La Presse sur la Basse-Côte-Nord

(Unamen Shipu) « Dans ma tête, je me disais que je n’allais pas trouver de noirs ici ! » Nadège Diarrassouba rigole.

Assise sur le coin d’un bureau, l’Ivoirienne de naissance poursuit : « Et quand je suis arrivée, je l’ai trouvé », s’exclame-t-elle.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Nadège Diarrassouba, qui enseigne à l’école Olamen, est d’origine ivoirienne.

Il s’agit de Dieudonné Uzubahimana, « l’ambassadeur » du contingent africain qui a mouillé sur la Basse-Côte-Nord. Arrivé dans la communauté innue en 2003, il a en quelque sorte ouvert la voie à ceux qui lui ont succédé. Aujourd’hui, un tiers des enseignants de l’école Olamen viennent d’Afrique.

« Franchement, je ne me suis jamais senti dépaysé », raconte Dieudonné, assis à l’autre bout de la classe.

Nous sommes à 1 300 kilomètres à l’est de Montréal, dans le village isolé d’Unamen Shipu. Le hameau de 1 200 âmes qui surplombe le golfe du Saint-Laurent n’est relié à aucune route.

Il faut s’y rendre en bateau ou en avion.

L’hiver y est long et rigoureux. Lors du passage de La presse À la mi-mars, une forte tempête a forcé la fermeture de toutes les activités communautaires pendant deux jours.

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L’école Olamen, dans le village d’Unamen Shipu, à 1 300 kilomètres à l’est de Montréal

L’école Olamen ne fait pas exception. Les enfants sont restés à la maison. Mais au cœur du blizzard, le grand bâtiment aux couleurs vives rumine la chaleur des échanges animés du groupe d’enseignants. A notre demande, ils ont accepté de nous raconter leur expérience.

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Dieudonné Uzubahimana est arrivé dans la communauté d’Unamen Shipu en 2003.

La question se pose naturellement. Pourquoi s’exiler au milieu de nulle part pour enseigner ? « Je suis une aventurière, j’avais envie de voyager », répond Nadège, qui a débarqué au village nordique en 2021.

«Le stress de Montréal était trop fort», ajoute le technicien en informatique qui a vécu trois ans dans la métropole.

« On est loin, mais on ne le sent pas à cause de la mer », explique à son tour Dieudonné. Avant de s’établir sur la Rive-Nord, il a accumulé des contrats dans différentes commissions scolaires. Son choix s’explique par l’attrait d’un poste d’enseignant à temps plein.

Stabilité et tranquillité

La plupart mentionnent également la stabilité d’emploi offerte dans la communauté. Les conditions sont également attractives. Le conseil de bande (leur employeur) offre un salaire égal à celui des enseignants du secteur public, en plus d’une prime de séparation de plus de 10 000 $ par année.

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Maisons dans lesquelles vivent les enseignants de l’école Olamen

L’hébergement est fourni à faible coût. La facture mensuelle pour un cinq et demi est de 350 $ par mois, électricité comprise.

L’enseignement est également plus personnalisé avec un nombre maximum d’élèves par classe étant de 15. Les enseignants bénéficient également d’une grande autonomie et flexibilité.

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Félix Bigirimana, Burundais de naissance, enseigne aux jeunes de l’école Olamen.

Félix Bigirimana arrive de l’Ontario, où il a travaillé notamment auprès des communautés autochtones. Ce Burundais de naissance a enseigné le droit en Malaisie et possède également une maîtrise en travail social. Il cherchait à s’établir au Québec.

La vie le mène alors à l’opportunité d’enseigner à Unamen Shipu. Il hésite. «Je pensais que le Nord était un endroit invivable. J’ai vu beaucoup d’animaux, de la neige. Je ne pensais pas pouvoir m’intégrer », explique l’enseignante de 4e secondaire.

Dans la salle de classe aux murs orange, les histoires personnelles et les parcours professionnels varient.

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Le professeur Yero Lankou Kane vient du Sénégal.

« Il y a trois doctorants ici. Lui en mathématiques, lui en économie…», explique fièrement Yero Lankou Kane en désignant ses camarades. Il est lui-même diplômé en soins infirmiers.

« Ce sont des enseignants initialement formés qui ont enseigné plusieurs années auparavant », ajoute le Sénégalais de naissance.

Il est en septième année à Unamen Shipu. Deux de ses filles ont même obtenu leur diplôme à l’école innue, qui accueille quelque 300 élèves de la maternelle à la 5e année.e secondaire. «C’est ma vie préférée ici», poursuit Yero, vantant la tranquillité des lieux. Dans la communauté, il est même surnommé Yero Lalo Bellefleur, en référence à deux patronymes courants dans le village innu.

Indispensable à la survie

Le directeur d’Olamen l’avoue : la contribution des enseignants africains est essentielle à la survie de l’unique école de la communauté. «Trouver des gens prêts à venir investir un, deux ou trois ans ici est plus difficile», souligne Éric Reid, directeur depuis 2019.

« Nous avons un environnement assez exceptionnel : chasse, pêche […] l’air est frais, la quantité de CO2 à l’école ne dépasse pas 2000 ppm», souligne-t-il, le sourire dans la voix.

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Éric Reid, directeur de l’école Olamen

Le logement est correct, le salaire est le même, il y a une prime. Il existe des possibilités.

Éric Reid, directeur de l’école Olamen

L’école ne recrute pas à l’étranger ; ce sont les candidats eux-mêmes qui postulent aux postes. M. Reid dit recevoir « beaucoup » de CV de candidats africains.

« Ce ne sont pas des étrangers, ce sont des gens qui sont au Canada, qui ont leur [permis] travail […] Lorsque les CV sont intéressants, je leur envoie des informations sur la façon de procéder, notamment pour la demande de certification québécoise, puis je les laisse partir», explique-t-il.

Lorsqu’ils arrivent à Unamen Shipu, ils sont prêts à travailler.

L’école Olamen en chiffres

  • 311 : nombre d’élèves de la maternelle à la 5e annéee secondaire
  • 33 : nombre d’enseignants (dont 10 africains)

Source : école Olamen

Unamen Shipu en bref

  • Éducation : 82 % des personnes âgées de 25 ans et plus ont un niveau d’éducation inférieur au secondaire (données 2016).
  • Taux de diplomation 2018-2023 : 44 % (le taux pour la même période au Québec : 72 %)
  • Taux de chômage : 29 % (données 2016)
  • Population : 1 178 (données 2024)

Sources : Statistique Canada, Secrétariat des Affaires autochtones, ministère de l’Éducation

” Aucune différence “

Marie-Chantal Mark est « assistante pédagogique » dans une classe adaptée de 4e année primaire. « Ce sont de belles rencontres », raconte l’Innue qui travaille à l’école Olamen depuis deux ans.

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Ses collègues Fatma Bennabi, d’origine algérienne, et Marie-Chantal Mark, Innue

« C’est comme les enseignants du Québec. Il n’y a aucune différence », résume-t-elle. Au contraire, elle voit plusieurs similitudes entre les enseignants d’origine africaine et les membres des Premières Nations.

« On dirait que c’est presque la même chose. Nous avons chacun notre culture. Ils ont leur propre artisanat, tout comme nous tous. […] Ils sont accueillants comme nous tous, ils respectent les autres, comme nous tous », résume M.moi Marque.

L’accueil des Innus a beaucoup à voir avec leur intégration, selon des enseignants venus de l’étranger. « C’est un peu l’accueil africain : l’esprit familial, l’esprit communautaire », illustre Dieudonné.

Quelqu’un, même s’il ne vous connaît pas, peut venir chez vous et vous apporter du poisson, de la viande. Je me sentais chez moi.

Dieudonné Uzubahimana, enseignant

Yero est d’accord : « Les Innus sont un peuple ricanant. Le défi est de créer [un lien]. Ils ont cette ouverture. Nous avons vécu un peu la même situation coloniale. On crée une ouverture avec ça. »

L’école organise également des soirées d’échanges culturels. Les enseignants sont également invités à participer aux activités communautaires du village.

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Marie-Christine Mestenapeo

« À la fête de Noël, chacun apporte un plat », raconte Marie-Christine Mestenapeo, que l’on croise dans les couloirs de l’école.

« C’est sûr qu’il y en a qui ne peuvent pas tout manger à cause du contact avec le porc. Mais nous respectons cela », affirme la bibliothécaire. A ses côtés, Fatma Bennabi, institutrice de francisation au primaire.

L’enseignante d’origine algérienne, de confession musulmane, porte le voile. Ceci est permis à l’école Olamen puisque l’employeur n’est pas l’État du Québec, mais le conseil de bande. On lui pose beaucoup de questions sur ses cheveux, dit-elle en riant. « Ils sont curieux, c’est sympa », assure-t-elle.

L’institutrice a également promis à ses petits élèves de leur montrer ses cheveux à la fin de l’année.

« Puis-je les voir aussi ? », s’exclame Marie-Christine.

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Fatma Bennabi (à droite) est enseignante en francisation au primaire.

” Bien sûr, avec plaisir. Les femmes peuvent voir », répond Fatma. ” Oh oui ? Entre femmes ? C’est nouveau, voyez-vous, je ne le savais pas», rétorque l’Innu.

Pour le directeur Éric Reid, la présence de ces enseignants crée une « ouverture sur le monde » dans la communauté « isolée et fermée ».

«C’est un meilleur reflet du Québec. C’est aussi dans ce sens [que leur présence] cadre. […] Cela apporte beaucoup de couleur. Cela change complètement le décor. C’est comme un rayon de soleil. »

 
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