Un fauteuil pour l’orchestre – Le site des critiques de théâtre parisien » Don Quichotte de Jules Massenet, mise en scène Damiano Michieletto à l’Opéra Bastille à Paris

16 mai 2024 |
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© Émilie Brouchon

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

Libéré de son espagnol, le don Quichotte de Damiano Michieletto est confiné dans un salon vert citron vintage, avec un mobilier qui respire le design emblématique d’une célèbre marque suédoise. Il y restera durant les cinq actes, à l’ouest la plupart du temps, dans un mélange de tranquillisants et d’alcool parmi des manuscrits déchirés après de nombreuses tentatives avortées d’écrire sa vie. Bref, un tableau clinique de perdant qui ferait flipper s’il n’y avait pas de véritables moments burlesques, la générosité de Sancho Pansa, soignant, majordome et cuisinier, sur une musique de scène brillante et inventive.

Dès le deuxième acte la magie opère, les chevaux de manège descendent des cintres et volent en arrière-plan, les prétendants surgissent des plis du canapé, du fond de la bibliothèque, sous le tapis, tels des diablotins ou des tortues ninja des dessins animés. A la place des moulins à vent, des couples de danseurs de flamenco masqués vêtus de noir comme des ombres chinoises donnent à cette comédie tragique des allures de farce funèbre d’une dimension onirique et picturale exceptionnelle. Les lignes de tension entre le kitsch et le sublime, le sacré et le profane, créent un langage esthétique extraordinaire dans un salon qui s’ouvre en profondeur telle une conque en spirale vers l’infinité du temps et de l’espace. Chevalier ” avec un visage triste » fait courir les moulins à vent avec pour seule arme un lampadaire, dans une séquence à la Chaplin, tournant sur lui-même sous les cuivres d’un ostinato de plus en plus frénétique.

On comprend ensuite que tout n’est qu’une vision d’un homme qui n’a plus la tête froide et qui, le soir de sa mort, revit les scènes marquantes de sa jeunesse auréolée de son amour impossible pour Dulcinée. La place publique, devant la maison de la belle, prend des allures de comédie musicale américaine au style très West Side Story où s’affrontent des gangs rivaux, les prétendants en blazers étudiants, Marine Chagnon, Emy Gazeilles et Nicholas Jones, viennent narguer « le fou » ballotté au milieu d’une foule indifférente. Il faut saluer la chorégraphie remarquable de Thomas Wilhelm, et l’éclat du chœur parfaitement sollicité lors des scènes de bal, qui rappellent les booms surannés des années yéyé, en jeans et blousons de cuir, sur des mouvements de danse qui brouillent l’image d’un tel rêve.

Bref, vous l’aurez compris, le plaisir du spectateur tient plus à la beauté plastique de l’œuvre qu’au lyrisme lui-même du personnage, sauf à l’acte V, lors de sa déchirante agonie parlée et chantée dans les bras de son fidèle Sancho, le seul à avoir vraiment compris, accepté et aimé ce vaillant poète qui ressemble aux albatros de Baudelaire, » rois d’azur, maladroits et honteux qui laissaient piteusement traîner à côté d’eux leurs grandes ailes blanches comme des rames « . Le couple Christian Van Horn dans le rôle titre et Etienne Dupuis dans Sancho sont, outre la mise en scène, la véritable réussite de ce spectacle. Ces comédiens talentueux possèdent une tessiture vocale qui révèle mille nuances du burlesque au tragique. La voix de basse du chanteur américain, d’une profondeur incroyable, est d’une délicatesse poignante lors de sa déclaration d’amour” Quand les étoiles apparaissent… » et sa dernière prière « Seigneur, aie pitié de mon âme. » Son compagnon à la tessiture baryton musclée donne au rôle la vitalité et l’humour qui lui conviennent, malmenant gentiment son maître trop exalté, le rassurant lors des crises mélancoliques. Gaelle Arquez, avec son timbre chaud et souple puissamment projeté, est en totale symbiose avec la musicalité du rôle. Sa voix fruitée et son allure de reine font d’elle un objet de désir convoité par une multitude de prétendants, elle vocalise pleinement et son ton de velours se colore d’une lassitude sourde face au vieillissement avec beaucoup d’empathie pour son chevalier désemparé.

Le chœur, amusé au tout début par l’extravagance de Don Quichotte, la rejette ensuite avec la précision d’un langage parlé chanté dont il faut saisir la moindre voyelle, à l’unisson d’un orchestre dirigé de main de maître par Patrick Fournillier, qui déploie une véritable virtuosité. sur le violoncelle solo incarnant la figure du chevalier et sur l’alto de l’écuyer. Peu importe si l’on se perd dans l’enchaînement des scènes, le jeu des acteurs, la direction des acteurs et la musicalité remportent l’adhésion sans réserve du public.

© Émilie Brouchon

don Quichotte de Jules Massenet

Livret : Henri Caïn d’après Jacques le Lorrain et Miguel de Cervantes

Musique : Jules Massenet

Réalisateur : Damiano Michieletto

Direction musicale : Patrick Fournillier

Décors et costumes : Paolo Fantin

Lumières : Alessandro Carletti

Chorégraphie : Thomas Wilhelm

Chef de chœur : Ching-Lien Wu

Jeu : Gaëlle Arquez, Christian Van Horn puis Gabor Bretz à partir du 1er juin, Etienne Dupuis, Emy Gazelles, Marine Chagnon, Samy Camps, Young – Woo Kim, Hyunsik Zee, Nicolas Jean-Brianchon, Pierre André, Bastien Darmon, Gabriel Paratian, Joan Payet

Durée : 2h25 avec entracte

17, 21, 23, 26, 29 et 1 maieuh5, 8, 11 juin 2024 à 19h30

Opéra Bastille

Place de la Bastille

75012 Paris

Réservation : www.operadeparis.fr

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