Pour compenser les efforts d’économies demandés par le budget de l’Etat 2025, on parle d’augmenter les « frais de notaire », autrement dit les droits de mutation, dont une partie reviendrait aux départements. Mais tous les présidents de département ne sont pas séduits par cette idée. Philippe Dupouy, président du Gers, a accepté de s’exprimer sur le sujet.
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Lorsqu’une maison, un appartement ou un immeuble est vendu, l’acheteur doit s’acquitter de droits de mutation à titre onéreux (DMTO), également appelés « frais de notaire ». Ils sont calculés en pourcentage du prix d’achat du bien et représentent 2 à 3% pour un bien neuf, 7 à 8% pour un ancien. Les droits de mutation constituent la majorité des sommes à payer.
Or, dans le cadre du projet de loi de finances, les collectivités locales sont appelées à mettre la main au porte-monnaie à hauteur de 5 milliards d’euros. Pour faire face, François Sauvadet, président des Départements de France, propose une augmentation de ces impôts qui retournent dans les caisses des départements. Mais tous les présidents de département ne sont pas prêts à franchir le pas. Le président du conseil départemental du Gers, Philippe Dupouy, répond à nos questions.
France 3 : Seriez-vous d’accord avec une augmentation des frais de notaire pour ramener l’argent manquant ?
Philippe Dupouy: Disons que j’attends avec beaucoup d’impatience la reprise du marché. Même s’il y a eu une légère secousse qui a été de très courte durée en septembre, il n’y a pas de réelle reprise. Quand on interroge des professionnels de l’immobilier ou des notaires, ils disent qu’ils pensent qu’il devrait y avoir une reprise en décembre et que le premier semestre 2025 sera un peu meilleur. Mais bon, on nous a dit que le second semestre 2024 serait meilleur. Je suis un peu comme Saint-Thomas…
Augmenter les DMTO, ou frais de notaire pour parler trivial, est une chose. Mais si on a une assiette qui est faible, on peut augmenter les taux de prélèvement comme on veut, cela n’a pas d’impact significatif sur les finances des collectivités, notamment des collectivités départementales. Le marché doit se redresser. Ce n’est pas tant le taux sur lequel le prélèvement est appliqué, c’est plutôt la masse qui n’y est pas. Et la masse des ventes n’est que la reprise du marché qui peut la générer.
Évidemment, si on augmente un peu les tarifs, on augmentera un peu les revenus. Mais si l’on se compare à l’année 2022, qui fut certes une année assez forte, mais qui suivit aussi quelques années de bon niveau de DMTO, on en est encore très, très loin. Par exemple, pour nous, entre 2022 et 2024, il y a une perte de 14 millions d’euros. 14 millions d’euros sur 37 millions, ça voit un peu l’écart !
France 3 : Est-ce une vraiment mauvaise idée selon vous ?
Philippe Dupouy: Encore une fois, je n’ai aucun problème si on augmente les taux d’imposition, mais cela n’améliorera qu’un peu les revenus. La majoration du tarif, c’est l’acheteur qui la paiera. Les frais de notaire s’ajoutent à la valeur du bien à payer. Il n’est pas du tout sûr que cela n’ait pas un effet négatif sur l’envie de réaliser une transaction immobilière. La solution est que, tout d’abord, le marché revient, car les DMTO ne sont que des piliers, certes non négligeables, des revenus du département. Il y a trois piliers en langage simple.
Il existe la dotation globale de fonctionnement (DGF), qui est une enveloppe allouée par l’État. Je tiens tout de même à rappeler qu’entre 2023 et 2024, la hausse a été de 0,6%, soit 4 à 5 points de moins que l’inflation. Donc ça veut dire que quelque part, sur cette allocation, on a laissé quelques plumes. Et puis, il y a une part de TVA que les départements récupèrent, qui est aussi liée à l’activité économique, dont on sait qu’elle n’est pas florissante actuellement.
Donc, nous, le ministère, avons besoin d’une relance économique et nous avons besoin d’une reprise du marché immobilier, qui sont les deux piliers, sachant que nous ne nous faisons pas d’illusions sur l’enveloppe budgétaire. DGF.
France 3 : Cette situation vous inquiète-t-elle ?
Philippe Dupouy: Notre recours aujourd’hui est une reprise économique et une reprise du marché immobilier qui va avec. Nous attendons cela et s’ils n’arrivent pas, je suis très, très inquiet pour les mois et les années à venir. Si le projet de loi 2025 était adopté tel quel, ce qui est probable – ce n’est pas de la politique fiction, cela peut arriver – il y a 85 % des départements qui auront une épargne nette négative à fin 2025. Nous ne parlons pas de bonne ou de mauvaise gestion. . C’est structurel.
La solution, très clairement, ne peut être trouvée que si les départements retrouvent leur autonomie fiscale. La taxe d’habitation nous a été supprimée, nous ne la collectons plus. Mais l’impôt a la particularité d’être dynamique, malheureusement je dirais, pour le contribuable.
Mais très clairement, les dépenses des départements sont, pour l’essentiel, des dépenses de dotations de solidarité au sens large, qui sont des dépenses sur lesquelles il est très difficile d’intervenir. Personnellement, je n’imagine pas un seul instant dire à un Gersois qu’on ne peut plus lui verser l’allocation personnalisée d’autonomie, parce qu’on n’a plus d’argent par exemple. Cela n’existe pas.
France 3 : On comprend que c’est effectivement incompressible…
Philippe Dupouy: Ça y est, la difficulté est d’avoir des dépenses qui sont, entre guillemets, « financées » grâce aux missions de solidarité réalisées par les départements et aux recettes aléatoires. Je serais pour le retour de l’autonomie fiscale que nous avions et qui nous a permis dans des temps compliqués de pouvoir agir sur ce levier. Là, aujourd’hui, nous n’en avons plus et nous sommes pris et étranglés par ce projet de loi de finances.
Que feront les départements ? Réduisez leur voile dans le sens des actions qui sont menées envers les administrés et notamment sur des politiques qui sont certes optionnelles, mais qui ont toutes du sens.
Je ne vous donne qu’un exemple : le département du Gers s’est engagé, depuis 3 à 4 ans, à tenter de réduire le manque de médecins sur son territoire en rémunérant les médecins. C’est une politique facultative, mais elle a un coût et nous ne savons pas si nous aurons la capacité de la maintenir.
Et je vous parle de la façon dont ça marche. Mais ce qui souffrira le plus du manque de revenus, ce sont les investissements.
France 3 : Quand vous parlez d’investissement, quelles conséquences concrètes cela signifie-t-il pour vous ?
Philippe Dupouy: Si nous, en tant que ministères, réduisons drastiquement nos investissements, une partie de l’économie va s’effondrer, puisque nous sommes 70% des donneurs d’ordre. Si les collectivités disent « on n’a plus d’argent à investir », ça veut dire qu’on ne rénove plus les collèges, on va réduire ce qu’on fait sur les routes, on va réduire toute la partie investissement de façon drastique . Mais ce sont des investissements qui, pour la plupart, retournent à l’économie locale car nos projets sont relativement modestes, nous faisons appel à des entreprises locales.
Toute cette économie va souffrir et derrière, il y aura du chômage, les gens tomberont un peu plus dans la précarité. Si nous ne sommes plus aux côtés d’autres collectivités pour investir, les communes et communautés de communes, cela veut dire qu’elles n’investiront plus non plus.
Si on n’est plus aux côtés du milieu associatif, même si c’est de manière modeste, c’est la même chose. Ce sont des bombes à retardement que nous lançons sur tout cet aspect social et économique. Dans mon bureau, j’ai eu le responsable d’une association qui propose un festival qui génère 1,5 millions d’euros de retombées financières sur un week-end de 4 jours, qui m’a dit « si on n’a plus le soutien du public, on est foutus, il faut fermer la porte ». C’est donc tout ce qui pose problème.
Je crains que si aucune solution n’est trouvée, s’il n’y a pas de reprise économique, pas de reprise du marché immobilier et que l’État continue de nous drainer une partie de nos revenus, nous générerons une récession. Ce qui serait terrible.