1,5 million d’euros pour sauver ce monument du patrimoine industriel en péril

Par Pierre Boissonnat
Publié le

23 avril 24 à 6h06

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Le long de l’Andelle, Pont Saint Pierre (Eure), les ruines du Filature Levavasseur sont en sommeil depuis près de 90 ans et la fin de l’exploitation de ce remarquable site industriel en 1946.

“Nous voulons réveiller et révéler cette belle endormie”, a déclaré Alexandre Rassaërtprésident du Département de l’Eure, lundi 8 avril 2024, lors de la conférence de presse qu’il a tenue depuis la salle des machines en compagnie d’Yvette Petit-Decroix, déléguée départementale de la Fondation du patrimoine, de Thierry Plouvier et Françoise Collemare, conseillers départementaux, et de Jean -Luc Romet, président de la Communauté de Communes Lyon Andelle.

Bientôt classé monument historique ?

Une visite qui a permis d’annoncer un projet en trois étapes pour faire revivre cette cathédrale industrielle de style néo-gothique, unique en Europe, propriété du Département depuis 1999. Alexandre Rassaërt se veut cependant modeste : « Nous n’allons pas reconstruire le site, mais veiller à sa préservation», a-t-il prévenu en annonçant un budget de 1,5 million d’euros pour financer les travaux d’ici 2028 et la fin du mandat du conseil départemental.

« Nous allons également demander que la Filature soit classée monument historique. Les élus se prononceront sur ce sujet lors de la prochaine séance plénière du 14 juin », a ajouté le président.

Des annonces très attendues dans le secteur. Comme en témoigne Yvette Petit-Decroix : « Cela fait 40 ou 50 ans que je vis aux alentours et cela fait aussi longtemps qu’on ne m’a pas annoncé que des travaux allaient avoir lieu ici. J’espère que je n’aurai pas à attendre encore 50 ans pour que cela commence », a plaisanté le représentant de la Fondation du patrimoine.

Une demande de classement au registre des Monuments Historiques sera proposée par le Département de l’Eure. ©L’Impartial

La filature Levavasseur en dattes

– 1792. François Guéroult, architecte et entrepreneur rouennais, acquiert l’abbaye de Fontaine-Guérard, son moulin à blé et ses prés. Il lance la construction d’une grande filature mécanique de coton sur le site du moulin de l’abbaye. Cette usine (aujourd’hui disparue), entraînée par une roue hydraulique et une machine à vapeur, constitue le premier exemple de filature mécanique de coton construite dans la vallée de l’Andelle, où l’industrie textile est présente depuis le XVIIe siècle.
– 1820. Le baron Édouard Jacques Levavasseur (1777-1842), marchand-armateur havrais, fondateur de la filature de coton de Houlme (Seine-Maritime), acquiert alors le domaine industriel de Fontaine-Guérard qui s’étend sur 18 hectares et comprend cinq usines textiles avec près de 500 ouvriers.
– 1845. Principal fléau de l’industrie textile, plusieurs incendies se succèdent et entraînent la disparition de toutes les usines du domaine de Fontaine-Guérard.
– De 1861 à 1868. Pour remplacer les usines disparues, Charles Levavasseur projette la création d’un nouvel établissement en 1851. Cela implique le forage d’un immense canal d’approvisionnement et la création d’un barrage capable de produire une puissante cascade. Il fit construire plusieurs bâtiments, dont deux usines : une immense filature de coton et une plus petite, toutes deux construites dans un style néo-gothique.
La première, aux allures de cathédrale, fut achevée en 1861 et la seconde, destinée au tissage, en 1868. L’usine cathédrale mesure 96 m de longueur et 36 m de hauteur et s’élève sur 5 niveaux. C’était alors l’une des plus grandes filatures de France.
– 1874. Un violent incendie se déclare un dimanche dans la filature cathédrale, sans faire de victimes, les ouvriers étant en repos. En quelques heures, l’usine fut presque entièrement détruite, ne laissant que les ruines que l’on voit encore aujourd’hui.
– 1913. La petite filature, dirigée depuis 1894 par Charles-Arthur Levavasseur, est touchée par un incendie. Partiellement détruit, il fut rapidement remis en service et employa à nouveau 160 ouvriers.
– 1923. Jacques Levavasseur succède à son père. Pour alimenter la filature en énergie, il construit une centrale hydroélectrique et un bâtiment pour les moteurs diesel.
– 1946. Dernier incendie dans la petite filature qui sonne le glas du site, dirigé depuis 1930 par Bernard Levavasseur.
– Dans les années 1960. Le site, qui comprend les ruines de la grande filature et de la petite filature, un bâtiment de stockage (appelé l’horloge), un atelier de réparation-forge, une réserve, un bâtiment de machines, une centrale hydroélectrique, la maison du directeur et un quelques maisons ouvrières, fut vendue en lots par les héritiers Levavasseur.
La maison du directeur et les logements des ouvriers furent rapidement achetés. La centrale hydroélectrique, toujours équipée d’une turbine tourbillonnaire à hélice, est aujourd’hui exploitée par la Société Electricité d’Elbeuf, qui l’a rachetée quelques années plus tard. Les autres bâtiments du site restent en revanche abandonnés.
– 1995. L’Établissement public de Basse Seine (actuellement Établissement public foncier de Normandie) décide de protéger ce patrimoine. Il acquiert donc le site, dans le cadre de la politique régionale des friches. Il y entreprend les travaux les plus urgents (consolidation, défrichement, réfection de certains bâtiments) avant de proposer l’achat du terrain à une collectivité.
– 1999. Le Conseil Général de l’Eure acquiert la fabrique de la cathédrale et ses annexes afin d’assurer la préservation de ce patrimoine exceptionnel.
– 2021. Le Département sollicite la mission Stéphane Bern. La filature est sélectionnée et reçoit ainsi un financement pour sa préservation. Il rouvrira au public un an plus tard lors de visites guidées.

Début des travaux en fin d’année

Une plaisanterie à laquelle Alexandre Rassaërt a rapidement répondu :

“Une première phase de travaux devrait démarrer à la fin de l’année et vise à consolider le site afin de le rendre accessible au public.”

Alexandre Rassaërt, président du Département

Cette partie du projet, déjà prévue pour 2021, mais qui a dû être reportée, a avec un budget de 500 000 euros. Cela inclut également la dévégétalisation des ruines. « De nombreuses entreprises avaient reculé devant la complexité et la technicité du site. Cette fois, nous avons établi un cahier des charges plus complet auquel, nous l’espérons, les entreprises pourront répondre rapidement », explique Alexandre Rassaërt.

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Pour mener à bien ce projet d’envergure, le Département peut compter sur une aide financière de la Fondation du Patrimoine à travers la Mission Berne à hauteur de 250’000 euros. Par ailleurs, l’assureur Axa apporte 100 000 € dans le cadre du dispositif de mécénat développé par la Fondation.

Alexandre Rassaërt, président du Département, a annoncé le lancement des travaux pour sauver la Filature. ©L’Impartial

Rechercher des témoignages

La préservation de la Filature présente, selon Yvette Petit-Decroix, un intérêt historique et mémoriel :

« Le site témoigne de l’histoire économique de la vallée, mais plus largement de la Haute-Normandie, région la plus productrice de textile de France, à la fin du XIXème siècle »

Yvette Petit-Decroix, déléguée départementale de la Fondation du Patrimoine

Dans cette optique, un recueil d’archives et de témoignages est organisé pour retracer l’histoire du site et permettre de mieux comprendre le quotidien des ouvriers, dont jusqu’à 300 filaient le coton sur le chantier. « Il est important que les habitants du quartier ou les descendants de ces travailleurs qui ont des informations ou des témoignages à nous apporter nous contactent. Nous recherchons également des archives et des objets pour retracer l’histoire de la Filature », précise Thierry Plouvier.

La Filature est remarquable « d’un point de vue architectural », poursuit Yvette Petit-Decroix. “C’est le plus grand d’Europe et ses tours sont à la fois fonctionnelles et esthétiques.”

Visites, spectacles et création artistique à la Filature

Pour lancer une dynamique avant le démarrage du projet, le Département a élaboré une ébauche de programmation culturelle pour la Filature Levavasseur. Le site accueillera deux temps forts et sera le théâtre d’un projet de création sonore.
– Samedi 25 mai. Dans le cadre du festival AnthropoScènes, le site accueillera des visites guidées ainsi que des visites théâtralisées sur réservation. En soirée, le public pourra assister à un concert nocturne « Les Yeux Fermes », avec Diane Barbé et Félicia Atkinson, qui se déroulera dans le noir, sans écran ni téléphone portable, avec un dispositif d’écoute immersif. Une expérience unique construite en partenariat avec le Kubb.
– Samedi 31 août. Dans le cadre du festival Normandie Impressionniste, en complément de visites guidées ou théâtralisées, les spectateurs pourront découvrir une adaptation de Stalker, un film d’Andreï Tarkovski, en opéra déambulatoire proposé par Olga Kisseleva. Une écoute immersive à découvrir. Sur réservation.
– À travers les sons. Le Département a lancé un projet de création sonore et d’appropriation du patrimoine. Ce projet vise à permettre à des enfants aux parcours de vie difficiles de s’approprier Spinning. L’artiste et compositeur Stéphane Norbert, fondateur de So Loops, accompagnera les enfants dans cette création lors d’une vingtaine d’ateliers entre mai et octobre. La restitution s’effectuera lors des Journées Nationales de l’Architecture.

Réaliser des travaux permettrait également de donner « un avenir touristique » au site qui pourrait s’intégrer dans un parcours de visite lié à l’abbaye de Fontaine-Guérard, à Radepont. Avant ces travaux, mais toujours dans le but de redonner vie aux ruines de la Filature, deux temps forts culturels et un projet de création artistique seront mis en place par le Département.

Le Département de l’Eure lance un fonds d’archives et de témoignages pour retracer l’histoire de la Filature Levavasseur. ©L’Impartial

Les personnes souhaitant partager des témoignages, images et autres documents sur la Filature Levavasseur sont invitées à contacter le service culture et patrimoine du Département de l’Eure. Contact : 02 27 34 00 69 ou [email protected]

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