Je suis monogame mais je prends soin de moi – Lequotidien

Je suis monogame mais je prends soin de moi – Lequotidien
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Depuis le 2 avril 2024, la polygamie, longtemps revendiquée comme la manière la plus farouche et indestructible d’être sénégalais, frappé d’authenticité mais marginalisée dans la République, a franchi le Rubicon.

Jusque-là, disons, avant l’ère Bassirou Diomaye Faye, elle s’arrêtait aux portes du Palais : de Senghor à Macky Sall, rien que des monogames, dont les heureux maris de deux Françaises, pardon, deux « toubabe d’ethnie sénégalaise » comme Viviane Wade a précisé, histoire de confirmer sa légitimité de maîtresse de maison, depuis douze ans, dans le pied-à-terre de l’avenue Léopold Sédar Senghor.

Au Palais de la République, comme par respect d’une règle tacite, depuis soixante-quatre ans, la monogamie a élu domicile, ce qui en fait un bastion imprenable du tête-à-tête romantique, une forteresse du couple, un temple de vie amoureuse à deux, alors qu’ailleurs, sur le continent, et même au-delà, on n’hésite pas beaucoup dans les palais présidentiels à additionner les mariages ou à entretenir des favoris à peine clandestins en multipliant les salauds…

Le Sénégal, curieusement, ne laisse pas échapper de sordides secrets des alcôves à ce niveau. Bien sûr, de folles rumeurs, jamais prouvées, animent les ragots des conciergeries depuis la nuit des temps, qui relèvent plutôt d’un fantasme collectif que les ravissantes mondaines de la jet-set inspirent aux mauvais dormeurs.
Il faut tout pour faire une République, surtout les ragots.

Dans les milieux féministes, aux positions avancées dans l’émancipation de la femme sénégalaise, il y a une bataille contre le secteur informel. La polygamie existait bien avant la pénétration de l’Islam, tandis que les roitelets locaux entretenaient des harems qui étaient autant de pactes d’alliance entre familles guerrières.

Chez les badolos, qui cultivent la terre et élèvent leur bétail lorsqu’ils ne pêchent pas au large, il faut autant que possible des armes, et de préférence des armes solides. Se marier davantage est presque une obligation pour survivre à la pauvreté, car il s’agit avant tout de se multiplier autant qu’on le souhaite.

L’utile et l’agréable : n’est-ce pas une manière d’avoir plusieurs cordes à son arc ?
Lorsque les Toubab arrivent sur la côte et commencent à construire des villes, sa cohabitation avec les indigènes n’empêche rien : les ruraux arrivent en ville avec leurs habitudes de plouc et leur basse-cour. Quelques-uns franchissent les limites tolérées et s’urbanisent. Ils habitent non loin des quartiers Toubabs, assimilant leurs codes et urbanités au point de fonder des foyers où les enfants préparent du café au lait.

À ma droite, ces monogames constipés et, à ma gauche, ces polygames dissipés…

Dans la hiérarchie de ce qui est en train de devenir la colonie française d’Afrique de l’Ouest, si l’on veut gravir les échelons, autant faire comme les Toubabs… Bien sûr il y en a qui résistent : ces messieurs trop virils ont pourtant fréquenté les cercles de la haute société coloniale, jouissant de ses privilèges, dès qu’elle descend en dessous de la ceinture, ils restent des nègres, aussi authentiques que susceptibles, hypersensibles à la provocation.

Ne touchez pas à ma polygamie…
D’autant que le statut est couvert par l’Islam, la religion qui fait alors fureur dans les milieux vernaculaires, et qui engloutit l’éternel paganisme après lui avoir emprunté ses décoctions nauséabondes, ses amulettes surréalistes et ses mythes effrayants. C’est une recommandation divine que nous disons aux Toubabs et à leurs acolytes, comprenez ces traîtres nègres assimilés qui renoncent à leur culture, épousent des femmes blanches, se permettent même d’apostasier au nom du Progrès et de la sacro-sainte Civilisation !

Et puis surtout, quelle est cette manie de croire que les femmes sont les égales des hommes alors que même les Toubabs qui en parlent n’en croient pas un mot ? Quand l’Occident nous ramène cette question, on lui crache au visage qu’il ne sait plus reconnaître ce qu’est un homme ou une femme : les gays, les transsexuels, et toute la gamme des frustrés par la bite. et le clitoris vous salue très humblement.

Bref, à ce jour, le débat ne sera jamais réglé directement.
Sauf que Senghor n’aurait jamais osé ramener au Palais une Négresse qu’il présenterait à Madame Colette Hubert comme une petite sœur disponible pour des tâches domestiques ingrates. L’art de faire avaler ce genre de bêtises à sa femme vieillissante est certes un authentique sénégalais, mais il faudrait que le requérant, à qui l’on donne si gentiment un assistant, ait une compréhension rouillée.

Abdou Diouf, non plus. S’il pose à la Tabaski avec une Première dame un peu bronzée, cette histoire de seconde épouse, il ne faut pas y compter, même en rêve : le protocole que dirige Bruno Diatta est absolument vigilant. Le FMI et la Banque mondiale, qui payaient à l’époque tous les salaires du pays, avaient tendance à favoriser la réduction des effectifs de la fonction publique et à licencier le personnel encombrant. Alors, comment expliquer à ces donateurs pointilleux qu’il existe un smala supplémentaire à entretenir, à grands frais, avec des fonds publics, alors que nous sommes en plein ajustement structurel ?
Ils auraient plutôt tendance à encourager le célibat, ces financiers économes…
Père Wade ? C’est un enfant de l’époque coloniale malgré ses habitudes kaw-kaw du Cayor qui a le bon goût de se déclarer à Saint-Louis pour se lancer dans la galère de la citoyenneté, du progrès, de la modernité et du métissage senghorien. Les consignes alors ? Un homme, une femme, un seul, et de préférence une peau couleur lait… Il a le choix, n’est-ce pas : qu’est-ce qui l’empêcherait, en ces temps de férocité, de devenir un paysan rude, mais polygame épanoui ?

Un éclair d’espoir traverse la population lorsque Macky Sall, né après l’indépendance, arrive avec une Première dame de notre pays : Marième Faye, qui dessine en public des marches de pakargni, affiche ses dévotions et ses cheveux naturels, ne surveille pas sa ligne. Finalement, on redevient nous-mêmes, authentiques… Sauf qu’il y a un problème : contrairement aux vrais nègres qui osent tout, Macky Sall a clairement peur de sa femme.

Ce qui n’est pas très sénégalais.
L’élection de Bassirou Diomaye Faye est une révolution, non seulement parce qu’il est le premier opposant à remporter une élection présidentielle dès le premier tour. C’est celui qui nous ressemble le plus, et nous conforte dans notre imaginaire collectif : la femme sénégalaise n’a pas la même place que l’homme sénégalais.

La question qui fâche : à quel moment la République va-t-elle sérieusement se demander pourquoi une moitié de la population n’a pas les mêmes droits que l’autre ?

Je ne parle pas de l’apartheid, mais de la polygamie…

 
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