L’âme de la deuxième coalition se trouve, sans surprise, à Berlin même. Poursuite de sa politique de champions nationaux (Diehl dans les missiles ; OHB dans l’espace ; Rheinmetall plus que KMW, dans le blindage ; Hensoldt dans l’électronique de défense ; TKMS dans le naval ; Renk et MTU dans la propulsion) et de récupération des compétences qui lui manquent encore (propulsion spatiale, satellites d’observation, aéronautique de combat et missiles), l’Allemagne a compris depuis les années 1990 qu’elle obtiendrait bien plus d’une France récalcitrante en concluant des alliances inversées que par des négociations directes.
En ce sens, l’actualité récente est la réédition des années 1997 à 2000, années où Berlin proposait à Londres des fusions à grande échelle : Siemens avec BNFL, la bourse de Francfort avec celle de Londres, DASA avec British Aerospace. A chaque fois, il s’agissait moins de nouer des alliances inversées que de faire pression sur la France. Trop faible pour voir clair dans ses intérêts et le jeu de ses concurrents, trop altruiste pour voir la naïveté et l’ampleur de ses actions, la France de Lionel Jospin a offert la parité à l’Allemagne dans le domaine de l’aéronautique, elle qui ne demandait qu’un tiers des au mieux (qu’elle a très justement pesé…).
L’Allemagne, âme des coalitions inversées
Avec ses alliances en Italie (dans le domaine des véhicules blindés) et au Royaume-Uni (sur tous les segments), Berlin tend une nouvelle fois le même piège à Paris : “Cédons sur le MGCS et le SCAF ou on active l’alliance inversée”. L’Europe de l’industrie d’armement qui se prépare n’est en réalité qu’une coalition contre les thèses françaises en matière de défense et son corollaire essentiel, l’armement. Ce constat n’a rien de surprenant : dominant ses concurrents militaires et industriels grâce à l’héritage gaullien, possédant le sceptre nucléaire qui lui confère une place à part dans le concert des grandes nations, influent par son siège au Conseil de sécurité de l’ONU et Avec ses exportations d’armes, la France est le pays à ramener dans les rangs des médiocrités amères et jalouses et de la petite bourgeoisie de la défense européenne.
Rien de nouveau sous le soleil européen puisque, si l’on en croit Alain Peyrefitte, le général De Gaulle faisait déjà cette analyse : « Pour le dominer aussi, nous insistons pour l’intégrer dans une machine supranationale sous les ordres de Washington. De Gaulle ne veut pas de ça. Alors, on n’est pas content, et on le dit à longueur de journée, on met la France en quarantaine. » (13 mai 1964).
La menace Rheinmetall
Marginalisé depuis la création de KANT alors KNDSméprisée voire sacrifiée en France même par le gouvernement de François Hollande en 2015 avec la complicité des députés UMP, l’industrie terrestre nationale ne vit que sur des îles (canons, tourelles, obus), ayant abandonné les chars (sans que la DGA n’ait réagi en 2009). lors de la suppression de la chaîne Leclerc par Luc Vigneron), blindés à chenilles (choix très discutable des 4×4), artillerie longue portée et saturante ; écrasé par le règne de Frank Haun, maintenant noyé dans KNDS La France sans oser se défendre, Nexter est menacée de disparition par la double alliance KMW/Rheinmetall au sein du MGCS et Rheinmetall/Leonardo dans tous les segments.
Aveuglé par le couple franco-allemand, Paris n’a pas suffisamment prêté attention à la montée en puissance de Rheinmetall, véritable champion du territoire allemand, qui, au fil des commandes et des acquisitions, se retrouve ancré au milieu du jeu allemand (en tant que futur actionnaire de TKMS et bras armé de la politique ukrainienne de Berlin), et de la scène européenne qu’il n’a pas conquise pas à pas. étape : en Hongrie d’abord, puis au Royaume-Uni, en Lituanie, en Roumanie, en Ukraine, en Croatie et maintenant en Italie, sans oublier d’établir la relation transatlantique (avec Lockheed Martin au F-35avec Textron sur le concours Lynx et en rachetant le constructeur Produits de performance Loc). La toile tissée par Rheinmetall en Europe est une véritable coalition contre les positions françaises.
Une division de l’Europe sans la France
La même fausse manœuvre se prépare avec l’accord germano-britannique de Maison de la Trinité qui, même s’il n’atteindra pas toutes ses prétentions faute de compétences et de moyens, constitue un axe concurrentiel durable et redoutable dans des domaines clés pour la France : nucléaire, systèmes de missiles longue portée, drones de soutien, avions de combat de nouvelle génération, moyens terrestres. robotique, patrouille maritime.
Fidèles serviteurs de l’OTAN et de Washington, animées par la volonté de mettre la France en position d’infériorité militaire et industrielle, les coalitions se partagent l’Europe : à l’Allemagne, la défense du flanc nord de l’OTAN ; en Italie, la défense du flanc sud reliant le théâtre de la Méditerranée orientale à l’Asie-Pacifique ; au Royaume-Uni, en Turquie, en Pologne et dans les pays baltes en relation avec l’Allemagne. Les contrats industriels suivent les diplomates, avec une gigantesque moisson de chars de combat Léopard, de blindés Boxer, d’artillerie. RCH-155Véhicules blindés de combat d’infanterie Lynx et chars Panther et systèmes sol-air (22 pays membres de l’initiative allemande ILS).
La France nulle part dans l’Europe qu’elle prétend construire
En résumé, la France n’est nulle part dans cette Europe qu’elle prétend construire ; elle n’a pas eu le courage politique de s’opposer aux excès illégaux de la Commission européenne en pratiquant la politique de la chaise vide ; son gouvernement est un mélange instable de fédéralisme affirmé, d’atlantisme assumé et de gaullisme éclipsant : comment pourrait-il mener une autre politique que cela » du chien mourant au fil de l’eau » (De Gaulle) consistant à se jeter avec aisance et confort dans le grand public Une institution de l’OTAN au nom de l’Ukraine ? Comme sous la Quatrième République, ses partis politiques sont plongés dans la tourmente politique et ne pensent plus au monde selon les intérêts nationaux mais selon les intérêts de l’OTAN, de l’Ukraine et d’Israël.
Alors que la France s’épuise en débats politiques stériles dans un régime devenu instable (les deux vont de pair), ses positions stratégiques en Europe se dégradent :
- La cohérence de son système de défense fondé sur la souveraineté nationale et la défense des intérêts nationaux, au bénéfice d’un fédéralisme européen sous tutelle américaine décrété dans l’urgence par la guerre en Ukraine et la menace russe ;
- Sa dissuasion nucléaire, au profit d’un projet de missile conventionnel à très longue portée et d’une défense antimissile germano-américano-israélienne à vocation européenne, deux projets promus, comme par hasard, par l’Allemagne ;
- Son modèle d’industries nationales, monopolistiques, seules capables de concevoir, développer, produire et entretenir des systèmes d’armes souverains, au profit de fusions industrielles européennes qui placeront les armées et l’industrie françaises dans une position de dépendance totale à l’égard de Bruxelles (OTAN). et Union européenne) ;
- La gestion de ses programmes d’armement, assurée par ses ingénieurs en armement dont c’est le métier et la vocation, au profit de bureaucrates européens qui ne connaissent rien à l’armement mais disposent du pouvoir juridique et financier ;
- Sa liberté souveraine d’exporter des armes à qui bon lui semble et sans autre contrainte que ses propres intérêts et sa morale, au bénéfice d’une réglementation européenne, spécialement édictée pour la restreindre, autre projet porté par l’Allemagne.
Le pire est que ces évolutions ont été réalisées par la classe politique elle-même, qui les a encouragées avec des propositions de « dialogue sur la dissuasion », « Autonomie stratégique européenne » ou des programmes de coopération mal négociés, laissant de côté des aspects embarrassants tels que les différences de doctrine, de niveau technologique et d’analyses sur les exportations.
Le pire, c’est aussi que ces évolutions surviennent au moment même où la France, ne parvenant pas à limiter son gouvernement aux domaines souverains et à créer des richesses au lieu de les taxer et de les décourager, n’a plus les moyens de se défendre : comment pourrait-elle en effet continuer à résister à la dérive des finances publiques, à la sous-estimation systématique de tous ses besoins (des capacités négligées aux infrastructures négligées en passant par les surcoûts conjoncturels prévisibles mais ignorés) et à la mauvaise gestion de ses propres finances (comme en témoigne le montant faramineux des reports de charges) ?
Si la LPM est officiellement maintenue en apparence, ses assises financières, déjà minées dès sa conception par un sous-financement général, apparaissent pour ce qu’elles sont : insuffisantes pour mener à bien un réarmement national de manière durable et soutenue. Faudra-t-il, comme Louis XIV, vendre l’argenterie royale ? Faudra-t-il vendre les biens nationaux comme l’a fait la Révolution dans sa négligence ? Ou faudra-t-il écraser les Français d’impôts comme le Premier Empire se résignait à éviter d’emprunter ?
Une révision drastique de ses alliances
La rupture avec les deux Bruxelles est la double condition de la renaissance nationale. Face à l’Europe alliée contre son système de défense, la France n’aura d’autre choix que d’agir par une révision fondamentale du rôle de l’État, c’est-à-dire la réduction drastique de ses interventions sociales et économiques ruineuses et inefficaces, et une révision de son cadre d’alliances, afin qu’ils le renforcent au lieu de l’atrophier.
La Guerre froide n’a empêché ni la politique de la chaise vide ni le retrait du commandement intégré de l’OTAN, c’est-à-dire quitter les deux Bruxelles au profit d’une politique de la haute mer, et pourtant le général de Gaulle, qui a pris ces deux décisions majeures, n’était ni irresponsable ni irréfléchi. Les fruits de la grande politique qu’il souhaitait sont connus : une influence considérable sur sa diplomatie et ses exportations d’armes.