Profilage racial | Le juge n’a pas cru à la version des policiers

Deux décisions de justice, l’une concernant la police de Montréal, l’autre, la police de Laval, démontrent que le profilage racial demeure un problème pour les deux corps policiers. Afin de prévenir les abus, les policiers de Laval ont désormais l’obligation de recueillir des données sur l’appartenance raciale des citoyens lors des interceptions policières.


Publié à 2h05

Mis à jour à 5h00

Un automobiliste noir de Montréal qui a été arrêté et aspergé de poivre après une interception de routine effectuée par deux policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) vient d’obtenir gain de cause.

Lamine Nkouendji, accusé pénalement d’entrave au travail des policiers dans l’exercice de leurs fonctions, a été acquitté dans une décision rendue le 16 avril dans laquelle le tribunal a constaté qu’il était victime de profilage racial.

« Au moins à un niveau inconscient, la race du conducteur du véhicule a joué un rôle dans la décision [des policiers] enquêter sur son assiette et, éventuellement, l’intercepter», écrit le juge Gabriel Boutros de la Cour municipale de Montréal dans sa décision.

Le juge Boutros n’a pas non plus cru la version des policiers du SPVM, qui affirmaient que M. Nkouendji avait forcé un feu jaune.

Max Stanley Bazin, président de la Ligue noire du Québec, salue la décision du tribunal.

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PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Max Stanley Bazin, président de la Ligue noire du Québec

Il existe un vieil adage selon lequel les policiers doivent servir et protéger. Là, la police fait le contraire. Ils ne servent pas les citoyens et ne les protègent pas. Ils violent ses droits fondamentaux.

Max Stanley Bazin, président de la Ligue noire du Québec

Me Fernando Belton, l’avocat de Lamine Nkouendji, note qu’il est « extrêmement rare » qu’une personne soit acquittée pour une défense de profilage racial en droit pénal.

« À ma connaissance, c’est la deuxième décision en ce sens au Québec. La première fois, c’était en 2005″, raconte-t-il.

Une interception qui a dégénéré

Les faits remontent au 24 juin 2020, alors que les agents Adrien Gagné et Guillaume Michel-Black, du SPVM, circulaient dans leur auto-patrouille sur l’avenue du Parc en direction nord et ont tourné à droite sur l’avenue Van Horne, en direction est.

Sur Van Horne, Lamine Nkouendji conduisait un véhicule de location et attendait en direction ouest dans une file de véhicules à un feu rouge.

Apercevant M. Nkouendji, l’agent Gagné a tourné la tête vers la gauche alors qu’il conduisait pour constater que le véhicule conduit par M. Nkouendji avait une plaque « F », qui est une plaque commerciale.

Il a alors décidé de faire demi-tour, de dépasser quelques autres véhicules pour se placer directement derrière le véhicule de M. Nkouendji. La police a déclaré que le conducteur avait ensuite dépassé un feu jaune au coin de la rue Hutchison.

Lors de leur interception, les policiers se sont rendu compte que M. Nkouendji conduisait avec un permis de conduire camerounais, que son droit de conduire était sanctionné et qu’il avait des contraventions impayées.

C’est en tentant de saisir le véhicule que la situation a dégénéré et les policiers ont aspergé de gaz poivré le visage de M. Nkouendji, qui a protesté d’avoir été intercepté en raison de la couleur de sa peau. L’intervention a été enregistrée sur le téléphone portable de ce dernier.

Dans sa décision, le juge Boutros a indiqué qu’il retenait « la possibilité réaliste qu’un profilage racial ait été pratiqué » lorsque le policier Gagné a décidé de tourner brusquement la tête vers la gauche pour regarder par-dessus son épaule en conduisant pour voir la plaque du véhicule conduit par M. Nkouendji. .

« Cela soulève un doute raisonnable sur un élément essentiel de l’infraction reprochée, à savoir que les agents étaient dans l’exercice de leurs fonctions. »

Le tribunal conclut que l’interception fondée sur de tels motifs ne peut être considérée comme faisant partie de la fonction du policier. Donc M. Nkouendji ne pouvait pas entraver le travail de ce dernier.

« Mettre en avant l’inacceptable »

Max Stanley Bazin note que les tribunaux font aujourd’hui un « excellent travail » pour faire respecter les droits des citoyens. « Ils n’hésitent pas à souligner l’inacceptable et à pointer du doigt les responsables. »

M. Bazin invite les personnes qui s’estiment lésées à contacter la Commission des droits de l’homme et des droits de la jeunesse, qui peut offrir une représentation juridique gratuite.

« Le profilage crée des blessures morales. Les gens peuvent cesser de fonctionner normalement dans la société à cause de cela. Si un livreur doit livrer en urgence des médicaments à une personne âgée et est intercepté illégalement par un policier, cela pourrait mettre des vies en danger. Dans un tel cas, il y aurait deux victimes. »

Fo Niemi, directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), souligne que le profilage racial peut prendre plusieurs formes.

« À Montréal et dans les régions périphériques, on voit beaucoup d’interceptions avec des motifs obliques. Par exemple, ne pas avoir allumé son clignotant pour changer de voie. Ensuite, la police interroge et cherche à justifier l’interception après coup. »

De plus en plus, les tribunaux sont sensibles à ce phénomène, dit-il.

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PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Fo Niemi, directeur général du CRARR

On le voit beaucoup à la cour municipale, les juges n’ont plus de patience pour ça, ils deviennent intolérants face à ces interceptions.

Fo Niemi, directeur général du CRARR

Me Belton note que la preuve du profilage racial doit être faite indirectement devant le tribunal, puisqu’aucun policier ne dira qu’il pratique du profilage racial. « Alors, nécessairement, un juge doit examiner les preuves circonstancielles qui lui sont présentées. Il recherche des indices qui ont contribué aux événements. Dans cette affaire, le juge n’a pas cru aux justifications des policiers. »

Me Belton rapporte que Lamine Nkouendji a également intenté une poursuite civile contre la Ville de Montréal peu après les événements de 2020, et que ce dossier est toujours actif. « La victoire au niveau pénal peut aider au niveau civil. Cela dit, je le représente toujours, je ne peux donc pas faire de commentaires supplémentaires. »

Anik de Repentigny, responsable des communications et des relations avec les médias au SPVM, souligne que le service de police « est sensible à la situation évoquée dans cette décision et prend note du jugement rendu le 16 avril dernier. À l’heure actuelle, nous pouvons confirmer que des travaux d’analyse cette décision est en cours. Dans ces circonstances, nous ne ferons aucun commentaire supplémentaire. »

4 à 5 fois

Ce sont les probabilités qu’une personne noire ou autochtone soit arrêtée par la police à Montréal comparativement à une personne blanche, selon une étude réalisée de 2014 à 2017.

Sources : UQAM, TELUQ et UdeM

25%

C’est la proportion des arrestations à Montréal qui concernent les Noirs, qui représentent moins de 10 % de la population.

Sources : UQAM, TELUQ et UdeM

Le Tribunal des droits de la personne accuse la police de Laval

Un homme noir a été victime de profilage racial en 2018 dans le cadre de son interception par le Service de police de Laval (SPL), selon une récente décision du Tribunal des droits de la personne.

Pour contribuer à prévenir de futurs abus, la Cour exige également que la police collecte des données sur l’appartenance raciale dans le cadre des interceptions policières.

Les faits allégués remontent au 19 septembre 2018, lorsque Caroline Beaulac et Jessica Lamothe, deux policières du SPL, ont décidé d’intercepter le véhicule conduit par Jonathan Woodley. Ce dernier s’était alors plaint d’avoir été interpellé en raison de la couleur de sa peau. La tension est montée et d’autres policiers sont intervenus, bloquant le véhicule du conducteur.

Cette arrestation a donné lieu à deux constats d’infraction, jugés injustifiés par le tribunal dans sa décision rendue le 15 avril.

« Le contexte social marqué par l’existence de profilage racial au sein des forces de police en général et du SPL en particulier conforte les conclusions de la Cour, fondées sur des preuves prépondérantes, selon lesquelles l’appartenance raciale et la couleur de la peau, combinées au sexe du plaignant, ont été un facteur, voire le facteur principal, qui a amené les agents Beaulac et Lamothe à intercepter [M. Woodley] et de lui appliquer un traitement différencié », peut-on lire dans la décision.

Mercredi, le SPL a déclaré avoir pris note de la décision rendue par le tribunal, a déclaré La presse la porte-parole du corps policier, Geneviève Major.

« Nous prendrons le temps d’évaluer la décision avec le Service des affaires juridiques de la Ville de Laval. L’intégrité, le respect et la diversité sont au cœur des valeurs de notre Service et guident nos actions quotidiennes et notre engagement continu envers la communauté lavalloise », a-t-elle souligné.

Jugement important en 2022

En 2022, la Cour supérieure a ordonné la fin des interceptions d’automobilistes sans véritable motif. Ce pouvoir arbitraire a servi à certains policiers de « refuge pour le profilage racial contre la communauté noire », a conclu le juge Michel Yergeau dans une décision de 170 pages.

«Nous ne pouvons pas, en tant que société, nous attendre à ce qu’une partie de la population continue de souffrir en silence dans l’espoir qu’un État de droit reçoive enfin une application de la part des services policiers qui respecte les droits fondamentaux garantis par la Charte canadienne», a soutenu le juge. .

C’est un jeune homme noir de 22 ans, Joseph-Christophe Luamba, qui est à l’origine de cette décision majeure. L’étudiant d’origine congolaise a été arrêté sans aucun motif à trois reprises à Montréal en seulement un an, entre 2019 et 2020.

Lire « Décision majeure de la Cour supérieure concernant le profilage racial »

 
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