Pourquoi une victoire de Bardella en France ne signifie pas qu’il pourra peser au Parlement européen

Pourquoi une victoire de Bardella en France ne signifie pas qu’il pourra peser au Parlement européen
Pourquoi une victoire de Bardella en France ne signifie pas qu’il pourra peser au Parlement européen

Avec plus de 32% d’intentions de vote, Jordan Bardella est le grand favori de ces élections européennes en France. Celui qui rêve de faire du RN le premier parti de France peut-il élargir son ambition à l’échelle européenne ? Le RN saura-t-il influencer Strasbourg ?

“La France revient, l’Europe revit”, promet Jordan Bardella dans son slogan de campagne pour les élections européennes. Largement en tête dans les sondages, avec plus de 32% d’intentions de vote, la candidate du RN devrait permettre au parti d’envoyer un nombre record d’élus au Parlement européen, dimanche 9 juin.

“Dimanche, on peut mettre l’Europe de Macron en minorité”, a argué Jordan Bardella, invité de BFMTV-RMC ce vendredi, dernier jour de campagne.

La tête de liste a appelé les électeurs à « aller voter contre Emmanuel Macron » et à envoyer un maximum d’eurodéputés RN qui « pourraient bloquer un certain nombre de politiques à Bruxelles et à Strasbourg ».

Jusqu’à présent, l’influence de l’extrême droite a été relativement faible au sein de l’hémicycle strasbourgeois. Mais avec cette « France » RN qui « revient » – selon les mots de la liste mariniste – l’Europe suivra-t-elle ? Autrement dit, une éventuelle victoire de Jordan Bardella lors du vote de ce dimanche signifie-t-elle que le Rassemblement national aura la latitude nécessaire pour mettre en œuvre son programme au niveau de l’Union européenne ?

Le Parlement de Strasbourg (dont les commissions se réunissent à Bruxelles) fonctionne différemment de celui de l’Assemblée nationale française. Les députés sont chargés de se prononcer sur les textes présentés par la Commission en première lecture, puis en deuxième lecture, après examen par le Conseil de l’Union européenne, à l’instar de la navette parlementaire entre l’Assemblée et le Sénat.

Mais contrairement au Palais Bourbon, où l’opposition se fait particulièrement entendre face à la majorité relative des macronistes, l’hémicycle européen est le lieu du compromis et de la négociation. « Il n’y a pas de majorité absolue », résume Valentin Ledroit, journaliste du site spécialisé Tout l’Europe. “Une majorité différente est construite pour chaque texte, en fonction des sujets et des sensibilités.”

Ainsi, il ne faut « pas contrarier les autres groupes car on aura forcément besoin d’eux à un moment donné pour un autre texte », précise-t-il.

Chaque liste nationale siège au sein d’un groupe européen – il y en avait sept lors de la dernière mandature. La nomination d’Ursula Von der Leyen à la tête de la Commission a par exemple été réalisée grâce à une coalition européenne entre la gauche sociale-démocrate, les centristes de Renew et la droite du Parti populaire européen. Groupes auxquels appartiennent respectivement Raphaël Glucksmann et l’élu PS-Place publique, Valérie Hayer et les élus de la Renaissance, et enfin François-Xavier Bellamy et les élus LR.

Une telle équipe devrait conserver 404 sièges sur 720 dans le futur Parlement, selon les projections du site spécialisé Europe Elects. Mais d’autres majorités peuvent exister : certains textes du Pacte vert ont ainsi été adoptés par des élus de la gauche radicale, à laquelle appartiennent les insoumis français, ainsi que de la droite. Et rien n’empêche qu’une autre coalition émerge.

Qu’en est-il de Jordan Bardella sur la scène politique européenne ? A Strasbourg, l’extrême droite française ne fait pas partie du même groupe. D’un côté se trouve le groupe Identité et Démocratie (ID), dans lequel siègent le Rassemblement national et jusqu’à récemment l’AfD allemande.. De l’autre, celui des Conservateurs et Réformistes (CRE), où siège Reconquête, mais aussi les puissants Fratelli d’Italia de Georgia Meloni et le PiS polonais.

Deux groupes qui semblent inconciliables. « Le groupe CRE est atlantiste, pro-Ukraine, libéral et conservateur », résume Thierry Chopin, conseiller spécial à l’Institut Jacques Delors, dans un entretien avec le site Euractiv. “Le groupe ID est nationaliste et russophile.” Et même au sein de ces deux groupes, les partis membres sont très hétérogènes et ne votent pas forcément de la même manière.

Ces divisions de l’extrême droite “réduisent ainsi l’impact que ces partis peuvent avoir sur la politique européenne”, souligne auprès de France info Sabine Volk, chercheuse associée à l’université de Passau en Allemagne.

Pour gagner en influence, Marine Le Pen plaide en faveur de la création d’un « grand groupe souverainiste ». Elle est soutenue dans ce projet par le leader identitaire hongrois, Viktor Orban. Mais l’autre figure majeure de l’extrême droite européenne, Giorgia Meloni, estimait récemment qu’il n’y avait « aucune unification en vue ». Elle envisage plutôt des collaborations ponctuelles, malgré les appels du leader du RN.

La tête de liste du parti nationaliste espagnol Vox, Jorge Buxadé, a également jugé une fusion des groupes « très difficile », préférant, comme Meloni, une « alliance politique » sur des points précis. Par exemple, sur une éventuelle réforme des traités, la lutte contre l’immigration, la politique énergétique et l’abrogation du Green Deal…

Pas de rapprochement en vue

En 2019, une tentative de rapprochement en début de mandat a échoué. En cause, entre autres : les positions pro-russes du RN, inacceptables pour les élus d’Europe de l’Est. Également le refus des députés britanniques pro-Brexit de s’allier, à l’époque, avec le parti de Marine Le Pen à l’image très négative outre-Manche.

En 2024, ces questions internationales restent a priori l’un des principaux points de blocage pour une alliance de l’extrême droite pour cette nouvelle législature. «Je ne les vois vraiment pas travailler ensemble», estime Valentin Ledroit.

« Paradoxalement, au niveau européen, Reconquête, qui appartient à la CRE, est considérée comme moins d’extrême droite que le RN », souligne le journaliste spécialiste du Parlement européen.

Au point que la droite du PPE a déjà exprimé sa volonté de travailler avec les conservateurs de la CRE. La présidente Von der Leyen du PPE discute par exemple avec le parti de Giorgia Meloni pour obtenir le soutien de l’extrême droite italienne pour sa réélection à la tête de la Commission.

Dépassé par la CRE dans sa capacité à forger des alliances et des majorités, Identité et Démocratie se heurte alors au refus catégorique exprimé par les autres formations d’y faire face. Avec les Verts et la gauche radicale, les libéraux de Renew et les sociaux-démocrates se sont ainsi engagés dans une déclaration commune le 8 mai à « ne jamais coopérer ni former de coalition avec des partis d’extrême droite et radicaux ».

Le RN, toujours isolé ?

Même avec plus de 30% des voix ce dimanche, le RN de Jordan Bardella risque donc de se retrouver à Strasbourg, dans la même situation qu’aujourd’hui, malgré un plus grand nombre d’eurodéputés. Et donc de siéger, avec un plus grand nombre d’eurodéputés, mais dans un groupe qui resterait isolé.

Jordan Bardella réfute cet isolement. Selon lui, l’extrême droite italienne de Giorgia Meloni serait plus disposée à traiter avec le RN qu’on ne le pense, disait-il, interviewé fin mai dans l’émission « C à vous » sur France 5.

“Aujourd’hui, le courant d’idées que je porte (…) émerge à travers tout le continent européen”, a-t-il encore soutenu ce vendredi sur BFMTV-RMC.

Et Jordan Bardella cite encore l’Italie, mais aussi les Pays-Bas et la Suède. “Tous les alliés de mon groupe actuel au sein du Parlement européen (…) se voient donner la tête de ces élections européennes dans leurs pays respectifs”, a-t-il assuré. « Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de changer l’UE de l’intérieur avec nos alliés, ce qui n’était évidemment pas possible il y a dix ans. »

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