A Paris, le musée de Cluny révèle la splendeur oubliée des arts en France au temps de Jeanne d’Arc

Lorsqu’on évoque le nom de Charles VII, surgissent immédiatement la silhouette héroïque de Jeanne d’Arc et le tumulte de la guerre de Cent Ans. Mais l’exposition au Musée de Cluny-Musée national du Moyen Âge à Paris, « Les arts en sous le règne de Charles VII » (jusqu’au 16 juin), imaginée par Maxence Hermant et Mathieu Deldicque, commissaires avec Sophie Lagabrielle, révèle une floraison artistique peu connue.

Une période peu étudiée

Cette période “creuser» entre l’essor du gothique courtois autour de Charles VI et le dernier quart du XVe siècle marqué par la transition bien connue entre gothique et Renaissance, a été très peu étudié pour lui-même, rappelle Séverine Lepape, directrice du musée de Cluny et commissaire générale. Période passionnante de l’histoire de l’art, le règne de Charles VII s’inscrit dans une période difficile : le royaume est réduit à sa plus simple expression dans les deux premières décennies du règne. Déshérité par le traité de Troyes en 1420, le roi doit se retirer au sud de la Loire pour résister et reconquérir ce qu’il peut. »

Vue de l’exposition « Les arts en France sous le règne de Charles VII » au Musée de Cluny, 2024 © Rémi Jaouen, Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge

Mais après s’être laissé dépouiller, le pusillanime » roi de Bourges » relève son royaume épuisé et agrandit la carte de France. L’emblème majestueux du cerf ailé manifeste cette puissance retrouvée. Mais existe-t-il un art « à la française » ? Organisateur de la mythique exposition « Les Primitifs français » en 1904, Louis Courajod l’affirme dans sa vision nationaliste de l’art. La situation est aujourd’hui plus nuancée. Marquée par la double influence des Flamands, prédominants, et des Italiens, cette période de renouveau artistique voit fleurir des expressions artistiques originales et variées.

L’audace du maître de Bedford

Plutôt qu’une France uniforme, il existe différents pôles artistiques qui brillent chacun à leur tour. Dans Paris occupé jusqu’en 1437, les artistes sont très actifs autour du régent Jean de Lancastre, duc de Bedford. Aujourd’hui identifié à Haincelin de Haguenau, le maître originaire de Bedford dirige l’atelier le plus important de la capitale. C’est à lui que le duc de Bedford, régnant pour le roi mineur Henri VI d’Angleterre, fit appel pour orner son bréviaire (chef-d’œuvre prêté par la Bibliothèque nationale) et son livre d’heures, témoins exceptionnels de cet instant parisien.

Jean Fouquet, Heures d'Étienne Chevalier, v. 1452-1460, enluminé, 21 x 15 cm Paris, BnF. © Bibliothèque nationale de France

Jean Fouquet, Heures d’Étienne Chevalier, v. 1452-1460, enluminé, 21 x 15 cm Paris, BnF. © Bibliothèque nationale de France

Sa palette est audacieuse, ses compositions denses mélangent de nombreux personnages et juxtaposent parfois plusieurs actions, dans une recherche du pittoresque. La narration se poursuit en marge, avec des médaillons enveloppés d’une riche ornementation végétale (Bréviaire du duc de Bedford). Cet atelier aura une influence déterminante sur les artistes de la génération suivante, celle de Jean Fouquet.

A la lumière des Flamands

Le retour du roi dans la capitale inaugure une seconde période prospère, dans les années 1440 et surtout 1450. De nouveaux artistes marquent cette nouvelle période parisienne, ainsi que des artistes réfugiés en Normandie, en Picardie et dans le Val de Loire. Ils ont réinvesti le capital et l’ont nourri de tout ce qu’ils avaient vu de Van Eyck, Robert Campin, Rogier van der Weyden. Documenté à Tournai en 1428, le maître de Dreux Budé, identifié à l’Amianois André d’Ypres, a retenu la leçon de « Ars nova » (art nouveau) et les innovations stylistiques et iconographiques de ces grands Flamands.

Maître de Dreux-Budé (André d'Ypres ?), La Crucifixion, panneau central du Triptyque de Dreux-Budé, v. 1450, huile sur bois, 48,6 x 71 cm © Los Angeles, J. Paul Getty MuseumMaître de Dreux-Budé (André d'Ypres ?), La Crucifixion, panneau central du Triptyque de Dreux-Budé, v. 1450, huile sur bois, 48,6 x 71 cm © Los Angeles, J. Paul Getty Museum

Maître de Dreux-Budé (André d’Ypres ?), La Crucifixionpanneau central du Triptyque de Dreux-Budév. 1450, huile sur bois, 48,6 x 71 cm © Los Angeles, J. Paul Getty Museum

Contrairement aux enlumineurs parisiens des années 1420 et 1430, qui en avaient connaissance par le biais de croquis ou de livres de modèles, il eut un contact direct avec les œuvres de Campin et de Van der Weyden. Peut-être qu’il les a même rencontrés. Pour la première fois en France, l’exposition rassemble le panneau central de La Crucifixion (Getty Museum) et les deux panneaux latéraux, la merveilleuse nocturne Le baiser de Judas et l’arrestation du Christ (Persienne) et La résurrection (Musée Fabre, Montpellier) du triptyque peint pour Dreux Budé, notaire et conseiller de Charles VII. Cette œuvre était probablement destinée à sa chapelle familiale située dans l’église Saint-Gervais-Saint-Protais.

Vue de l'exposition « Les arts en France sous le règne de Charles VII » au Musée de Cluny, 2024 © Rémi Jaouen, Musée de Cluny – musée national du Moyen ÂgeVue de l'exposition « Les arts en France sous le règne de Charles VII » au Musée de Cluny, 2024 © Rémi Jaouen, Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge

Vue de l’exposition « Les arts en France sous le règne de Charles VII » au Musée de Cluny, 2024 © Rémi Jaouen, Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge

Un goût pour le pathétique et le macabre

En Normandie, où se déroulent de grands chantiers, de nombreux fragments de vitraux témoignent d’un art florissant. Les miniaturistes sont également très actifs, comme à Rouen, comme le maître de Talbot. Zone d’influence royale, le Centre Val de Loire connaît au début de la période un rayonnement extraordinaire, soutenu par la cour des ducs d’Anjou à Angers où le célèbre Maître des Les Grandes Heures du Rohan (Bibliothèque nationale). Sa puissance expressive, son sens du pathétique, son appétit pour le macabre ainsi qu’un mépris royal pour la perspective ont été décrits comme « expressionniste » ce génie singulier. La fin du règne voit briller l’étoile Jean Fouquet, auteur du passionnant Portrait de Charles VII, LE “ roi de France très victorieux » (Louvre), peut-être destiné à la Sainte-Chapelle de Bourges.

Grandes Heures du Rohan, Maître du Rohan c. 1440, enluminure, Paris, BnF, Département des Manuscrits © Bibliothèque nationale de FranceGrandes Heures du Rohan, Maître du Rohan c. 1440, enluminure, Paris, BnF, Département des Manuscrits © Bibliothèque nationale de France

Les Grandes Heures du Rohan, Maître de Rohan c. 1440, enluminure, Paris, BnF, Département des Manuscrits © Bibliothèque nationale de France

Les arts somptuaires à l’honneur

En Provence, le roi René (René d’Anjou), prince érudit et grand mécène, s’attache à la remarquable personnalité de Barthélémy d’Eyck. Ceci illustre son Livre des tournois (Bibliothèque nationale). Chef-d’œuvre de l’artiste limbourgeois, L’Annonciation d’Aix baigne les personnages et les objets dans une lumière irréelle, rendue palpable par le réalisme nordique des matériaux. Originaire du diocèse de Laon, auteur du célèbre Pietà du Louvre et un petit nombre de miniatures, Enguerrand Quarton est l’autre grande figure de la diffusion de « Ars nova ” dans le Sud.

Vue de l'exposition « Les arts en France sous le règne de Charles VII » au Musée de Cluny, 2024 © Rémi Jaouen, Musée de Cluny – musée national du Moyen ÂgeVue de l'exposition « Les arts en France sous le règne de Charles VII » au Musée de Cluny, 2024 © Rémi Jaouen, Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge

Vue de l’exposition « Les arts en France sous le règne de Charles VII » au Musée de Cluny, 2024 © Rémi Jaouen, Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge

Trouvant d’importantes ressources financières dans la reconquête de son royaume, le roi Charles VII privilégie les arts somptuaires. L’orfèvrerie et les riches décorations textiles ont disparu, à quelques rares exceptions près comme le Canopée de Charles VII (Louvre) où deux anges tenant une couronne voltigent autour d’un soleil d’or. Et bien sûr le Cerf ailé Tentures (Rouen), allégorie poétique du royaume de France tenant à distance les lions des Plantagenêt. Mais au royaume des cerfs, c’est la reine qui porte les cornes ! Car la belle Agnès Sorel règne sur le cœur du roi. Hélas, on ne pourra pas admirer la célèbre effigie de Jean Fouquet, dont le corset dégrafé laisse apparaître une poitrine parfaite (Anvers), ni l’admirable gisant en albâtre de son tombeau de Loches, trop fragile pour voyager.

Les + et – de l’exposition
LES PLUS : Coup de projecteur sur une période longtemps négligée. La collaboration exceptionnelle de la Bibliothèque nationale de France, qui prête un ensemble de ses enluminures les plus célèbres. La diversité des œuvres : sculpture, orfèvrerie, textiles, vitraux… La reconstitution du célèbre triptyque de Dreux Budé. L’évocation brillante de la Provence du roi René, autour de L’Annonciation, chef-d’œuvre de Barthélémy d’Eyck. LE MOINS : On déplore quelques absences majeures : la « Joconde » du règne de Charles VII, Agnès Sorel au sein nu peint en « Vierge à l’Enfant », qui ne veut plus quitter son musée anversois rénové ! Ainsi que les heures du duc de Bedford de la British Library. Et La Crucifixion du Parlement de Paris (Louvre), rare panneau monumental de cette époque.

“ Les arts en France sous le règne de Charles VII »
Musée de Cluny, 28 rue du Sommerard, 75005 Paris
Jusqu’au 16 juin


L’un des manuscrits les plus enluminés du XVe siècle !
 
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