Début octobre 2023, un article du quotidien régional La Montagne révélait que la société Biosyl, dont le principal actionnaire est l’énorme coopérative forestière Unisylva, envisageait de créer une usine de fabrication de pellets à Guéret. Elle possède déjà deux usines dans la Nièvre et en Haute-Loire. Cette usine serait implantée sur 14 hectares de terrain et consommerait 140 000 tonnes de bois feuillus par an (provenant des forêts dans un rayon de 150 km autour de Guéret) pour produire 85 000 tonnes de pellets.
Une première réunion d’échange a réuni 250 personnes à l’automne. La mobilisation est soutenue par une vingtaine d’associations locales ainsi que l’antenne Creuse de France Nature Environnement, l’association Canopée, spécialisée dans la défense des forêts et le « groupe forêt » du Syndicat de la Montagne Limousin. Elle est soutenue par les syndicats et les partis de gauche… Une réunion publique plus large a eu lieu le 28 janvier 2024, réunissant environ 600 personnes. Antoine de Cockborne, PDG de Biosyl, invité pour débattre de son projet, a préféré ne pas venir. Ce fut une rencontre à la fois intéressante et dynamique avec du cinéma, du théâtre, des chansons… et des discours politiques.
Au lendemain de cette réunion, la préfète de la Creuse a annoncé qu’elle donnait son feu vert à cette création d’usine sans procédure d’autorisation ni enquête publique. La mairie de Guéret et celle de Saint-Fiel (le terrain est à cheval sur les deux communes) avaient chacune accordé un permis de construire en décembre. Le 7 février, la FNE23 et Canopée déposent des recours en annulation des permis de construire : le terrain de Saint-Fiel est classé en zone naturelle, celui de Guéret fait plus de 10 hectares et comprend une zone humide, etc. Le 11 mars, le maire de Saint-Fiel a retiré le permis de construire accordé à tort.
Le 20 mars, les associations ont appris que le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine s’apprêtait à voter une subvention de 650 000 € à Biosyl pour l’implantation de son usine. La Canopé et les élus régionaux (écologistes et PC) se mobilisent pour expliquer tout le mal qu’ils pensent de Biosyl. L’examen de la demande de subvention est retiré de l’ordre du jour. En mai, une étude scientifique de la flore et de la faune du terrain projeté a révélé la présence d’espèces protégées. Canopée et FNE23 déposent un recours en annulation contre la décision préfectorale du 29 janvier.
Une grande manifestation en défense des forêts limousines était prévue dimanche 30 juin. Elle a également dû s’opposer à l’extension de la scierie Farge à Egletons, en Corrèze, même si ce deuxième point de tension passe souvent au second plan. La manifestation de juin a été reportée en raison des élections législatives. C’est cette manifestation qui s’est déroulée du 4 au 6 octobre. Malgré beaucoup de battage médiatique et une météo magnifique, les 5 000 manifestants attendus ne se sont avérés que de 3 000. La soirée du 4 a été consacrée à la réception sur un terrain prêté par la ville de Guéret. A ce propos, on peut noter que le maire de Guéret, qui a accordé le permis de construire à Biosyl en décembre dernier, s’est aujourd’hui mué en opposant au projet, ce qui n’a pas empêché la communauté urbaine de vendre le terrain…
Le 5 au matin, quelques centaines de manifestants ont pu visiter le site en compagnie de naturalistes et observer cette nature à conserver. Reconstituant la « marche des bâtons » qui a eu lieu à Notre-Dame-des-Landes en 2016 (comme un engagement pris de revenir défendre la ZAD si le projet d’aéroport était maintenu), quelques centaines de personnes ont planté leurs bâtons sur le site. . Lors du repas qui a suivi, une conférence de presse a permis aux représentants des deux associations organisatrices de présenter leurs critiques sur le projet avant de donner la parole aux nombreux élus (régionaux, nationaux et européens) majoritairement LFI et écologistes. Finalement, la marche n’est pas partie directement de ce site, mais a suivi un covoiturage plus proche du centre-ville où d’autres manifestants s’étaient rassemblés. Comme le souhaitaient les organisateurs, il s’agissait d’un événement entièrement familial et festif suivant une structure représentant un crapaud à ventre jaune. L’installation de banderoles et de collages le long du parcours n’a pas constitué une rupture avec ce défilé déterminé mais respectueux.
Sous la surveillance attentive (mais à distance raisonnable) de nombreux forces de l’ordre, nous avons pu défiler dans les rues de Guéret. La préfecture avait interdit le passage devant son entrée principale par une barrière inédite en Limousin : un mur de grilles et de plaques de plexiglas derrière lequel se cachaient les flics. Symboliquement, des poignées de pellets ont été lancées sur les grilles de l’arrière-cour de la préfecture (rebaptisée « Pelleture de la Creuse » par une banderole pour l’occasion). Une personne a été interpellée lors de cet épisode… elle avait accidentellement confondu un escabeau avec une poignée de plombs. Elle a été relâchée avant la fin de la manifestation, mais cela n’est pas dû à la pression des manifestants, à qui les organisateurs ont demandé d’aller écouter les discours qui se déroulaient à la mairie, quelques dizaines de mètres plus bas. , mais en raison de la négociation des organisateurs de l’événement.
L’énergie de cet événement a agréablement surpris la région. On peut cependant légitimement se demander s’il suffira d’abandonner le projet (le préfet semble être parfaitement borné) ou s’il faudra mettre en œuvre des actions plus radicales. Certains militants regrettent que la manifestation ait pris cette tournure très conventionnelle et festive et n’ait pas eu lieu sur le site de l’usine Farges, à Egletons, pour l’arrêter pendant au moins une journée… Des actions touchant directement le portefeuille de ces structures plutôt que leur image sera peut-être nécessaire à l’avenir pour faire entendre notre détermination. Et nous n’oublions pas la promesse faite de venir récupérer nos bâtons sur place – c’est-à-dire occuper les lieux – si les travaux commençaient !
Source: Oclibertaire.lautre.net