Quatre façons d’améliorer la réforme du droit de la famille

Quatre façons d’améliorer la réforme du droit de la famille
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Onze ans après le jugement Éric contre. Lola, Québec décide de réformer le droit de la famille pour les parents en union libre. Enfin !


Publié à 00h57

Mis à jour à 6h00

Actuellement, les conjoints de fait bénéficient de peu de protection financière en cas de séparation. Un conjoint de fait qui consent des sacrifices financiers et professionnels pour s’occuper de ses enfants ne peut être indemnisé que dans des circonstances exceptionnelles, si son conjoint est devenu riche grâce à ces sacrifices. En pratique, ce recours est souvent réservé aux personnes les plus aisées qui ont les moyens de faire appel à un avocat.

La réforme du droit de la famille proposée par le ministre de la Justice Simon Jolin-Barrette accordera, en cas de séparation, une compensation au conjoint de fait qui aura fait des sacrifices pour les enfants, sous certaines conditions. L’augmentation de la valeur d’une partie des biens (résidence principale, meubles et voitures) au cours de la vie commune avec les enfants sera également séparée à parts égales entre les parents conjoints de fait qui se séparent.

Pourquoi veut-on imposer ces obligations aux parents qui ont choisi de ne pas se marier ? Parce qu’il est dans l’intérêt des enfants qu’un parent qui fait des sacrifices importants pour la famille ne soit pas pénalisé en cas de séparation.

Quelle est la plus grande qualité de cette réforme ? Le fait que cela arrive enfin, parce que notre droit de la famille est expiré depuis longtemps. La dernière réforme date des années 1980.

Mais le projet de loi 56 présente également trois défauts majeurs, et un mineur.

Il faut espérer que le gouvernement Legault les écoutera et aura l’humilité de les corriger. Autrement, au lieu d’être une réforme majeure, elle risque d’être une réforme du strict minimum.

Sur les questions financières, on a l’impression qu’à chaque fois qu’il a dû trancher, le gouvernement Legault a accordé une protection minimale aux conjoints de fait. Les régimes de retraite issus du patrimoine familial sont exclus. Les couples sont autorisés à éviter le partage des biens familiaux en se rendant chez le notaire. Nous prenons le mode de calcul le moins généreux pour compenser le conjoint qui a fait des sacrifices pour la famille.

Pris isolément, chacun de ces compromis peut être justifié. Quand on les additionne, on aboutit à une réforme trop timide.

Pour approfondir ma réflexion, j’ai demandé à quatre experts en droit de la famille ce qu’ils pensaient du projet de loi 56. Trois d’entre eux (Me Robert Leckey, doyen de la Faculté de droit de l’Université McGill, Me Dominique Goubau, professeure agrégée de droit à l’Université Laval, et Me Marie Annik Walsh, du cabinet Dunton Rainville) estiment que la réforme ne va pas assez loin. La quatrième experte, la professeure Andréanne Malacket (Université de Sherbrooke), la qualifie de « correcte mais perfectible ».

Voici quatre façons d’améliorer la réforme, par ordre d’importance :

1) Pas seulement pour les enfants nés après juin 2025

Il s’agit d’un énorme défaut : la réforme ne s’appliquera qu’aux concubins qui auront un enfant après le 29 juin 2025.2. Dans un premier temps, cela ne touchera quasiment personne, même si 65 % des enfants nés ces dernières années sont nés hors mariage.

Les lois « rétroactives » en matière familiale sont rarement populaires, et la CAQ a voulu faire le moins de vagues possible.

D’une part, le législateur change les règles en disant qu’il est dans l’intérêt des enfants de compenser adéquatement financièrement le parent qui s’est appauvri pour s’occuper des enfants. D’un autre côté, cela maintient le statu quo pour les dizaines de milliers de parents de jeunes enfants, dont beaucoup de mères font actuellement ces sacrifices. C’est illogique, injuste, contraire aux intérêts des enfants et au principe fondamental de l’égalité entre hommes et femmes.

Trois des quatre experts sont opposés à cette décision, et le quatrième, Me Andréanne Malacket, avoue avoir un « malaise ».

Si la CAQ veut puiser dans sa réserve de courage politique, il existe un compromis raisonnable : assujettis également à la nouvelle loi tous les couples en union parentale dont les enfants auront moins de 14 ans en juin 2025⁠1, en donnant la possibilité à ces couples de s’exclure en allant voir un notaire. (Les parents dont les enfants sont nés après juin 2025 ne pouvaient évidemment pas s’exclure.) Le Québec avait procédé de la même manière en 1989 avec le patrimoine familial pour les couples mariés (les débats avaient été vifs).

2) Améliorer la prestation compensatoire

En Ontario, les conjoints de fait peuvent avoir droit à une pension alimentaire (pour une durée plus courte que les conjoints) et à une réparation en cas d’enrichissement sans cause (lorsque l’un des conjoints s’appauvrit au profit de l’autre).

Le régime québécois sera beaucoup moins généreux. En soi, ce n’est pas grave. Ce sont des choix de société.

Le Québec a opté pour une prestation compensatoire uniquement pour le conjoint parent qui s’est appauvri en faisant des sacrifices pour la famille (ces sacrifices doivent aussi avoir contribué à l’enrichissement de l’autre conjoint). C’est un peu l’équivalent du recours actuel pour enrichissement injustifié, que le Québec a quelque peu restreint.

Me Leckey et M.e Goubau aurait eu recours à la pension alimentaire, un mécanisme plus souple, plus généreux et qui couvre davantage de situations.

Mais le choix du Québec est défendu. L’objectif est de compenser de manière juste et équitable les sacrifices liés à la présence des enfants, et la prestation compensatoire est un bon moyen pour y parvenir.

Le problème est que le mode de calcul de la prestation compensatoire prévue est très restrictif, plus encore que l’interprétation actuelle des tribunaux pour l’enrichissement sans cause dans certains cas.

Il faudrait aussi ajouter des présomptions pour faciliter la preuve, suggère M.e Malacket.

Et on gagnerait aussi à avoir des lignes directrices pour préciser les critères, sinon cela va vite devenir compliqué en termes d’accès à la justice.

3) Pas de droit de rétractation pour le patrimoine familial

Contrairement aux couples mariés, les conjoints de fait sont autorisés à se retirer avant les règles patrimoniales de l’union parentale. À mon humble avis, c’est une erreur. Un tel droit de rétractation ne devrait pas exister avant la séparation. Trois des quatre experts sont d’accord sur ce point.

4) Inclure les résidences secondaires

Québec a choisi de ne pas inclure les résidences secondaires (ex. : chalets) à l’actif de l’union parentale. Cela touche moins de personnes. Mais les quatre experts sont unanimes : cela n’a aucun sens. Gageons que cette omission sera bientôt corrigée.

Les régimes de retraite auraient-ils dû être inclus dans le patrimoine de l’union parentale, comme pour les couples mariés ? Les quatre experts sont répartis deux contre deux. Si je devais décider ? La décision du Québec d’exclure les régimes de retraite est défendable. «Cela n’aurait pas été accepté [sur le plan social]pense Me Walsh. Nous n’en sommes pas encore là. »

Tout n’est pas négatif dans cette réforme. Il y a des éléments positifs qui méritent d’être soulignés.

Nous accordons un droit d’usage de la résidence familiale si l’un des époux obtient la garde des enfants, comme pour les couples mariés. Il est révolu le temps où l’un des conjoints propriétaires pouvait expulser l’autre de la maison sans tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants.

On s’en prend aux coparents qui multiplient les recours en justice pour épuiser l’autre parent moins aisé⁠2.

Nous accordons des droits de succession au coparent qui est en couple depuis plus d’un an.

Nous créons un héritage d’union parentale.

Mais tant que nous ne résoudrons pas les quatre défauts majeurs évoqués ci-dessus, cette réforme restera globalement décevante, après tant d’années d’attente.

1. Pourquoi 14 ans ? Parce qu’il faut tracer une limite quelque part. Cela pourrait aussi prendre 12 ans.

2. Les protections contre les poursuites judiciaires visant à épuiser l’autre parent s’appliqueront à tous les couples, quelle que soit la date de naissance de l’enfant.

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La réforme du droit de la famille en bref

Voici à quoi auront droit les parents en cas de séparation, qu’ils soient mariés ou non, si la réforme du droit de la famille proposée par Québec est adoptée.

Si les parents sont mariés

Pour le patrimoine familial : les époux se partagent à parts égales la valeur des résidences, des biens meubles, des voitures, des cotisations aux régimes de retraite. On sépare seulement l’augmentation de la valeur nette de ces biens au cours du mariage. Vous ne pouvez pas y renoncer par avance, seulement à la fin du mariage. Les autres biens acquis pendant le mariage sont également séparés, mais les époux peuvent renoncer à ce partage devant notaire. Les dons et héritages sont exclus de ces partages.

Pension : un conjoint peut obtenir une pension alimentaire pour lui-même, si les circonstances le justifient. On ne peut y renoncer avant le mariage, mais seulement à la fin du mariage. Il existe également une pension alimentaire pour enfants. Dans certains cas, un conjoint peut également obtenir une prestation compensatoire.

Vente de la résidence familiale : même après une séparation, un conjoint ne peut pas vendre unilatéralement la résidence familiale. L’époux qui obtient la garde des enfants peut demander un droit d’usage de la résidence familiale.

Succession : un époux hérite d’un tiers de la succession au décès de l’autre parent conjoint, les deux tiers revenant aux enfants.

Si les parents ne sont pas mariés

Pour les biens de l’union parentale : les concubins divisent en parts égales la valeur nette des biens meubles, des voitures et de la résidence principale familiale. Nous ne séparons la valeur nette de ces actifs qu’après la naissance des enfants. Il est possible d’y renoncer à tout moment au cours de l’union parentale en faisant une déclaration au notaire, en tout ou en partie. Les plans de retraite, les résidences secondaires et autres biens sont exclus de ce partage.

Pension : les parents conjoints de fait n’ont pas droit à une pension, mais peuvent obtenir une prestation compensatoire si l’un des conjoints s’est appauvri en raison de la prise en charge des enfants et que l’autre parent s’est enrichi grâce à ces sacrifices. Ce droit ne peut être renoncé par avance. Il y a une pension alimentaire pour enfants.

Vente de la résidence familiale : comme pour le mariage, un conjoint de fait ne peut pas vendre unilatéralement la résidence familiale pendant l’union. Le coparent qui obtient la garde des enfants peut demander un droit d’usage de la résidence familiale.

Succession : comme pour le mariage, le conjoint de fait hérite d’un tiers de la succession au décès de l’autre conjoint, s’ils sont en couple depuis plus d’un an au moment du décès.

 
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