jeIl est toujours tentant de faire des comparaisons plus ou moins fondées lorsque les Bleus et les Noirs se rencontrent. Le culte des grands attaquants, le goût du mouvement… Mais s’il y a bien un point commun entre ces deux sélections, au-delà des clichés cosmétiques, c’est probablement leur propension à puiser des ressources humaines dans les archipels et royaumes de Polynésie.
Dans le groupe de 42 qui préparait la réception de la Nouvelle-Zélande, ce samedi (21h10) au Stade de France, ils étaient sept. Uini Atonio et Emmanuel Meafou, tous deux nés en Nouvelle-Zélande et d’origine samoane, Romain et Sébastien Taofifénua, les deux frères dont les racines familiales s’étendent jusqu’à Wallis et Futuna, tout comme Peato Mauvaka et Yoram Moefana, nés à Nouméa en Nouvelle-Calédonie. Et enfin le petit dernier, Tevita Tatafu, arrivé à Bayonne il y a cinq ans en provenance du royaume des Tonga. Une sélection qui a inspiré ce commentaire de Peato Mauvaka : « C’est bien d’ajouter des insulaires au groupe. »
Si le XV de France en est un, alors la communauté des joueurs du Pacifique forme une entité à part entière à Marcoussis. Un cercle dans un cercle. « Tout le monde sait que nous, les « Pacifiques », sommes très familiaux », déclare Uini Atonio. Nous aimons rire et passer du temps ensemble. Cela ne veut pas dire que nous restons uniquement entre nous. Nous parlons beaucoup avec les autres. Mais nous savons aussi que lorsque les choses sont difficiles, nous pouvons compter les uns sur les autres. […] Au bout d’un moment, nous sommes comme des frères. »
Cette spécificité, le XV de France en fait une de ses richesses. Au-delà même de l’avantage que constitue leurs dispositions génétiques qui les dotent de capacités physiques pas comme les autres, assure William Servat. “Je vais vous confier un petit secret, j’adore ce cercle”, s’enthousiasme avec tendresse le co-entraîneur des attaquants du XV de France. « Ce sont des gens, physiquement et humainement, extraordinaires. Lorsqu’ils sont dans le groupe, ils l’aident à se transcender. »
La cellule a ses codes
La cellule possède ses propres codes. Elle se nourrit autant de la similitude des cultures des membres qui la composent que de la variété des parcours qui les ont conduits au CNR. “Nous venons tous de loin, nous savons ce que signifie ne pas être avec nos familles”, reconnaît Uini Atonio. « Nos parents ont grandi de la même manière : sur les îles, sans grand-chose. En fait, il y a une similitude dans la différence (rires). »
Il faut sans doute chercher dans cet ADN commun la raison de la reproduction de certains schémas. La société polynésienne est souvent structurée autour d’une figure patriarcale. A Marcoussis, c’est Uini Atonio qui assume ce rôle. Grosse barbe perchée à un peu moins de deux mètres de haut, silhouette trahissant près de 150 kilos… Le Rochelais a le profil idéal. “Uini, c’est le patron !” », s’amuse Yoram Moefana.
La « promotion » fait sourire l’intéressé : « On dit ça parce que je suis le plus âgé (34 ans). Mais je continue de penser qu’il n’y a pas de véritable hiérarchie. Avec Romain (NDLR, Taofifénua, 34 ans également), on a aidé les autres à leur arrivée. » Une version corroborée par Peato Mauvaka : « Ce n’est pas le leader, plutôt le « papa » de tout le groupe. Même quand c’est dur, il envoie toujours de bonnes vibrations à toute l’équipe. »
Le kava instantané
Malgré leur discrétion assumée, les Islanders alimentent la vie des Bleus à Marcoussis. On se souvient du barbecue polynésien préparé par Henry Tuilagi, le papa de Posolo, juste avant la première sélection de son fils lors des Six Nations 2024. Mais il y a des moments plus intimes. « On fait parfois du kava à Marcoussis », raconte le pilier de l’UBB Sipili Falatea qui, sans blessure, aurait augmenté le nombre de joueurs de Futuna sur cette tournée.
“On met sur le groupe WhatsApp qu’on va faire un petit kava : la salle est souvent pleine”
“Quand on a deux semaines, sans match le week-end, on peut le faire”, confirme Uini Atonio. « Calme, juste pour parler ensemble. Et ce qui est cool, c’est qu’il n’y a pas que nous. On met sur le groupe WhatsApp qu’on va faire un petit kava : la salle est souvent pleine. » Relaxante, cette boisson aux herbes n’est pas de l’alcool, elle est donc tolérée par le nouveau mode de vie français. « C’est une tradition, c’est important qu’elle puisse exister », confirme-t-on en interne.
Ces petites choses peuvent paraître anodines. Or, ils ne le sont pas, assure William Servat. Entrelacés les uns aux autres, ce sont eux qui donnent de la force au rayonnement de la communauté insulaire malgré leurs caractères introvertis. « Ces gens-là sont parfois faits de moins de mots, car ce sont des personnages un peu plus discrets. Un Peato ne va pas vous remplir d’écrits et de mots par exemple. Mais c’est un vrai leader sur le terrain. » Le meilleur terrain d’expression des « frères » polynésiens du Bleu.