jeIl existe peu d’études sur ce sujet. Comparativement aux données sur les populations de poissons des rivières, des estuaires ou des marais salants, les marais frais agricoles bénéficient moins de travaux de recherche. « Peut-être parce qu’il s’agit d’un environnement anthropique, qui n’existait pas à l’origine sans l’intervention humaine dans les marais. Pour les poissons, ce n’était pas un habitat naturel”, suggère Vincent Boutifard, ingénieur à Inrae (1) dont l’unité expérimentale de Saint-Laurent-de-la-Prée, aux portes de Rochefort, vient de lancer une pêche scientifique inédite. campagne dans le cadre du projet MaVi (Maintenir les marais vivants). Prédateurs d’insectes et proies des oiseaux, les poissons jouent un rôle important dans la chaîne alimentaire et dans l’évaluation de la qualité de l’eau.
Dans cette étude qui s’étendra jusqu’en 2026 avec deux campagnes annuelles (printemps et automne) et sur cinq sites (2), l’un des enjeux consiste à « évaluer l’impact de la gestion de l’eau sur les poissons », poursuit Vincent Boutifard. Comment ? En prélevant des échantillons de poissons sur des sites soumis à deux gestions hydrauliques donnant lieu à des niveaux d’eau différents : la traditionnelle régie par les ASA (associations syndicales agréées) se concentre sur l’évacuation des débordements au printemps des eaux hivernales afin de drainer les sols propices à la développement de la végétation. Puis laisser paître les vaches.
Géré par l’Inrae, l’autre modèle de sas hydraulique vise à préserver davantage la biodiversité en laissant des niveaux d’eau plus élevés dans les fossés. Avec en corollaire deux autres paramètres étudiés : la fragmentation des habitats du poisson liée aux barrières (portes, batardeaux, écluses) et la qualité de l’eau comme la teneur en oxygène.
Un protocole a été défini : 24 heures avant le ramassage, des verveux doubles (disposés en nasse) de longueur d’environ douze mètres sont posés. Juste avant le prélèvement, différentes mesures sont relevées : température de l’eau (11 degrés), hauteur de l’eau (31 cm), salinité de l’eau (0,4 gramme par litre), PH de l’eau (8), niveaux d’oxygène ont été affichés lors d’un test mardi 23 avril.
Intéressant et dérangeant
Ensuite, « c’est comme à la loterie », sourit Vincent Boutifard en vidant le filet de pêche dans un seau d’eau. A ses côtés, Meryl Broult manipule « une balance ornithologique pour les oiseaux qui sert aussi pour les poissons ». Etudiante en Master 2 Gestion de l’Environnement à La Rochelle, elle pèse, mesure et compte le nombre d’espèces. Des statistiques qui fournissent des enseignements intéressants mais aussi inquiétants.
Ce matin-là, deux espèces exotiques envahissantes (EEE) prédominaient largement. D’abord l’écrevisse de Louisiane, reconnaissable à ses petits points rouges décorant ses pinces et son corps. Introduit en Espagne dans les années 1970 puis en France, il s’est échappé de ses aires de reproduction et a colonisé une partie du territoire français. Plusieurs dizaines de spécimens, soit un total de 1 kg, ont été capturés. Une prolifération qui n’est pas sans conséquences sur l’écosystème local : il se nourrit d’amphibiens et d’œufs de poissons et contribue à l’érosion des berges en creusant des terriers. Pas étonnant que la population de ses prédateurs (cigognes, loutres, hérons) se porte bien.
Deuxième espèce invasive, le goujon asiatique (ou pseudorasbora), dont une centaine de spécimens ont été collectés. Arrivé d’Asie de l’Est dans la Sarthe dans les années 1970, il représente une menace : porteur sain d’un parasite (l’agent rosette), il a infecté des populations endémiques.
Seuls deux spécimens uniques d’espèces indigènes ont été recensés : une jeune anguille et une épinoche avec ses trois épines sur le dos, les seules relâchées dans le fossé.
Les premiers résultats de pêche montrent la présence de « 11 espèces, jusqu’à 90 % d’espèces exotiques envahissantes (dont le poisson-chat) », soulignent Vincent Boutifard et Meryl Broult. Pire, la statistique monte à 95 % en prenant en compte la seule biomasse, même si les scientifiques relativisent le poids de ces chiffres sur ces milieux façonnés par l’homme.
Les conclusions de ces recherches pourraient apporter des connaissances pour une meilleure régulation de ces espèces envahissantes tout en favorisant celles qui sont en danger critique d’extinction comme l’anguille.
(1) Institut National de Recherche sur l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement.
(2) Marais de Saint-Laurent-de-la-Prée, Voutron, traversier, réserve naturelle de Brouage et La Vacherie (Vendée).