Les inégalités entre les sexes à l’école persistent. Les filles obtiennent en moyenne de meilleurs résultats que les garçons en français et vice versa en mathématiques. Bonne nouvelle, dans la première discipline, l’écart se réduit. Mauvaise nouvelle, dans la seconde, ça empire. C’est l’un des résultats des évaluations nationales des classes de 6e et 4e passées par les élèves en septembre, dont les résultats ont été publiés jeudi soir. Et « cela pose question », prévient-on sommairement le ministère de l’Éducation.
Depuis 2017, la note moyenne des filles en mathématiques à leur entrée en 6e est restée stable, tandis que celle des garçons a progressé. Résultat : l’écart s’est creusé de sept points en sept ans. Cette évolution se confirme à travers les résultats des élèves de 4e, enregistrés depuis deux ans. Ainsi, à la rentrée 2024, le score moyen des collégiennes était supérieur de dix points à celui des collégiennes. Ils ont perdu deux points en un an, alors que le niveau des garçons n’a pas baissé. En outre, plus de filles appartiennent au groupe qui a moins réussi que l’année dernière.
Toutefois, l’Éducation nationale met l’accent sur l’égalité des sexes. Le discours public valorise aujourd’hui la promotion des femmes dans les carrières scientifiques, représentée comme un enjeu majeur pour l’économie et la société du pays en général. Alors comment expliquer que l’écart en mathématiques se creuse encore à l’école en 2024 ? « Nous essayons d’aborder ce sujet, mais il y a un vrai travail de fond à faire dans la société : le sexisme est fort dans de nombreux domaines, dont les mathématiques », constate Claire Piolti-Lamorthe, présidente de l’Association. des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (APMEP).
Abandonner à l’âge où commencent les stéréotypes
Des études récentes, comme celle publiée en 2022 par des chercheurs français dans le British Journal of Developmental Psychology, révèlent que l’écart se produit dès la moitié de l’année de CP. Et cela avant d’augmenter dès l’entrée en CE1, indiquait encore l’Institut des politiques publiques (IPP) en janvier dernier, précisant que tous les cercles sociaux et tous les types d’écoles étaient concernés. En d’autres termes, « l’abandon se produit au moment où les mathématiques sont appelées mathématiques et les stéréotypes commencent », raconte Claire Piolti-Lamorthe.
Ce poids des clichés de genre a-t-il augmenté ces dernières années ? Le masculinisme progresse chez les jeunes, déplorait en janvier le Haut Conseil à l’égalité, et les stéréotypes sexistes n’échappent pas à cette résurgence. « Il suffit de regarder la dernière tendance sur TikTok, #GirlMath », pointe Mohamed Nassiri, professeur de mathématiques dans un lycée de Lille, en référence aux vidéos humoristiques de jeunes utilisatrices justifiant des dépenses non essentielles par des calculs douteux. « Au final, ça renforce l’idée que les filles sont mauvaises en maths. »
Contrairement aux souhaits affichés par les pouvoirs publics, « le système n’a pas mis en place les bonnes actions pour favoriser la réussite des filles en mathématiques », estime l’enseignante. Et autant dire que lors de la préparation d’une Olympiade d’informatique, on lui avait demandé de former des binômes filles et garçons, ce qui selon lui n’était pas très efficace pour combattre des stéréotypes déjà intériorisés. « J’ai réalisé que tous les garçons étaient derrière les ordinateurs et que les filles rédigeaient les rapports. Quand je leur ai demandé si c’était une blague, filles et garçons ont répondu que c’était parce que les filles étaient plus à l’aise dans ce rôle. »
Manque d’exemples de mathématiciennes connues
« De nombreuses pratiques doivent être modifiées », insiste Mohamed Nassiri, qui cite notamment l’attribution de la parole en classe – davantage accordée aux garçons selon un rapport du HCE de 2017 –, et les propos genrés relevés dans les bulletins scolaires. Il a mis en place des cours non mixtes pour les filles de première secondaire – « parce qu’une sur deux abandonne les mathématiques l’année suivante, contre 30 % des garçons ».
Surtout, le manque d’exemples de femmes mathématiciennes connues convainc les filles qu’elles ne sont pas capables de réussir dans cette discipline, qui est par ailleurs majoritairement enseignée par des hommes, rappelait le site spécialisé Café Pédagogique en 2022. « On parle du théorème de Thales, de Pythagore, mais on pourrait aussi essayer de célébrer les femmes mathématiciennes, et elles sont nombreuses, pour donner un plus grand sentiment d’appartenance aux filles », estime Rudy Trevet, professeur de mathématiques dans un collège de l’Aube.
Il identifie un autre point problématique : « Faites attention aux documents et exercices que l’on donne et qui véhiculent des stéréotypes sexistes. » A la traditionnelle « maman qui fait les courses et qui doit calculer le retour de la monnaie », il préfère désormais travailler sur des calculs qui portent sur les inégalités salariales. « Les écolières étaient contentes qu’on parle de ça ! »