Par
Léa Pippinato
Publié le
13 octobre 2024 à 19h39
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Chaque année, Octobre Rose souligne l’importance du dépistage du cancer du sein, une mesure préventive qui sauve des vies. Cependant, dans l’Hérault, la participation des femmes au dépistage reste plus faible que prévu, notamment dans les zones rurales où l’accès aux soins est limité. Si Montpellier, ville pionnière en matière de santé, affiche des résultats encourageants, les disparités territoriales freinent l’impact global du dépistage sur l’ensemble du département. Entre sensibilisation, initiatives locales et défis logistiques, la lutte contre le cancer du sein continue.
Nous avons échangé avec le Professeur William Jacot, oncologue à l’Institut du Cancer de Montpellier, et le Dr Marian Gutowski, chirurgien oncologue à l’ICM et spécialiste du cancer du sein, radiologue spécialisé en mammographie, pour mieux comprendre la situation et les solutions envisagées.
Quelle est la situation actuelle du dépistage du cancer du sein dans l’Hérault et à Montpellier ?
Dr. Gutowski : La situation à Montpellier est plutôt satisfaisante. Grâce à la forte densité d’infrastructures médicales, aux campagnes de prévention et de sensibilisation, le taux de dépistage est relativement élevé. Cependant, si l’on prend en compte l’ensemble du département de l’Hérault, le tableau est moins optimiste. En 2019, le taux de dépistage dans l’Hérault était de 47 %, inférieur à la moyenne nationale et loin des objectifs fixés par les autorités sanitaires. La pandémie de Covid-19 a encore aggravé la situation, provoquant une baisse à 42 % en 2020. Ce sont des chiffres alarmants qui montrent que près de 6 femmes sur 10 ne participent pas au dépistage. Ce qui est d’autant plus préoccupant, c’est que ces chiffres sont particulièrement faibles dans les zones rurales et les petites communautés isolées.
Comment expliquez-vous cette différence entre Montpellier et les zones plus rurales de l’Hérault ?
Dr. Gutowski : À Montpellier, les femmes ont la chance d’accéder plus facilement aux soins. Grâce aux nombreux centres de radiologie, cliniques, hôpitaux et campagnes d’information locales, ils sont mieux informés et encouragés à se faire dépister. Par ailleurs, Montpellier est une ville où de nombreux événements sont organisés dans le cadre d’Octobre Rose, ce qui renforce l’impact de la sensibilisation. Le problème se situe dans les zones les plus rurales de l’Hérault. Dans des endroits comme les cantons supérieurs ou les villes éloignées de Béziers, les infrastructures médicales sont beaucoup plus rares. Les femmes qui vivent dans ces régions doivent parfois parcourir de longues distances pour accéder à une mammographie. Ce manque d’accessibilité est un obstacle majeur, et le facteur social ne doit pas non plus être sous-estimé : dans ces zones rurales, il y a souvent un manque d’information et de sensibilisation, ce qui fait que certaines femmes ne voient pas l’importance de faire cet examen régulièrement. , surtout en l’absence de symptômes visibles.
A ces difficultés d’accès, vous avez parlé de réticences psychologiques. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Pr Jacot : Le dépistage, de par sa nature, consiste à rechercher un problème avant même l’apparition des symptômes. Cependant, cela peut provoquer une anxiété importante. De nombreuses femmes préfèrent ne pas se soumettre à cet examen par peur du résultat. Ils se disent souvent : « Si je ne ressens rien, pourquoi devrais-je m’inquiéter ? » « . Ce type de raisonnement est très courant, notamment dans les zones où la sensibilisation au dépistage est plus faible. À cela s’ajoute parfois la peur des traitements : si un cancer est détecté, certaines femmes craignent les traitements lourds comme la chimiothérapie ou la chirurgie. Il y a aussi un aspect pratique, avec l’idée que la mammographie est un examen désagréable, voire douloureux pour certaines patientes.
Pourquoi est-il important de se faire tester malgré cette peur ?
Pr Jacot : Le dépistage est crucial pour la simple raison que plus le cancer du sein est détecté tôt, plus les chances de guérison sont élevées. Statistiquement, les cancers du sein détectés à un stade précoce ont un taux de guérison supérieur à 90 %, et dans ces cas-là, les traitements sont beaucoup moins onéreux. Une tumeur diagnostiquée tôt peut souvent être traitée par une petite intervention chirurgicale et une radiothérapie, évitant ainsi les traitements plus invasifs comme la chimiothérapie ou la mastectomie. À l’inverse, si une tumeur est découverte à un stade plus avancé, elle est plus susceptible d’avoir envahi les ganglions lymphatiques ou de s’être propagée à d’autres parties du corps, ce qui complique grandement le traitement et réduit les chances de guérison. Bref, se faire dépister augmente non seulement les chances de survie, mais limite également l’impact des traitements sur la qualité de vie.
Dr. Gutowski : De plus, la mammographie peut détecter des anomalies qui ne sont pas palpables, c’est-à-dire des tumeurs si petites qu’elles ne provoquent aucun symptôme. Sans dépistage, ces cancers passeraient inaperçus pendant des mois, voire des années, jusqu’à ce qu’ils s’aggravent.
Comment améliorer l’accès au dépistage pour les femmes vivant dans ces zones rurales isolées de l’Hérault ?
Pr Jacot : Une des solutions que nous avons adoptées dans l’Hérault, ce sont les mammobiles. Il s’agit d’unités mobiles de dépistage, des camions spécialement équipés pour réaliser des mammographies qui se déplacent dans les zones rurales du département. L’idée est simple : amener le dépistage directement là où vivent les femmes, dans des villages reculés ou de petites communautés, plutôt que de les obliger à parcourir de longues distances pour se rendre dans un centre de radiologie. Cela permet de toucher des populations qui n’auraient pas eu les moyens ni la possibilité de se faire dépister autrement.
Une fois qu’une anomalie est détectée lors d’une mammographie, quel est le parcours de soins pour ces patientes ?
Dr. Gutowski : Lorsqu’une anomalie est détectée lors d’une mammographie, la patiente est invitée à réaliser des examens complémentaires. L’anomalie détectée n’est pas nécessairement cancéreuse, c’est pourquoi des échographies ou d’autres images complémentaires peuvent être nécessaires pour mieux caractériser cette anomalie. Si une tumeur suspecte est identifiée, une biopsie sera réalisée. Ce dernier permet d’analyser les cellules au microscope pour déterminer si elles sont cancéreuses ou non. Si le diagnostic de cancer est confirmé, un parcours thérapeutique est rapidement mis en place. Il s’agit généralement d’une réunion de consultation multidisciplinaire (RCP) où plusieurs spécialistes, dont des oncologues, des chirurgiens et des radiologues, établissent un plan de traitement adapté.
Pr Jacot : Ce plan de traitement dépendra de la taille de la tumeur, de son type et du stade auquel elle a été détectée. Plus le cancer est détecté tôt, plus les options de traitement sont douces. Aux stades précoces, il est possible d’enlever la tumeur par chirurgie conservatrice, en préservant le sein, et de compléter par une radiothérapie. À des stades plus avancés, la chirurgie peut être plus invasive et une chimiothérapie ou une hormonothérapie peut être utilisée.
La campagne Octobre Rose a-t-elle vraiment un effet sur le dépistage dans l’Hérault ?
Dr. Gutowski : Octobre rose contribue avant tout à sortir le drame de la projection. Cela aide les femmes à comprendre que se faire tester ne signifie pas automatiquement recevoir un diagnostic négatif. Au contraire, dans 99 % des cas, les mammographies ne révèlent rien de grave, et les femmes repartent rassurées. Même s’ils apprennent qu’ils ont une tumeur, ils comprennent que la détecter tôt améliore grandement leurs chances de guérison. Octobre Rose est donc essentiel pour continuer à rappeler à toutes les femmes, et particulièrement dans l’Hérault, que le dépistage est une question de prévention et de protection de la santé.
Plus de 60 000 femmes ont été diagnostiquées d’un cancer du sein l’année dernière en France, selon le dernier bilan de l’Inca (Institut National du Cancer). Cependant, le nombre de décès diminue grâce aux progrès du dépistage. “Plus c’est précoce, moins les traitements sont lourds”, conclut le Pr Jacot. Alors pourquoi attendre ?
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