Rencontre avec Jean-Daniel Lorieux, le photographe qui a mis du soleil sur les clichés de mode et les portraits de Jacques Chirac

Rencontre avec Jean-Daniel Lorieux, le photographe qui a mis du soleil sur les clichés de mode et les portraits de Jacques Chirac
Rencontre avec Jean-Daniel Lorieux, le photographe qui a mis du soleil sur les clichés de mode et les portraits de Jacques Chirac

Jusqu’au 6 octobre 2024, le musée Fragonard de Grasse rend hommage au photographe français connu pour ses images pop… et ses portraits ensoleillés de la famille Chirac.

Pour une fois, ce samedi de juin, à Grasse, le ciel lourd menace de déverser des torrents d’eau. Pour apercevoir un rayon de soleil, il faut arpenter la rue commerçante de la capitale française du parfum et s’engouffrer dans le musée Fragonard. Là, dans les deux salles d’exposition, sont rassemblées une quarantaine des milliers de photos prises par Jean-Daniel Lorieux. Depuis la fin des années 1960, ses images pour la presse (Vogue, Bazar de Harper, L’officiel, Madame Figaro) ou maisons de couture (Pierre Cardin, Céline, Dior, Paco Rabanne) impressionnent la rétine par la légèreté, les couleurs et l’humour qui les traversent. A l’époque, le cocktail n’était pas évident. Les têtes de gondole s’appellent Guy Bourdin ou Helmut Newton, et préfèrent à la couleur un noir et blanc plus sérieux, plus noble. Depuis plus de quarante ans, Jean-Daniel Lorieux explore sa propre esthétique pop et lumineuse.

Triffie, la petite amie du photographe, mannequin et championne de pêche sportive, a photographié pour la marque V de V à Isla Meralda, en 1985.
Jean-Daniel Lorieux

Lorsqu’il entre dans le musée, carnet à la main, lunettes de soleil aux verres fumés dans une veste en lin piqué crème de la Légion d’honneur, l’ambiance devient soudain ensoleillée. Malicieux, le photographe n’hésite pas à raconter son histoire. Pour celui qui a brûlé la vie par les deux bouts, les histoires se bousculent. Un traumatisme, d’abord, la guerre d’Algérie. ” Coup de chance’ (les citations sont de lui, NDLR), le colonel y avait vu un des seuls films de ma courte carrière d’acteur et il m’a confié un service image, destiné à réaliser des photos et des vidéos sur le conflit. » Pendant des années, il a refusé de parler de l’horreur de ce qu’il a dû documenter durant ces quelques mois à Oran. Mais l’épisode l’entraîne à la photographie et finit par le persuader que le moment venu, il ne veut rien regretter.

Olga, la mode de Pierre Cardin, Ragazza Pop couverture, 1972
Jean-Daniel Lorieux

Fêtard invétéré, charmeur, homme de goût, il fréquente du beau monde et ne tient pas en place. Lors d’un dîner à New York en 1967, sa carrière prend un tournant. ” Le rédacteur en chef de Vogue américain est à côté de moi, elle se plaint qu’un grand photographe a raté une série et qu’elle doit la reprendre. Mon amie de l’époque, Géraldine Chaplin, lui disait que j’étais photographe. C’était parti. » Quelques années plus tard, il rencontre Pierre Cardin dans le mythique club Sept, qui lui confie le tournage de sa future campagne. ” J’avais remarqué que les photographes conduisaient tous de belles voitures, alors j’ai demandé le prix d’une Bentley en guise d’honoraires, que j’ai couru acheter. » Cette voiture rouge et blanche aurait pu n’être qu’un détail de l’histoire sauf que… « Je l’ai toujours dans mon garage, c’est grâce à lui que j’ai rencontré Chirac “, il dit.
Été 1987, hôtel Eden Roc à Antibes, l’un des palaces les plus célèbres de la Côte d’Azur. Lorieux s’y rend avec son jeune fils Nickolas, au volant de sa Bentley. ” En me garant, je vois une main posée sur la porte et une voix grave dit “Belle voiture !”, c’était Jacques Chirac, alors Premier ministre. Quelques minutes plus tard, avec Bernadette, ils ont encadré mon fils sur la banquette arrière. Chirac s’amuse comme un gamin avec la vitre qui le sépare du conducteur. Nous avons passé ces quelques jours ensemble. Début 1988, Charles Pasqua m’a appelé et m’a demandé si je photographierais Chirac pour son affiche. » Lorieux fait ce qu’il fait de mieux : des images en couleurs, pleines de vie. Sur les affiches officielles, le Premier ministre incarne la modernité face à une statue de Mitterrand sur fond tricolore. Mais cela ne suffira pas.

Bonneterie Céline, Place de la Concorde, 1991
Jean-Daniel Lorieux

Ces rencontres doivent moins au hasard qu’à la personnalité séduisante et joyeuse du photographe. Les magazines et les marques publieront nombre de ses images emblématiques pendant plus de quatre décennies. Jean-Daniel Lorieux aime quand les mondes se croisent et se chevauchent. A ses dépens, parfois, consent celui qui a été convoqué dans l’affaire Markovic – le meurtre de l’ancien homme à tout faire d’Alain Delon en 1968 – en raison de son amitié avec l’acteur français. Mais le plus souvent, c’est à son honneur. Comme le lien qui l’unit à la famille Fragonard : originaire de Mougins, non loin de Grasse, il venait photographier une série de mode à la piscine Costa, avec qui sa mère Solange était de très bonne amie. Il y a une dizaine d’années, il retrouve leurs filles, Anne, Agnès et Françoise Costa, qui dirigent aujourd’hui la maison de parfum. L’idée d’une exposition fait son chemin, jusqu’en juin 2024.

La famille Chirac photographiée par Jean-Daniel Lorieux (cette image n’est pas présente dans l’exposition de Grasse)
Jean-Daniel Lorieux

L’homme de 87 ans ne recule pas devant son plaisir d’être célébré, sans se vanter, et navigue d’une photo à l’autre, racontant les coulisses. Il explique son goût pour le poisson non pas dans l’assiette mais sur film, comme celui acheté aux pêcheurs quelques minutes avant le shooting du modèle d’un nouveau rouge à lèvres Dior. Et ces deux autres attrapés par sa copine, le mannequin Triffie qui détenait alors le record de pêche sportive au makaire blanc. Elle les tient à bout de bras sur l’une de ses photos les plus célèbres, pour la marque V de V. Autre cliché resté dans les annales, cet égoutier de la ville de Paris commandé par l’épouse du maire, Bernadette Chirac, place de Concord. Jean-Daniel Lorieux vient d’une autre époque, où les moyens alloués aux séries de mode étaient illimités et la concurrence féroce entre magazines et photographes. A l’évocation de Hans Feurer, Guy Bourdin et Helmut Newton, il exprime son admiration, les posant en artistes où il «bricoler« . Fausse pudeur ? Evidemment, mais la pirouette est rafraîchissante au vu des égos portés en bandoulière par les fashionistas… Le revoilà. Il est attendu pour déjeuner à l’Eden Roc. Soudain l’ambiance revient à celle d’un samedi pluvieux.
« Jean-Daniel Lorieux – Photographe béni », jusqu’au 6 octobre au Musée Fragonard de Grasse. Lire Solaire Jean Daniel Lorieux (éd. Michel Lafont).

 
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