Fort de votre expérience de ces grands procès, pouvez-vous dire s’il existe ou non plusieurs types de terrorisme ?
Oui. Dans les années 70 et 80, il y avait un terrorisme politique international, avec une organisation de type militaire. Carlos, dont j’ai présidé le procès en appel, en était un exemple. Lorsque le leader était frappé d’incapacité, l’organisation terroriste était également frappée d’incapacité. Maintenant, c’est différent. Elle est organisée différemment avec de nombreuses ramifications et sans chef et elle a alors des motivations religieuses. Nous ne luttons pas de la même manière contre ces organisations.
Avez-vous éprouvé du découragement ?
Non. Mais je n’échappe évidemment pas aux questions. Pierre Drai, ancien grand magistrat et premier président de la Cour de cassation, disait que juger, c’était « aimer écouter, essayer de comprendre et vouloir décider ». C’est la meilleure définition que je connaisse pour définir le pouvoir judiciaire.
Le procès Charlie Hebdo était un plaidoyer pour la liberté d’expression. Pensez-vous qu’on peut encore tout dire ?
Vous pouvez toujours dire n’importe quoi pendant un procès. La diffusion des images au tribunal est une vraie question. Les terroristes filment souvent leurs massacres. Qu’est-ce que cela peut apporter au déroulement d’un procès… Ce n’est vraiment pas facile. À mon avis, cela doit être décidé au cas par cas.
Un président de cour d’assises est comme un patron sur son voilier. Malgré le mauvais temps, il doit ramener son bateau au port
Les complices de l’assassinat de Samuel Paty sont actuellement jugés. L’opinion publique influence-t-elle la justice ?
J’étais en plein procès des attentats de janvier 2015 lorsque Samuel Paty a été assassiné. Cette attaque s’est produite un vendredi, je sortais du tribunal. Tout au long du week-end, je me suis demandé si je devais en parler à la reprise du procès… Un président de cour d’assises est comme un skipper sur son voilier. Malgré le mauvais temps, il doit ramener son bateau au port.
Vous avez présidé une cour d’assises qui a jugé une personne soupçonnée d’être complice de crimes contre l’humanité commis au Rwanda. Est-ce que cela provoque une pression supplémentaire ?
Juger des actes qui n’ont pas eu lieu dans notre pays et vingt ans plus tôt est complexe. Et contrairement aux procès terroristes, le jury était populaire. Il fallait lui faire prendre conscience de cette particularité et de ces faits imprescriptibles.
En quarante ans, votre manière de faire votre métier a-t-elle changé ?
Evidemment parce que la société a changé. Quand j’ai débuté ma carrière, la peine de mort existait encore en France ! La justice a évolué. Une plus grande attention est accordée aux victimes. On le voit avec les attentats terroristes de 2015. L’association présidée par Arthur Dénouveaux (qui sera présent vendredi 15 novembre à Cinévals : NDLR) s’est fortement impliquée à toutes les étapes du processus judiciaire.
Comment avez-vous vécu le travail de la presse sur ces procès ?
Le travail de la presse est nécessaire et complémentaire à notre mission. J’interagis avec vos collègues, je ne suis jamais intervenu auprès des journalistes. Lors du procès des attentats de janvier 2015, je n’ai pas lu la presse. Qu’aurais-je appris là-bas ? Mais j’ai lu le travail colossal réalisé par Yannick Haenel dans « Charlie Hebdo ». Je suis toujours en contact avec lui et j’aimerais l’amener à Saint-Jean-d’Angély. Lors du procès, j’ai beaucoup apprécié l’attitude de la rédaction de « Charlie Hebdo » qui s’est montrée très respectueuse de notre travail.
Envisagez-vous d’écrire un livre sur votre expérience ?
Non, on me le demande souvent. De nombreux juges ont écrit. Je préfère parler de mon travail lors de conférences et m’adresser directement au public.
Jack London disait : « L’homme se distingue des autres animaux notamment en cela : il est le seul à maltraiter sa femelle… ». Gardez-vous foi en l’humanité ?
Bien sûr. Il n’y a pas que des violeurs et des meurtriers sur terre !
(1) Les attentats de janvier 2015 en France sont une série d’attentats terroristes islamistes qui ont eu lieu entre le 7 et le 9 janvier 2015 en Île-de-France. Ils ciblent la rédaction du journal Charlie Hebdo, des policiers et des clients d’une supérette casher. Dix-sept personnes sont tuées et leurs trois assassins sont abattus par la police (Source Wikipédia).