La Réunion toujours en première ligne face à une épidémie silencieuse

La Réunion toujours en première ligne face à une épidémie silencieuse
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Avec 1 habitant touché sur 10, deux fois plus de patients soignés par rapport au niveau national et une augmentation de 3 % des cas chaque année depuis 2015, La Réunion est la région française la plus touchée par le diabète. Décryptage dans notre Grand Format de la semaine.

Fin 2022, Emmanuelle Fontaine est épuisée. Plusieurs symptômes l’inquiètent, comme sa vue défaillante. Elle consulte son médecin qui lui prescrit une prise de sang. A peine quelques heures plus tard, son téléphone sonne : «A 18 heures, le laboratoire m’appelle. On me dit que mon taux de sucre dépasse 3 grammes. Normalement, il ne faut pas dépasser un gramme”elle se souviens.

Le lendemain, Emmanuelle Fontaine apprend qu’elle est diabétique de type 2 : elle est abasourdie. “J’étais très choqué, je ne me voyais pas manger des choses sucrées tout le temps», confie-t-elle.

Comme elle, 1 habitant sur 10 est diabétique sur l’île. C’est la région la plus touchée par cette maladie chronique. Des chiffres qui ont augmenté de 3 % chaque année au cours de la dernière décennie, selon l’Observatoire régional de la santé (ORS). Parmi les causes : le surpoids qui touche près de la moitié de la population (46%).

Lors d’une consultation, la diabétologue Fatima Kharcha voit un patient de 60 ans souffrant d’un excès de poids abdominal. Cette graisse accumulée autour du ventre a provoqué une inflammation de l’organisme au point de provoquer une résistance à l’insuline, l’hormone qui régule le taux de sucre dans le sang.

Plus il y a de graisse, plus l’insuline a du mal à agir. Nous allons donc devoir produire plus d’insuline pour maintenir les niveaux de sucre. Mais c’est aussi une hormone qui fait prendre du poids. C’est un cercle vicieux dans lequel la résistance à l’insuline engendre le diabète.», développe cette aide-soignante dans son cabinet du Caz Diabète, à Saint-Denis.

A La Réunion, cet excès de poids s’explique par des modes de vie loin des recommandations : seulement 21 % de la population mange au moins 5 fruits et légumes par jour, tandis que 22 % boivent quotidiennement des boissons sucrées.

Prise de poids alimentée par les fast-foods, entre autres. À Saint-Benoît, une famille déclare y manger environ une fois par semaine. Les raisons ? Les prix proposés, selon le père : «Un menu coûte dix euros. Au restaurant, vous l’avez pour 25 euros». Accessibilité, selon la mère : «C’est ouvert jusqu’à tard, vous pouvez facilement venir après le travail».

Mais face à ces nombreux changements de comportements alimentaires observés depuis 50 ans, les corps n’ont pas eu le temps de s’adapter : «Nous sommes passés très rapidement d’une société de rareté à une société d’abondance. Nous mangeons beaucoup plus et marchons moins. Ceci explique pourquoi la capacité à métaboliser ou transformer les aliments n’est pas optimale.», précise Laurence Tibère, sociologue spécialiste de l’alimentation et représentante de l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

« Qui dans sa famille n’a pas un proche diabétique à La Réunion ?

Emmanuel Séraphin, maire de Saint-Paul

Pour contrer ces modes de vie propices au diabète, le maire de Saint-Paul a refusé la mise en place de 2 projets de restauration rapide. “Nous avons vu la profusion de fast-foods à La Réunion et nous avons décidé de les refuser désormais. C’est une conviction : en tant qu’homme politique, nous devons nous préoccuper des questions de santé et prendre des mesures qui protègent la population.», appuie Emmanuel Seraphin, chef de la commune labellisée « Ville Santé ».

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Car aujourd’hui, le fardeau du diabète s’alourdit sur l’île. Insuffisance rénale, accident vasculaire cérébral… Ici, les complications graves de la maladie sont presque deux fois plus fréquentes qu’à l’échelle nationale, selon la Santé publique.

« Quand les médecins m’ont dit que je risquais de perdre mon pied, j’ai eu une crise, il a fallu appeler un psychologue. On se dit : comment va-t-on vivre ou se déplacer ?

Ulrick Techer, diabétique, amputé d’un orteil

Un phénomène qui pourrait s’expliquer par l’âge des patients, selon Anna Flaus-Furmaniuk, diabétologue au CHU Saint-Denis : «Nous voyons de plus en plus de patients jeunes, âgés de 25 à 40 ans. C’est rarement le cas en France métropolitaine. Ainsi, s’ils vivent plus longtemps avec la maladie, ils sont plus susceptibles de développer une complication.».

A La Réunion, 52 % des diabétiques ont moins de 65 ans contre 37 % au niveau national, selon l’ORS. Alors, comment expliquer cette apparition précoce ? Parmi les facteurs, l’hérédité génétique pourrait prédisposer les Réunionnais à cette pathologie : c’est l’hypothèse du « génotype salvateur ».

Pour comprendre cette théorie, il faut remonter le temps jusqu’à la colonisation de l’île. Entre grandes traversées et périodes de famine, l’Histoire a pu avoir des séquelles sur les populations d’hier et celles d’aujourd’hui.

Selon cette hypothèse, les personnes qui ont survécu avaient un métabolisme qui se stockait plus facilement. C’est pourtant un avantage en période de famine, mais un inconvénient lorsque l’on a accès à l’alimentation comme actuellement : cela peut favoriser l’obésité et donc la résistance à l’insuline.», appuie Simon Auvray, docteur junior en diabétologie au CHU Saint-Denis.

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©Réunion 1ère

Pour mieux gérer le quotidien des patients et réduire les risques de complications, l’éducation thérapeutique joue un rôle clé dans la prise en charge du diabète. Chaque semaine, le Groupe Hospitalier Est Réunion (GHER) de Saint-Benoît reçoit un groupe de diabétiques. Plusieurs fois par jour, ils assistent à des ateliers comme de la musicothérapie ou à des séances d’échanges entre patients et soignants pour une meilleure compréhension de la maladie.

« Cela donne un coup de poing au corps. On a envie de bouger, de réagir : ça aide à oublier la maladie.»

Judith, diabétique après un atelier de musicothérapie

Mais pour limiter le diabète, voire l’éviter, La Réunion est la première à agir dès les signes avant-coureurs depuis 2023 : au stade « pré-diabète ». Murielle Dombé est dans cette situation, elle l’a appris l’année dernière lors d’une projection : «J’ai réalisé que je devais faire quelque chose avant de devenir diabétique. Je faisais attention à mon alimentation et à mon exercice physique, mais je voulais de l’aide“, elle dit.

“La perspective, comme une épée de Damoclès, d’un risque de traitement vous inquiète-t-elle ?” “Oui beaucoup”

Échange entre Murielle Dombé, prédiabétique et Cécile Béton, animatrice Run Prédiabète

Ce jour-là, elle assiste à sa première évaluation du programme Run Prédiabète développé par l’ETP Réunion et financé par l’Agence Régionale de Santé (ARS). Tout au long de la séance, un animateur lui pose des questions pour établir son futur parcours de santé qui lui permettra de limiter les facteurs de risque du diabète.

Un programme de recherche mené par la Faculté de Santé et le CHU de La Réunion veut aller encore plus loin dans l’envoi de SMS. Sur deux groupes de prédiabétiques, un seul recevra des messages de coaching trois fois par semaine pendant six mois.

Ces mots pourraient entraîner une perte de poids supplémentaire de 3 %. “C’est une opération qui complète les séances d’éducation thérapeutique : l’idée est que les bénéficiaires poursuivent les recommandations au quotidien pour mener à bien le programme.», explique Catherine Marimoutou, professeure agrégée de santé publique et responsable du centre d’investigation clinique au CHU Réunion.

“Ce qui nous intéresse aussi dans cette étude, c’est de savoir pourquoi et qui va jusqu’au bout”

Catherine Marimoutou, professeure agrégée de santé publique

L’objectif de cette étude quinquennale ? Maximisez les chances de perdre du poids pour prévenir les maladies. “Ces encouragements, ces rappels de base en matière d’alimentation ou d’activité physique ont déjà été testés aux Etats-Unis par exemple. Résultat : les bénéficiaires ont perdu plus de poids et ont mieux adhéré au programme. C’est ce que nous souhaitons évaluer ici avec une population et un environnement différents.“, elle termine.

Le Grand Format : Diabète, éducation thérapeutique pour mieux gérer le quotidien

Ils incarnent l’espoir : l’un repousse les limites de la plongée pour diabétiques ; l’autre est le seul à avoir réalisé le Grand Raid avec un pancréas artificiel. Pour réaliser leur rêve, ces deux sportifs atteints de diabète de type 1 ont dû redoubler d’efforts.

« Nous établissons un protocole pour éviter les hypoglycémies qui pourraient provoquer une gêne sous l’eau »

Anna Flaus-Furmaniuk, diabétologue

Aymeric Vogt a réussi à obtenir les trois premiers brevets de plongée grâce à la levée des interdictions pour les diabétiques au cours des vingt dernières années. Mais aujourd’hui, il est impossible de devenir guide de plongée à cause des risques d’inconfort sous l’eau par exemple. Grâce aux données recueillies par son pancréas artificiel, lui et sa diabétologue Anna Flaus-Furmaniuk espèrent faire évoluer la réglementation.

« Tout le monde a peur, j’ai peur aussi. Mais il faut être plus fort »

Jean-Christian Robert, coureur diabétique

Je me bats pour montrer aux gens que le diabète ne s’arrête pas là» : telle est la motivation de Jean Christian Robert. La volonté de ce coureur de 62 ans ? Surpassez-vous pour ouvrir la voie aux diabétiques. Une percée qu’il a eue à l’hôpital en 2010, après une crise cardiaque. “Mes amis m’ont demandé si j’allais bien. Je leur ai dit : oui, mais je vais m’inscrire au Grand Raid. Mais à l’époque je ne savais même pas courir un mile“, il dit. En 2022, il réussit cet exploit : franchir la ligne d’arrivée de la diagonale des imbéciles, avec un pancréas artificiel. C’est le seul à ce jour. Cette année encore, il enfile son dossard et l’heure n’a pas d’importance, du moment qu’elle inspire de l’espoir à tous les diabétiques.

Le Grand Format : Diabète, les prouesses des patients vivant avec un pancréas artificiel

 
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