une performance d’acteur extraordinaire

une performance d’acteur extraordinaire
une performance d’acteur extraordinaire

Célie Pauthe, réalisatrice, et Claude Duparfait, comédien, ont partagé leur passion pour l’auteur autrichien Thomas Bernhard. Dans « Oui », un narrateur en forme de double de l’auteur, misanthrope et mélancolique à souhait, rencontre une Iranienne par l’intermédiaire de son seul ami, un agent immobilier. Ce « Persan », marié à un homme d’affaires suisse, fera office de révélation vitale pour le narrateur, en même temps que ce dernier révèle cet étranger à sa propre intériorité. Interprété par Claude Duparfait sur scène et Mina Kavani à l’écran, le spectacle est plein d’éblouissement et d’émotion totale.

Incarnation

Comment le théâtre et son adresse au spectateur peuvent-ils agir comme la révélation de l’écriture qui assombrit les pages d’un livre ? Par l’incarnation de mots et d’émotions, de pensées philosophiques, d’ironie mordante, de raisonnements grincheux et infantiles dont Thomas Bernhard se pose en grand spécialiste. Claude Duparfait, cheveux ébouriffés et chemise de velours fauve, est assis sur une chaise au centre d’une scène nue. L’acteur s’adresse au public, à nous, dans une relation de totale intimité. Et cette intimité, cette relation directe avec le spectateur, alors que les lumières de la salle sont encore allumées, permet à l’acteur de s’exposer pleinement, derrière les mots de son auteur fétiche. Et ce qui se passe sur le plateau est stupéfiant par son émotion et sa puissance, à commencer par la parabole d’un troupeau de porcs-épics, racontée par le philosophe allemand Arthur Schopenhauer, qui passent leur temps à se rapprocher pour se réchauffer à cause du froid, en se piquant. eux-mêmes, et de s’éloigner, de survivre, en finissant par garder une distance raisonnable qui évite de se blesser. Les êtres humains sont faits ainsi, l’acteur-narrateur semble nous admettre avec un demi-sourire, qu’ils ne peuvent pas vivre seuls, à moins de devenir fous, mais que leurs relations avec les autres impliquent inévitablement des conflits et des malentendus. « La distance moyenne qu’ils finissent par découvrir et à laquelle le vivre ensemble devient possible, c’est la politesse et le savoir-vivre. « Gardez vos distances » disent les Anglais. »

Apparence

Figé dans la solitude comme un porc-épic, noyé dans la mélancolie et envahi d’une misanthropie noire envers ses concitoyens autrichiens qu’il déteste, notre narrateur rumine sa douleur de vivre tout en faisant preuve d’une lucidité et d’une cruauté sans faille. Il n’a plus goût à rien, ni aux travaux scientifiques et aux recherches sur les anticorps dans la nature, dont il est spécialiste. De sa maison au village, il doit traverser un bout de forêt, ce qu’il décide de faire un beau matin pour rendre visite au seul ami qui semble trouver grâce à ses yeux, l’agent immobilier Moritz qui fait office de thérapeute silencieux. Lorsqu’un couple « suisse » arrive, c’est la vie, la lumière qui pénètre soudain dans le corps et le cœur du narrateur hypnotisé par « Le Persan », l’épouse de l’entrepreneur suisse. De cette rencontre insolite avec une personne d’origine étrangère, et sans qu’aucun mot ne soit prononcé entre eux au début, naîtra une camaraderie sentimentale, musicale, philosophique et amoureuse. Tous deux se retrouvent et ne se quitteront plus, poursuivant de longues promenades dans la forêt de mélèzes, discutant de leurs goûts communs : la philosophie de Schopenhauer, la poésie persane, la musique pour piano de Schumann.

Explosion vitale

©JeanLouisFernandez

Tandis que la « Perse » lui confie sa vie malheureuse avec un mari qui lui construit une maison en forme de tombeau, le narrateur reprend également confiance en la vie et cet échange vital profite également au narrateur et à la femme. Cependant, si cette rencontre permettra à l’homme de retourner à ses occupations et à la vie, elle déclenchera chez la femme une prise de conscience tragique. La force de la mise en scène de Célie Pauthe est de placer ses comédiens dans une scénographie d’une totale sobriété. Le choix de faire jouer les deux acteurs dans un film, lors de promenades en forêt, s’avère judicieusement pertinent : l’image, les plans larges sur les silhouettes romantiques, les gros plans sur le visage de Mina Kavani, une puissance et un beauté tragique, agissent comme une vision fantasmée, un souvenir mélancolique et à la fois fantastique. Claude Duparfait, magistral, accompagne les images du film, doublant les lignes, le corps vibrant et électrique, le visage et les mains en mouvement constant. La diction des acteurs est plus que parfaite et on saisit chaque mot, chaque virgule. Dès lors, le spectacle ressemble à un voyage, entre la Suisse, l’Autriche et l’Iran, peuplé de fantômes et de créatures oniriques, mais aussi de personnages aux visages grimaçants, xénophobes, qui détestent les étrangers. Entre ces deux mondes, l’histoire de Bernhard est ici magnifiée par l’art d’un théâtre romantique et totalement exaltant.

Hélène Kuttner

 
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