Grâce à ses 12 territoires d’outre-mer, la France possède 60 000 km2 de récifs coralliens, soit 10 % de la superficie mondiale. Si à La Réunion ce récif ne mesure que 18km2 et 25 km en tant que barrière de corail, son rôle n’en reste pas moins essentiel dans l’écosystème. Cette oasis marine abrite plus de 3 500 espèces animales et végétales, dont environ 200 espèces de coraux. Mais derrière la carte postale des lagons de sable blanc et d’eau turquoise, se cache une barrière de corail dégradée et menacée par de nombreux facteurs.
Le rôle du réchauffement climatique… mais pas seulement !
À l’échelle mondiale, 20 % des récifs coralliens ont définitivement disparu au cours des 30 dernières années. Et La Réunion ne fait pas exception : dans les années 1980, les coraux occupaient plus de 65 % du récif. Aujourd’hui, ils sont estimés entre 20 et 25 %. Les menaces sont mondiales mais aussi locales. “Depuis 1998, nous observons régulièrement des épisodes de blanchissement des coraux, qui concernent particulièrement les coraux ramifiés. Tous les 4 ou 5 ans, on observe des épisodes majeurs de blanchissement des coraux» explique Bruce Cauvin, responsable du centre pédagogique au sein de la Réserve marine nationale de la Réunion. Pour schématiser le phénomène, il faut rappeler que le corail est un animal, un polype, qui crée un squelette calcaire. Ce petit polype vit en symbiose avec une algue : la zooxanthelle. Cependant, lorsque la température devient trop élevée, la zooxanthelle fuit le polype et provoque son affaiblissement, voire sa mort si la température ne baisse pas rapidement.A la Réunion, suite à ses épisodes, une petite partie mourra, environ 10 %. C’est donc l’une des menaces fortes qui pèsent sur nos récifs coralliens à La Réunion.», détaille Bruce Cauvin.
Mais sur cette île de l’océan Indien, la menace réside aussi dans le bassin versant. Les fortes pentes du territoire entraînent de potentielles coulées de boue dues à l’augmentation du ruissellement des eaux de surface, notamment des apports présents dans les sols agricoles ou des hydrocarbures. Des matières dangereuses pour les récifs coralliens dans lesquels elles se jettent. En cause, la déforestation qui s’opère depuis la colonisation de l’île, accompagnée d’une bétonisation croissante qui rend les sols moins perméables.
Agir sur les causes anthropiques
S’il ne faut pas négliger l’impact des usagers (piétinement des coraux, utilisation de crème solaire toxique, récupération des coraux sur les plages), les causes anthropiques apparaissent bien plus importantes dans la dégradation des récifs. Léo Broudic est doctorant en socio-écologie (Université de Rennes et Sciences Po Paris). Egalement salarié de l’association ARBRE (association de recherche pour la biodiversité à La Réunion), il développe une thèse intitulée « De l’écologie du paysage à l’aménagement du territoire : vers une gestion intégrée des récifs coralliens de La Réunion ». Nous le rencontrons à Saint-Pierre, près du lagon et d’une évacuation surnommée la buse sirène. “Ce sont des eaux usées et des eaux de pluie qui se mélangent et ressortent directement dans le récif. Un panache qui impactera toutes les communautés coralliennes environnantes. Avec nos résultats, nous constatons que les coraux ici sont morts.“, explique le chercheur.”Chacune des menaces a ses auteurs. L’idée de la thèse est de voir : qui est responsable de quoi, et qui a le pouvoir de changer ces trajectoires.» argumente Léo Broudic. Son objectif est de mettre les décideurs politiques face aux réalités. Pour ce faire, il souhaite développer des outils ludiques et concrets à destination des pouvoirs publics en lien avec l’aménagement du territoire afin de prendre en compte les risques liés au récif. Il s’agit notamment du plan d’aménagement du territoire qui doit être prochainement révisé.Il resterait environ 3 200 hectares à urbaniser à La Réunion. Il faut maintenant se poser la question, avec toutes les parties prenantes, non seulement économiques mais aussi populaires, et dire : que voulons-nous ?« . Il prône également le développement d’outils de démocratie participative afin que la population soit écoutée et que sa voix soit prise en compte.
Savoir pour mieux protéger
Parmi les actions de sensibilisation, on retrouve également la pratique des boutures de coraux. Le principe est simple, récupérer des fragments de coraux morts et les réimplanter sur des structures en acier inoxydable immergées dans le lagon, appelées frames. A La Réunion, l’association Co-récif en a installé deux dans le bassin pirogue de l’Étang Salé il y a deux ans. “Nous avons de très bons résultats et des colonies qui commencent à atteindre une taille significative.», précise Caroline Massac, représentante de l’association. En effet, à quelques dizaines de mètres du rivage, on découvre sous l’eau deux structures chargées d’une centaine de coraux colorés, disposées comme une œuvre d’art. Co-récif accompagne les étudiants et bénévoles réunionnais pour découvrir cette pratique, mais plus largement pour faire connaissance avec le récif.Nous faisons des boutures pour sensibiliser, nous voulons montrer ce qu’est le corail, que c’est un animal vivant et fragile. Et montrez les pressions qu’il subit. Les boutures en termes de restauration sont la solution ultime. Nous ne pouvons pas faire cela en disant « c’est bon, nous avons fait notre part, nous avons sauvé le récif ». Ce qui fonctionnera, c’est : observer pourquoi il a des difficultés à se développer, quelles sont ces pressions et comment lutter contre elles. Si on a toujours de l’eau de mauvaise qualité qui arrive dans le lagon, les coraux ne se développeront pas et cela ne servira à rien..» conclut le spécialiste de la biologie marine tropicale.
Et si sensibiliser ne suffisait plus ? En effet, il y a urgence, confirme Tévamie Rungassamy, responsable du pôle Patrimoine naturel à la Réserve marine : «Nous sommes dans une situation d’urgence depuis plusieurs années, la particularité c’est que nous sommes dans un écosystème qui va essayer de se maintenir mais à un moment on va arriver à un point d’effondrement. Cette dernière phase est souvent liée à un emballement, c’est-à-dire une accélération des phénomènes de dégradation. Pour le moment, ça tient mais de moins en moins bien.» explique le scientifique. “Aujourd’hui, les récifs coralliens et les écosystèmes associés répondent encore du mieux qu’ils peuvent aux services écosystémiques qu’ils nous rendent. Ainsi, le récif corallien nous protège contre l’agression des vagues, les squelettes de coraux permettent entre autres la production de sable blanc pour nos plages, les récifs attirent les touristes et constituent une ressource alimentaire par exemple. Mais tout cela pourrait encore s’effondrer dans les années à venir..»
Cependant, combinés, les différents facteurs de nuisance ne cessent de croître. Comme le souligne la Réserve Marine, à l’échelle mondiale, 75 % des récifs pourraient atteindre un stade critique de menace et disparaître d’ici 2050.