« Collaboration » avec Poutine, Macron « empêchée »… que peut changer la crise politique en France ? – .

La Dépêche du Midi : Pensez-vous qu’on sous-estime le pouvoir du Premier ministre sur les questions internationales dans un contexte de cohabitation ?

Guillaume Ancel : Absolument, nous pensons toujours que les questions internationales sont l’apanage du président de la République mais la clé du garage sera dans le gouvernement. Le président peut dire qu’il veut aider l’Ukraine, mais si le gouvernement dit que c’est hors de question, il trouvera tous les moyens pour l’en empêcher. Le président joue un rôle clé, mais la direction exécutive revient au Parlement.

Y a-t-il un risque de blocage si le Rassemblement national arrive à Matignon ?

Paradoxalement, que ce soit l’extrême gauche ou l’extrême droite, on risque d’avoir le même type de changement, c’est-à-dire une volonté absolue d’arrêter la guerre au détriment de l’Ukraine. Qu’il s’agisse de Mélenchon ou des cadres du RN, ils n’imaginent pas une seconde résister à Poutine.

Est-ce par peur d’un incendie ?

Ceci est principalement pour des raisons idéologiques. Mélenchon a une forme d’admiration pour des gens comme Poutine qu’il considère comme des descendants de l’URSS. Et à l’extrême droite, on y voit une incarnation de Napoléon Bonaparte. Tout le monde souhaite ne pas s’opposer à Poutine. On l’entend dans les discours du RN, ils ne veulent pas d’escalade ni de conflit mondial, ils ne veulent pas envoyer des hommes « mourir pour le Dombass » alors qu’ils sont les premiers à réclamer l’armée en banlieue quand trois gamins volent un Sac à main…

Quelles seraient les conséquences d’un tel scénario au niveau européen ?

Aujourd’hui, la France joue un rôle clé dans la tentative d’unification de l’Europe et l’implication de l’UE est importante en Ukraine. Demain, si l’extrême droite arrive au pouvoir, elle fera tout pour arrêter la guerre. Ils donneront à Poutine une victoire de facto, même si cela implique de briser l’Ukraine. Mais ce ne sera qu’une paix illusoire et provisoire car Poutine a toujours dit qu’il lui fallait 2 à 3 ans pour reconstruire son armée et reprendre son offensive.

Il existe également des liens évidents entre le parti de Marine Le Pen et la Russie ?

C’est une évidence, il existe un lien fort, financier et culturel, entre le RN et la Russie. C’est une banque proche de Poutine qui a financé le RN ces dernières années. Et c’est encore pire avec Zemmour et Marion Maréchal qui ont affiché leur fascination pour le président russe avant 2022. Je suis aussi frappé de voir que les éléments de langage du Kremlin sont systématiquement relayés par le RN.

Et si la France Insoumise arrivait au gouvernement ?

Avec l’extrême gauche, la politique ne serait pas très différente. Ils n’imaginent pas mobiliser des moyens importants en France pour s’opposer à Poutine. Ils n’ont pas vraiment envie de défendre l’Ukraine, on a l’impression que la guerre ne les concerne pas, au contraire, il faudrait entretenir de bonnes relations avec Poutine.

Le nouveau gouvernement aurait-il des alliés au niveau européen, sa voix serait-elle entendue ?

Aujourd’hui Viktor Orban (le très russophile Premier ministre hongrois) est isolé, mais avec à ses côtés un pays puissant comme la France, ils pourraient torpiller tout ce qui est intelligent en matière de défense et de sécurité européenne. Au niveau du Conseil européen ou de la Commission européenne, même si le président répète qu’il veut s’impliquer, c’est le gouvernement qui prime.

Quelles seraient les premières mesures du RN concernant l’Ukraine ?

Je pense qu’ils trouveraient un relais dans les rangs de l’armée, 20% des militaires adhèrent à leurs idées. Ils bloqueraient l’aide à l’Ukraine et ruineraient le pays pour satisfaire Poutine. Cela s’appelle la collaboration ! Ils vendront l’option de la paix, mais cela enverrait un message dramatique au monde, en particulier à la Chine. Il faut savoir que le pays observe attentivement l’issue de la guerre en Ukraine et le soutien de l’Occident pour savoir ce qu’il fera de Taïwan…