Rencontre avec les opposants purs et durs aux barrages suisses

Contenu réservé aux abonnés

Minoritaires, les opposants à la centrale hydraulique de Trift (BE) se battent pour préserver « l’un des derniers joyaux naturels » du pays. Mais à l’approche du vote sur l’énergie, ces anti-barrages se déchirent sur les recommandations du vote.

Le lac glaciaire du Trift n’est accessible qu’en randonnée. © AdobeStock

Le lac glaciaire du Trift n’est accessible qu’en randonnée. © AdobeStock

Publié le 12/04/2024

Temps de lecture estimé : 5 minutes

La salle se remplit visiblement ce samedi 6 avril au soir. Nick Röllin se réjouit de voir des visages inconnus parmi la soixantaine de visiteurs. “L’objectif de cet événement est avant tout de faire connaître notre cause à de nouvelles personnes”, déclare le président de l’association du Grimsel, une organisation qui lutte depuis plus de 40 ans contre la construction ou l’agrandissement de barrages dans la région. Grimsel, à la frontière entre le canton de Berne et celui du Valais.

L’association lutte notamment contre la future centrale hydroélectrique de Trift, prévue à 1700 mètres d’altitude sur les hauteurs de Gadmen (BE) et au pied du glacier du même nom. En reculant, ce dernier a libéré un lac glaciaire désormais très convoité par le secteur électrique. « Comme le lieu n’est accessible qu’en randonnée, beaucoup de gens ne le connaissent pas et n’ont pas conscience de sa beauté, ni des problématiques qu’il cristallise », constate Nick Röllin.

Pendant que des notes techno résonnent dehors, on ferme les rideaux de la petite salle réservée au centre-ville de Berne. La soirée commence par la projection du film Le Trift – Un exemple (2022). Composé d’entretiens et d’images aériennes puissantes du lac, de ses zones alluviales et de ses dizaines de ruisseaux, ce documentaire est conçu comme un manifeste en faveur de la protection de ce précieux biotope de l’Oberland bernois, explique Menk Rufibach, son réalisateur. « Mon père m’emmène au glacier du Trift depuis l’âge de 6 ans et je continue d’y aller régulièrement », raconte le jeune cinéaste, également présent ce soir-là.

«De telles vallées, si peu touchées par l’homme, n’existent pratiquement plus en Suisse»
Nick Rollin

Aux yeux de l’association du Grimsel, ce « joyau naturel inestimable » ne mérite pas d’être sacrifié au profit d’un barrage-voûte de 130 mètres de haut et 17 mètres d’épaisseur, comme l’envisage la Société des forces motrices de l’Oberhasli (KWO).

«La région du Trift est encore entièrement préservée, intacte, libre de toute intervention humaine», souligne Nick Röllin. En tant qu’alpiniste, je connais bien les Alpes et je peux vous dire que de telles vallées, si peu touchées par l’homme, n’existent pratiquement plus. Les détruire serait une aberration.

© Infographie : La Liberté/Florence Cerouter, Source : Le Nouvelliste/Canton de Berne/ElectroSuisse/RSI/Axpo

Seul contre tout le monde

Il n’en demeure pas moins qu’à l’heure où s’amorce la transition énergétique, la position de l’association semble minoritaire. Dans la vallée de Meiringen, comme ailleurs en Suisse, la future centrale électrique compte plus de partisans que d’opposants : elle fait partie des 15 projets considérés comme les plus prometteurs par les participants à la table ronde sur l’hydroélectricité organisée par la Confédération en 2021. Des projets que la nouvelle La loi sur l’électricité, soumise au peuple le 9 juin, définit comme priorités sans que personne, ou presque, n’y voit d’objection. Avec son potentiel de stockage d’énergie de 215 GWh en hiver – l’équivalent d’une soixantaine d’éoliennes – la centrale de Trift est même considérée comme l’un des projets les plus convaincants du dossier.

Même les organisations référendaires, la Fondation Franz Weber et Paysage Libre Suisse, n’y trouvent rien à redire. Au contraire, ils considèrent l’hydroélectricité comme « la voie à suivre ». Ce qui leur fait peur avec cette nouvelle loi, c’est l’idée de voir des pans entiers de nature défigurés par des éoliennes ou de grands parcs photovoltaïques.

Des dégâts irréversibles

Tout le contraire de l’association Grimsel qui, sans prôner la construction de panneaux solaires ou de turbines dans les campagnes, considère que ces installations ont au moins l’avantage de pouvoir être démontées à moyen terme. « Un barrage, en revanche, est irréversible », tonne Nick Röllin. Selon le sculpteur bernois, même si le potentiel électrique de la centrale peut paraître important à première vue, «il devient complètement marginal quand on considère la consommation électrique totale du pays, dont il ne représente que 0,6%».

Aux yeux des opposants, ce projet ne joue donc pas un rôle déterminant dans « l’immense transformation énergétique » qui attend la Suisse, d’autant que les dégâts environnementaux leur semblent disproportionnés. « Ce paysage n’est pas renouvelable », proclamaient-ils sur une banderole accrochée à la passerelle du Trift en 2019.

Devant le tribunal

Alliée à l’organisation Aqua Viva, l’association Grimsel a déposé plusieurs recours contre le projet Trift depuis 2017. Le dernier en date concerne l’octroi de la concession à KWO, déposé fin 2023. «Il appartient désormais au Tribunal administratif cantonal bernois de aux autorités de décider», déclare Nick Röllin. Si toute la salle était unie, tout au long de la soirée, contre les « murs de béton au pied des glaciers », des désaccords sont apparus au fil des questions. Au cœur de la discorde : le vote du 9 juin. Un citoyen s’est levé et a ardemment appelé au non, « parce qu’un oui serait un désastre pour l’environnement » et que « la balance des intérêts ferait toujours pencher la balance ». en faveur de l’énergie ». Un autre a répondu qu’il s’agissait au contraire d’une « opportunité exceptionnelle » pour favoriser la transition énergétique.

Ces dissensions se matérialisent même au niveau des organisations appelantes. D’une part, l’association du Grimsel recommande de s’y opposer, « parce que la loi soumise au peuple affaiblit beaucoup trop la protection de la nature », estime Nick Röllin. Il estime également que les chances d’obtenir gain de cause en appel contre la concession Trift seront fortement affaiblies en cas d’acceptation. Pas de cet avis, Aqua Viva recommande de voter oui.

>ESH

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Cannes 2024 – New Story s’engage dans une Quinzaine de films
NEXT La sortie de piste d’un Boeing opéré par Air Sénégal fait 11 blessés