Faut-il interdire les symboles de haine ? Genève votera

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Si la population accepte de modifier la Constitution cantonale, Genève sera le premier canton à inscrire cette interdiction dans sa loi fondamentale.

La montée de l’antisémitisme en Suisse pousse certains responsables politiques à exiger l’interdiction des symboles de haine. © Keystone-archives

La montée de l’antisémitisme en Suisse pousse certains responsables politiques à exiger l’interdiction des symboles de haine. © Keystone-archives

Publié le 27/04/2024

Temps de lecture estimé : 8 minutes

La Constitution genevoise devrait-elle contenir un article interdisant les symboles de haine dans l’espace public ? La population du canton du Bout du Lac est invitée à répondre à cette question le 9 juin.

«Genève serait le premier canton à introduire une telle interdiction dans sa Constitution», espère Thomas Bläsi, conseiller national UDC (GE), ancien membre du Grand Conseil genevois et à l’origine du texte soumis au vote populaire.

«La Suisse est l’un des rares pays d’Europe à ne pas interdire l’utilisation des symboles nazis.» Conséquence selon lui : il existe de nombreux sites qui en vendent. “Mais arborer ces symboles ne représente pas seulement un signe de ralliement pour tous ceux qui partagent l’idéologie nazie, mais cela offense toute une partie de la population qui, de par son origine ou son orientation sexuelle, a été ou aurait pu être victime de l’idéologie nazie. crimes», déclare Thomas Bläsi.

Un grand-père résilient

Le député porte dans son histoire familiale l’héritage de la répression nazie. « Mon grand-père était résistant en avant d’être déporté. Il devient ensuite aide de camp du général de Gaulle, explique-t-il. Il a ensuite œuvré pour que les crimes des nazis ne soient pas oubliés et c’est dans ce contexte que j’ai grandi.

Soutenu dans un premier temps par toutes les formations politiques, l’UDC – son parti – a modifié sa position. C’est à Yves Nidegger, député au Grand Conseil et ancien conseiller national, que l’on doit cette volte-face.

«Genève serait le premier canton à introduire une telle interdiction dans sa Constitution»
Thomas Blasi

«Contrairement à la proposition votée au Conseil national la semaine dernière, le canton de Genève entend inscrire non pas dans la loi mais dans la Constitution cantonale une interdiction générale concernant tous les symboles de haine», note l’élu. Or, les travaux fédéraux en commission juridique, auxquels j’ai participé, ont démontré qu’il était très difficile d’établir une nomenclature des symboles à interdire, la liste étant soit arbitraire, soit interminable.»

Et de citer quelques exemples : « Il y a bien sûr les symboles du Parti national-socialiste des travailleurs allemands (nazis), mais aussi ceux des partis communistes dont les camps de la mort ont tué des dizaines de millions de personnes en URSS et plus encore en Chine. . Et que dire du A entouré d’un cercle qui appelle au meurtre de certaines catégories de personnes ? demande Yves Nidegger. Selon l’avocat, l’article 261 bis du Code pénal est suffisant. “Cette disposition a en effet puni pendant 30 ans l’incitation publique à la haine, qu’elle se fasse par la parole, l’écriture, les gestes ou l’affichage de symboles.”

Une loi d’application impossible ?

Mais ce n’est pas la seule critique qu’Yves Nidegger adresse au projet genevois. « Pour donner corps à ce principe, il faudra rédiger une loi d’application. Toutefois, le droit pénal relève de la compétence fédérale et l’article 261 bis règle déjà la question. Autant dire que c’est mission impossible et que le Conseil d’État en sera réduit à édicter des interdictions au coup par coup en se référant directement au mandat constitutionnel. Des décisions politiques et arbitraires sont ainsi programmées, tout le contraire du renforcement de la paix sociale promis par cet article constitutionnel.»

Un point de vue que Johanne Gurfinkiel, secrétaire générale de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad), ne partage pas. « Il n’existe pas de formule parfaite pour interdire les symboles nazis. Je pense que Genève a bien fait de privilégier la voie constitutionnelle. Ceci est conforme aux valeurs de la Genève internationale et aux droits de l’homme. Inscrire cette interdiction dans la Constitution envoie un message clair sur un sujet essentiel qui n’est pas que symbolique.»

Car pour les responsables, il faut agir. « L’interdiction des symboles nazis est un sujet brûlant. Ils sont trop souvent utilisés dans l’espace public, ce qui nous préoccupe beaucoup. Plus grave, ils ont tendance à être banalisés, que ce soit dans les milieux soutenus par les idées nazies ou fascistes ou par certains citoyens », observe le responsable.

Selon Johanne Gurfinkiel, il est tout à fait possible d’appliquer cette interdiction aux symboles extrémistes en général. Mais comment les définir ? « Il faut une liste précise, sinon il ne sera pas possible d’appliquer la loi. Une façon d’y parvenir serait de s’appuyer sur les interdictions existantes frappant certains mouvements (par exemple le groupe État islamique) pour établir la liste, liste qui pourrait être régulièrement mise à jour », suggère le secrétaire général.

Une UDC divisée ? Pas certain

Dans un premier temps, la quasi-totalité du groupe UDC a soutenu le texte constitutionnel visant à interdire les symboles de haine dans le canton de Genève. «Mais lors de l’assemblée générale, une majorité a finalement décidé de ne pas soutenir la campagne en sa faveur. Je le regrette et j’ai du mal à comprendre ce vote. Mais il est normal qu’il y ait des divergences au sein d’un parti dans un pays démocratique », philosophe Thomas Bläsi, membre du parti et auteur du texte.

Pour le député cantonal Yves Nidegger, qui a convaincu son parti de ne pas soutenir l’article constitutionnel, «on ne peut pas dire que l’UDC soit divisée sur cette question». Tant au Grand Conseil qu’au Conseil national à Berne le 17 avril, environ deux tiers des élus de son parti ont voté contre, une partie s’est abstenue et seuls quelques-uns ont approuvé les textes.

Différentes requêtes déposées

Le 17 avril, le Conseil national a emboîté le pas à la Chambre des cantons en interdisant les symboles racistes. La stratégie choisie : interdire dans un premier temps les symboles nazis, considérés comme facilement identifiables, avant d’étendre la loi à d’autres symboles racistes dans un second temps.

Une stratégie saluée par Johanne Gurfinkiel, secrétaire générale de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad). « Le débat est au point mort depuis trop longtemps. Grâce à l’admirable engagement des députés des parlements cantonaux romands et des élus fédéraux, ce sujet est enfin abordé au niveau politique.»

Car il n’y a pas qu’à Berne que ça bouge. Dans le canton de Vaud, une motion déposée par l’élu Vert Yannick Maury prévoit d’interdire tous les symboles extrémistes. “Le projet vaudois est donc plus englobant (que le projet fédéral, ndlr) et permettra de lutter contre plus d’abus et plus rapidement, sans prioriser les types de haine et sans procéder en deux temps”, estime le député du Grand Conseil. Son texte a été soutenu à l’unanimité par le Parlement.

«Ma collègue Christel Berset et moi avons été très préoccupés par l’exposition d’un drapeau nazi lors de l’échange d’armes au Forum Fribourg fin 2023»
Alexandre Berset

Inspirée notamment par l’exemple vaudois, la libérale verte Brigitte Leitenberg a également déposé une motion similaire en septembre dernier au Grand Conseil neuchâtelois. Après quelques modifications, le texte a été soutenu par le parlement cantonal, sans opposition.

Dans le canton de Fribourg, une motion visant à interdire les symboles nazis a été déposée par les députés Alexandre Berset (Verts) et Christel Berset (PS). Contre l’avis du Conseil d’État, le texte a été soutenu par le Grand Conseil par 54 voix contre 41 (voir notre édition du 21 mars).

Ces élus de différents cantons partagent des motivations similaires. «Ma collègue Christel Berset et moi avons été très préoccupés par l’affichage d’un drapeau nazi lors de l’échange d’armes au Forum Fribourg fin 2023», explique Alexandre Berset. Jugeant la réponse du Conseil d’Etat « insatisfaisante », les deux députés ont alors décidé de déposer une motion.

C’est aussi la multiplication des actes haineux et la montée de l’antisémitisme qui ont incité ces élus à agir, tout comme une législation jugée incomplète. « La norme pénale antiraciste ne punit pas l’utilisation ou l’exposition de symboles nazis dans les lieux publics. Cette faille juridique, facilement exploitée par le mouvement néo-nazi, permet à ses militants d’afficher de tels emblèmes sans être inquiétés, en connaissance de cause et en toute impunité », déplore Brigitte Leitenberg.

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« La norme pénale antiraciste ne punit pas l’utilisation ou l’exposition de symboles nazis dans les lieux publics »
Brigitte Leitenberg

Les différentes motions devraient-elles être retirées face à de futures lois fédérales ? Les députés fribourgeois et neuchâtelois attendent d’évaluer l’évolution de la situation à Berne avant de prendre leur décision. Dans le canton de Vaud, un retrait n’est pas à l’ordre du jour.

«L’existence d’un texte cantonal qui va plus loin que la première étape du projet national permet de maintenir la pression sur les Chambres fédérales, pour qu’elles reprennent le contrôle de tous les symboles de haine et qu’elles ne fassent pas les choses par moitiés », précise Yannick Maury.

 
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