Les jugeant trop absents, le gouvernement espère récupérer 1,2 milliard d’euros avec ces mesures qui aligneront la fonction publique sur le secteur privé. Les syndicats n’ont pas été consultés. La CFDT estime qu’on « pénalise les malades ».
Constamment à la recherche de nouvelles économies, le gouvernement s’en prend aux fonctionnaires, et plus particulièrement à leur santé. Pour mener à bien son projet de budget 2025 – dont l’examen se poursuit à l’Assemblée nationale – l’exécutif devait encore trouver 5 milliards d’euros d’économies (compris dans les 60 milliards« effort budgétaire » déjà annoncé). Et parmi eux, Bercy et le ministère de la Fonction publique entendent récupérer 1,2 milliard d’euros en serrant la vis aux agents publics jugés trop « absents » : le délai de carence des fonctionnaires en cas d’arrêt maladie passera d’un à trois jours en 2025 et leur rémunération ne sera plus de 100 % du salaire mais de 90 %.
Ancien des sénateurs de droite qui avaient déjà tenté de faire passer un amendement en ce sens l’année dernière, cette mesure alignerait, insiste le gouvernement, les agents publics avec les salariés du privé. « Le coût de cet absentéisme est devenu insoutenable» dit-on au ministère de la Fonction publique pour justifier cette annonce prise sans concertation avec les syndicats. Ces absences répétées ont un effet de désorganisation et de dysfonctionnement [qui] faire des agents publics les premières victimes de cet absentéisme. Comprenez : si la fonction publique fonctionne mal, c’est avant tout la faute à l’absence d’agents…
14,5 jours d’absence en moyenne par an
Ces deux mesures ont été prises par le nouveau ministre, Guillaume Kasbarian, dans un rapport demandé par Gabriel Attal lorsqu’il était Premier ministre et remis début septembre, un bilan des dépenses sur l’absentéisme dans la fonction publique piloté par l’Inspection générale des affaires sociales. (Igas) et l’Inspection générale des finances (IGF). Selon ce rapport, les salariés du public ont cumulé 14,5 jours d’absence en moyenne en 2022 contre 11,7 jours pour les salariés du privé. Ces travaux ont également chiffré les économies qui pourraient résulter de l’adoption de ces deux mesures à 1,25 milliard d’euros, avec 289 millions d’euros d’économies pour l’allongement du délai de carence et 900 millions d’euros concernant la compensation à 90% des jours d’arrêt.
Dans le plan prévu par Bercy, ces économies seraient réparties entre l’État et ses opérateurs (444 millions d’euros) et les collectivités territoriales et le service public hospitalier (812 millions d’euros). Le gouvernement tient toutefois à faire savoir que ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’un « plan de lutte contre l’absentéisme dans la fonction publique » plus large, ce qui passera aussi, dit-on dans l’entourage de Guillaume Kasbarian, par des initiatives visant à améliorer « conditions de vie au travail » fonctionnaires, notamment une meilleure sensibilisation aux risques psychosociaux, « débureaucratisation » simplifier le travail des agents ainsi que renforcer la « protection des agents contre les attaques »lequel « peut entraîner l’absence d’agents »expliquons-nous très sérieusement au ministère de la Fonction publique.
« Une régression totale »
C’est le gouvernement d’Edouard Philippe qui a réintroduit le jour de carence dans la fonction publique en 2018, reprenant une mesure mise en place par la droite en 2012, puis annulée par les socialistes en 2014. Pourtant, rien ne dit que ce jour de carence fasse permet de lutter efficacement contre “abus”. Un récent rapport de l’INSEE observe en effet une baisse de 23 % de la fréquence des absences pour « congé de maladie ordinaire » dans l’Éducation nationale, entre 2006 et 2019, dans les périodes où le jour de carence était effectif. Et plus particulièrement une baisse de 44 % des absences d’une journée. Mais l’étude a également noté que cette évolution “ne reflète pas nécessairement une réduction des absences qui serait injustifiée”. “En effetpoursuit l’Insee, l’introduction du jour de carence peut inciter les malades à travailler.» Et donc aggraver la situation en conduisant par exemple à la contamination d’autres agents publics sur leur lieu de travail.
Du côté des syndicats, la secrétaire générale de la CFDT-Service public, Mylène Jacquot, fustige « des recettes anciennes dont l’impact positif n’a jamais été prouvé » et qui « pénaliser les malades ». « Cela nous est aussi présenté comme une mesure d’alignement, de justice, et on oublie d’aller au fond des choses. »continue-t-elle. Attention, dans le secteur privé, la négociation avec les entreprises des compléments de santé et de prévoyance passe par une compensation du jour de carence. Alors que dans l’opinion publique, nous avons toujours refusé de mettre cela dans la balance.
Même colère chez Benoît Teste, secrétaire général de la Fédération unitaire syndicale, qui dénonce des mesures « terriblement pauvre ». « Ils veulent aligner la fonction publique sur le pire de ce qui se fait dans le secteur privé, s’insurge le syndicaliste. C’est une régression totale, cela signifie qu’une personne en congé d’un mois, pour une maladie grave par exemple, perdrait 10 % de son salaire à cause des trois jours d’attente et 10 % à cause de l’indemnité à verser. 90 %. C’est une façon de faire payer les patients, ce qui est inacceptable et injuste.