quelques précisions à partir du cas du CRSH

quelques précisions à partir du cas du CRSH
quelques précisions à partir du cas du CRSH

Des voix s’élèvent fréquemment pour dénoncer le traitement défavorable auquel sont soumis les scientifiques et les universités francophones au sein du système fédéral canadien de financement de la recherche.

L’essentiel de l’argent étant distribué au sein du groupe privilégié des U15, un regroupement des 15 universités canadiennes les plus importantes, la situation serait largement favorable aux établissements anglophones puisque seulement deux universités francophones font partie de ce « select ». » (Université de Montréal et Université Laval).

Cette question importante de la répartition des fonds mérite évidemment d’être abordée avec rigueur. Il n’est cependant pas rare que des questions en réalité distinctes soient mélangées, et que des données empiriques qui pourraient apporter des réponses tangibles à ces questions soient mal interprétées, quand elles ne sont pas simplement mises de côté. Puisque nous menons un projet relatif à la répartition des subventions du CRSH, nous souhaitons ici apporter quelques précisions à ce sujet.

« La loi de Lotka »

Premièrement, le groupe U15 est en réalité hétérogène et ne recoupe que partiellement le classement des universités les plus financées. Par exemple, sur la période 2000-2021, l’UQAM et l’Université de Sherbrooke – absentes du groupe U15 – ont des probabilités plus élevées d’obtenir des subventions du CRSH dans deux des programmes les plus fréquents (« Développement des connaissances » et « Savoir ») que le University of Manitoba ou University of Calgary, qui figurent néanmoins chez les U15.

Cela est également vrai lorsqu’on regarde les montants des subventions : la moyenne des sommes reçues par les membres de l’UQAM dans ces programmes les place au sixième rang du classement général, entre l’Université de Montréal (troisième) et l’Université Laval (huitième), et devant dix universités anglophones chez les U15. Et s’il est indéniable que les petites universités ont, en moyenne, moins de chances d’être financées, cela n’est évidemment pas spécifique aux établissements francophones. L’Université de Lethbridge est tout aussi touchée par ce phénomène que l’UQAR.

Ce phénomène de concentration semble suivre une loi de répartition bien connue dans le domaine de la scientométrie – appelée « loi de Lotka » – qui n’est pas spécifique aux demandes de subventions. On le résume souvent en disant que 20% des acteurs (individuels ou institutionnels) obtiennent 80% des ressources (subventions, publications, citations)

Cependant, tous les domaines de recherche ne sont pas également concernés. Les données du CRSH démontrent que l’avantage conféré par l’appartenance à une grande université varie d’une discipline à l’autre. Par exemple, il est plus rentable d’être en U15 en économie ou en sciences politiques qu’en littérature ou en arts. L’explication de ces disparités réside dans la structure et la culture mêmes de ces disciplines, qui attribuent des valeurs différentes aux hiérarchies académiques lors de la répartition de l’argent disponible.

Choix de la langue

Ces dynamiques de concentration se distinguent par ailleurs des pratiques linguistiques des demandeurs de subventions. Un professeur peut très bien écrire et publier en anglais tout en étant rattaché à une université francophone, ce qui est aussi la majorité du cas en sciences biomédicales et en sciences naturelles. Le fait que la majorité des financements soient destinés à des candidatures rédigées en anglais ne peut donc être interprété comme une preuve que les recherches des scientifiques francophones sont sous-financés.

Le choix de la langue de publication, notamment, résulte de la prédominance de l’anglais dans le domaine scientifique international. Certaines disciplines sont particulièrement touchées par cette domination linguistique. Par exemple, il n’est pas très rentable pour une carrière scientifique d’écrire en français en économie, discipline très hiérarchisée dont les revues les plus prestigieuses sont toutes anglophones.

Toutefois, cela n’est pas spécifique au français en tant que tel : les économistes travaillant au Danemark valorisent et cherchent à publier dans les mêmes revues anglophones que leurs collègues québécois. On peut le regretter, mais il n’est pas dans l’intérêt d’un grand nombre de scientifiques de publier leurs travaux en français s’ils veulent une reconnaissance nationale et internationale dans leur discipline. Ce phénomène est bien entendu moins marqué dans les sciences humaines et sociales, davantage liées à des objets nationaux et publiées dans la langue locale. Des mesures peuvent être prises pour protéger cette diversité linguistique, mais elles doivent tenir compte de l’ensemble de ces dynamiques.

Cette analyse, trop succincte, permet au moins de rappeler qu’il est toujours préférable de ne pas poser de diagnostics généraux sur la « recherche en français » à partir de questions mal formulées qui, par définition, visent à apporter les meilleures réponses possibles. incomplet et, au pire, destiné à générer des « solutions » qui auront les effets inverses de ceux imaginés.

Photo fournie par Julien Larrègue

Julien Larrègue
Professeur adjoint
Département de sociologie, Université Laval

 
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