– Avec Wim Delvoye, déformer l’évidence
Visiter « L’Ordre des Choses », c’est comme partir à l’aventure. Pour tous les goûts de 7 à 77 ans, l’exposition propose de nombreuses pistes pour une chasse au trésor. On s’y précipite.
Publié aujourd’hui à 16h03
Une fois n’est pas coutume, notre « Décryptage » ne se limitera pas à l’observation d’une œuvre unique. Extrayez un seul morceau de “L’ordre des choses” serait en fait une aberration, car le Carte blanche XL offerte par le Musée d’Art et d’Histoire à l’artiste plasticien belge Wim Delvoye est conçu comme un circuit. Un parcours en forme de spirale dont le point de départ serait au centre, mais dont l’arrivée ne serait jamais atteinte. Chacun suit sa trajectoire centrifuge, allant de la surprise à l’étonnement.
Tordu. Il y a quelque chose de cela dans la démarche de l’artiste. A petite échelle, car il soumet à la contorsion plusieurs de ses sculptures inspirées des classiques, comme celle illustrée ci-dessus. Et à plus grande échelle, car Wim Delvoye détourne sans cesse les objets de leur usage convenu, bouleversant au passage les hiérarchies mentales qui les assignent. Tailler finement une pelle ordinaire, modeler habilement un système digestif ou créer un écrin sur mesure pour un seau ordinaire, l’homme n’hésite pas à inverser les valeurs. Au contraire, son égalitarisme iconoclaste le conduira à déformer un crucifix, à réduire l’architecture gothique au niveau d’une maquette ou à repenser le bas-relief égyptien comme l’interface d’une console de jeux.
Le MAH, un terrain de jeu
Pour élaborer un « Ordre des choses » qui se bouscule en boucle, la mission de Wim Delvoye était de faire du MAH un vaste terrain de jeu : il ne s’en est pas privé. Le concept? Mélanger les trésors enfouis dans les réserves, les dépôts et les collections en vue de les éclairer sous un jour nouveau – et de les revaloriser par le groupe. Lui-même adepte de l’accumulation, le Gantois de 59 ans assume la responsabilité de saturer le dialogue établi, en y glissant des créations pour l’occasion, des reproductions par fac-similés, des curiosités recyclées ou des emprunts à sa production passée. Résultat : un réseau de références aussi foisonnant que jubilatoire.
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La première étape du parcours donne le ton au visiteur. Après la réinterprétation « tordue » de « Vénus et Adonis » parAntonio Canova (1794), d’autres sculptures néoclassiques ont inspiré le plasticien contemporain, ici une balle coulissante, là une tête anamorphosée. Comme ce buste d’« Amor » tordu vers la gauche, réalisé en marbre blanc en 2009, qui anticipe le mouvement circulaire de l’œil du spectateur amené à se déplacer religieusement tout autour. Deux provocations en une : renverser l’ancien modèle et le faire danser pour tout le monde.
Mais déjà, un fracas métallique tonitruant appelle plus loin…
Oeil pour oeil
Une gigantesque structure cylindrique en acier sillonne l’espace des salles 3 et 4, longeant ou perçant alternativement les murs, à l’intérieur desquels sont propulsées bruyamment de grosses boules de flipper. Voici le tube mutilant la copie d’un tableau, creusant l’œil d’un visage peint. Quant au regard du spectateur, il suit le mouvement en savourant le sacrilège, rebondissant d’un trou à l’autre comme s’il reliait les points numérotés d’un dessin – d’un dessein – de mystère.
Casque hybride
Plus loin, dans une salle rebaptisée « La Peur du Vide », des objets ornementaux de Wim Delvoye côtoient des séries d’armures des collections du MAH. C’est qui fera la différence. Parmi les nobles armures historiques se cache par exemple ce trivial casque de chantier revisité qui mélange allègrement les genres. On y retrouve toutes sortes d’éléments décoratifs empruntés à la culture occidentale moderne : d’un tatouage de dragon à une chaîne hip-hop, en passant par une Madone en prière.
Transport portatif
Ailleurs, on trouve des coffres à côté des sarcophages. Non loin des étuis d’instruments de musique historiques se trouve cette boîte taillée pour contenir un vieux cyclomoteur. Le nouveau et l’ancien, mais aussi l’outil du quotidien et l’objet d’art, le populaire et le luxe vont de pair en créant la panique dans les monuments. Plus de cent ans après les ready-made de Marcel Duchamp, on se moque encore des catégories esthétiques.
Tympans perforés
Retour au jeu de billes percutant. Cette fois, ce sont des têtes 3D percées par les conduits métalliques. Les balles assourdissaient littéralement les figures sculptées puis coloriées par un artiste passionné au tournant du XVIIIe siècle.e siècle. Au premier choc du spectateur succède un sourire sans culpabilité : ouf, Delvoye n’a violé qu’une relique de son patrimoine privé ! Néanmoins, la trépanation creuse un tunnel de questions dans la tête de chacun. Le risque de cynisme à déformer les certitudes ? Eh bien, les rails du Belge vont plus loin, plus vite que ça.
« L’ordre des choses, Carte blanche à Wim Delvoye »jusqu’au 16 juin au MAH, www.mahmah.ch
Katia Berger est journaliste à la section culturelle depuis 2012. Elle couvre l’actualité des arts du spectacle, notamment à travers des critiques de théâtre ou de danse, mais traite aussi parfois de la photographie, des arts visuels ou de la littérature.Plus d’informations
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