »résume Elodie Marais, porte-parole du collectif Touch pa nout roche (« touchez pas à notre rocher » en créole).

Difficile de dégager les majors du BTP de leurs responsabilités dans cette difficulté d’approvisionnement, estime la région. Ces derniers ont en effet « dans leurs filiales, des transporteurs importants [spécialistes de l’extraction, NDLR] dont il s’agit précisément du métier et du domaine d’expertisea-t-elle souligné fin 2022. Lorsqu’aucune initiative n’aboutit, cela constitue évidemment un échec, dont il est alors tentant de tenter d’en faire supporter les conséquences à un partenaire public. ». Ce sera en fin de compte aux constructeurs d’assumer la responsabilité, ont jugé les tribunaux.

Cependant, cette difficulté d’approvisionnement a modifié les projets de la région. Sa présidente, la communiste Huguette Bello (autrefois candidate à Matignon du Nouveau Front populaire), a révisé sa copie pour la construction de la deuxième partie de la route.

La digue, initialement prévue par la région Réunion lorsqu’elle était présidée par Didier Robert (Les Républicains), sera ainsi remplacée par un viaduc, plus économique en matériaux. Le choix était alors motivé par des considérations économiques, cette solution mixte étant estimée 10 % moins coûteuse que le « tout viaduc ». Mais au détriment des considérations environnementales, a souligné la Cour des comptes.

Viaduc plutôt que digue

« Quelle que soit sa forme, le chantier aura un impact environnemental, rappelle Bernadette Le Bihan Ardon, ancienne présidente de la Société réunionnaise pour l’étude et la protection de l’environnement (SREPEN). Mais l’option du tout viaduc, même si elle nécessite du béton pour les piliers, est moins impactante sur le plan écologique que celle de la digue, qui aurait rempli la mer de rochers sur plusieurs kilomètres. Et en l’occurrence, dans un milieu marin sensible avec une grande diversité de coraux. »

Pour autant, la bataille des rochers n’est pas terminée à La Réunion. Dans le cadre de la révision du schéma régional des carrières, l’État et les carrières ont remis sur la table cet été l’ouverture du Bois Blanc. Cependant, ce projet ne peut plus être justifié « par le besoin de roches massives pour le chantier de construction de la nouvelle route côtière”estime la région qui, représentée par sa vice-présidente Karine Nabéséna, a réitéré son opposition au projet. « Mais au-delà des roches massives, les exploitants recherchent également des granulats pour les bâtiments traditionnels »estimates Elodie Marais.

La justice doit encore se prononcer, d’ici la fin de l’année, sur la principale demande formulée par Bouygues et Vinci. Les deux majors, outre les 900 millions d’euros d’indemnisation réclamés en raison des retards de construction, réclament 675 millions d’euros d’indemnisation suite à la décision de ne pas construire la digue sur la deuxième partie du projet.

 
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