le sauvetage des caisses de l’État « est un argument biaisé »

le sauvetage des caisses de l’État « est un argument biaisé »
Descriptive text here

Le Premier ministre Gabriel Attal souhaite une nouvelle réforme « globale » de l’assurance chômage visant à favoriser le retour à l’emploi au moment où les finances publiques sont, selon lui, dans une situation « grave ». Selon Anne Eydoux, maître de conférences en économie au Cnam, cet argument est en réalité « un argument plus idéologique que scientifique ».

Face à un déficit budgétaire qui ne cesse de se creuser, le Premier ministre français compte sur le plein emploi pour améliorer les comptes de l’État. Gabriel Attal a présenté, mercredi 27 mars sur TF1, son objectif de voir le nombre de chômeurs diminuer, évoquant notamment la réduction de la durée d’indemnisation des chômeurs à 12 mois. Mais alors que les règles de l’assurance chômage ont déjà été durcies à deux reprises depuis qu’Emmanuel Macron est président, passant notamment d’une durée d’indemnisation de 24 à 18 mois, la proposition du chef du gouvernement de la réduire encore suscite la colère des organisations syndicales.

Le Premier ministre avait réuni ses ministres quelques heures avant cette intervention pour un séminaire sur le sujet, et demandé à sa ministre du Travail Catherine Vautrin “de préparer de nouvelles négociations” avec les partenaires sociaux.

La CGT qualifie cette mesure d’« inacceptable », tandis que la CFDT estime que ce régime ne peut pas être une « variable d’ajustement budgétaire ».

“On ne résoudra pas le problème du chômage en dégradant les conditions de vie des plus précaires”, réagit sur le réseau social X Olivier Guivarch, secrétaire général de la CFDT. « Sur 5 millions de demandeurs d’emploi, seuls 2,8 millions sont indemnisés, dont la moitié travaillent ! Le nombre d’offres non satisfaites s’élève à 330 000. Nous devons mettre fin à cette stigmatisation.

« Que veut Gabriel Attal ? s’interroge François Hommeril, président de la CFE-CGC, à propos du même réseau. “Il souhaite qu’un technicien supérieur de 52 ans au chômage accepte n’importe quel emploi, de la plongée à la surveillance d’un parking.”

Pour Anne Eydoux, maître de conférences en économie au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), « ce n’est pas à l’assurance chômage de renflouer les caisses de l’Etat ». Egalement chercheur au Laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique (Lisa-CNRS) et au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET), ce dernier affirme que la réduction de la durée d’indemnisation des chômeurs ne doit pas non plus accélérer le retour à l’emploi. emploi.

France 24 : La réduction de la durée d’indemnisation du chômage a-t-elle réellement un effet sur le « renflouement des caisses de l’État » ?

Anne Eydoux : Il faut d’abord dire que si l’État n’avait pas accordé des réductions de cotisations en série et s’il n’avait pas supprimé la contribution des salariés à l’assurance chômage, il n’aurait pas à cotiser aujourd’hui à l’assurance chômage (à la place des salariés et des entreprises).

Il n’appartient pas à l’Unedic (association dirigée par les partenaires sociaux et chargée par délégation de service public de la gestion de l’assurance chômage en France, en coopération avec France Travail, NDLR) de renflouer les caisses de l’État. L’Unedic finance déjà le service public de l’emploi et vient d’être sollicitée pour financer la réforme France Travail. Cette dernière réforme nécessite une réorganisation du service public de l’emploi et de l’insertion qui nécessite des ressources supplémentaires. Le gouvernement qui l’a décidé n’a pas augmenté le budget qui lui est alloué. En réalité, cette réforme est entièrement financée par des coupes dans l’assurance chômage et dans le système de solidarité pour les chômeurs en fin de droits. En d’autres termes, ce sont les chômeurs qui paient la réforme du service public d’emploi et d’insertion.

L’argument [du renflouement] des caisses de l’État est un argument biaisé. Le gouvernement met en avant son déficit, mais là n’est pas vraiment le problème lorsqu’il est question d’assurance-chômage. Si l’État veut réduire son déficit, il peut augmenter ses recettes – les impôts. Pour réduire le déficit de l’Unédic, il faut rétablir son financement en rétablissant les cotisations d’assurance chômage des salariés et en augmentant les cotisations patronales. Il n’y a aucune raison de réduire davantage les allocations de chômage.

Pourquoi l’assurance-chômage est-elle un cheval de bataille pour le gouvernement ?

La réforme de l’assurance chômage s’inscrit dans le programme néolibéral d’Emmanuel Macron, et plus largement du gouvernement. En 2017, le candidat Macron envisageait déjà son rachat par l’État. Pour ce faire, il a supprimé les cotisations d’assurance chômage des salariés, au nom de l’amélioration du pouvoir d’achat des salariés. Cela semblait inoffensif. Or, ces cotisations salariales constituent le fondement même du caractère contributif du système. C’est ce qui permet aux chômeurs de se dire : « J’ai cotisé pour ce droit à l’assurance chômage ». Et c’est ce qui justifie que l’Unedic, l’assurance chômage, soit gérée à parts égales par les partenaires sociaux qui le financent.

Aujourd’hui, les cotisations des salariés à l’assurance chômage ont été supprimées, réduisant la légitimité des chômeurs à percevoir une allocation proportionnelle à leur salaire antérieur, et celle des syndicats à négocier avec les représentants des employeurs sur les règles de l’assurance chômage. chômage.

Avec la loi Avenir Professionnel de 2018, l’État a repris la main sur l’assurance chômage. Aujourd’hui, le gouvernement établit l’agenda et la feuille de route des négociations. Elle fixe des objectifs inaccessibles, qui empêchent les partenaires sociaux de parvenir à un accord, puis décide seule des règles de compensation.

Les accords d’assurance chômage négociés tous les trois ans par les partenaires sociaux ont été remplacés par des réformes permanentes qui réduisent de plus en plus les droits des chômeurs. Elles ont d’abord touché les plus précaires en 2019. Alors que le chômage semble repartir à la hausse (le taux de chômage est de 7,5% de la population active pour le quatrième trimestre 2023, NDLR), ces réformes s’attaquent aujourd’hui à la durée d’indemnisation, ce qui touche également les chômeurs ayant un passé professionnel stable. Les personnes âgées sont particulièrement exposées : la réduction des droits à indemnisation et la fin de l’allocation pour chômeurs en fin de droits (ASS) s’ajoutent au recul de l’âge de la retraite.

L’argument du gouvernement est que la réduction des droits accélérerait le retour au travail. C’est un argument plus idéologique que scientifique.

Lire aussiEmmanuel Macron, les résultats (3/4) : la réduction des dépenses sociales contrariée par les crises

Gabriel Attal dit vouloir copier le modèle de l’assurance chômage en Allemagne, qui prévoit le plein emploi alors que ses chômeurs reçoivent une indemnisation pour une durée plus courte. Est-ce donc la bonne équation pour parvenir au plein emploi ? ?

Au début des années 2000, l’Allemagne du chancelier Schröder a adopté une série de réformes néolibérales du marché du travail (dites « réformes Hartz ») qui ont à la fois réduit considérablement l’assurance-chômage et encouragé le chômage. développement d’emplois précaires. Ils ont favorisé la création de mauvais emplois (mini jobs, emplois à 1 euro pour les chômeurs) dans les services, ce qui a également contribué à la dégradation des conditions d’emploi des femmes.

Mais ces réformes n’ont pas grand-chose à voir avec les bons résultats du pays en matière d’emploi après la crise de 2008. Celles-ci sont principalement liées au modèle industriel du pays : d’abord au rôle des partenaires sociaux qui ont négocié un recours massif au chômage partiel pour protéger l’emploi industriel, puis à la reprise de la demande des pays émergents pour la production allemande (véhicules de luxe, machines-outils).

Depuis lors, l’Allemagne est revenue sur ces réformes Hartz. Politiquement, ils avaient définitivement éloigné les sociaux-démocrates de leur électorat. Économiquement, elles ont pesé sur le pouvoir d’achat et la croissance. C’est finalement une conservatrice – Angela Merkel – qui a mené davantage de réformes sociales. L’Allemagne a mis en place un salaire minimum, aujourd’hui supérieur au salaire minimum français, et a reréglementé les contrats de travail à durée déterminée et le travail temporaire. On pourrait s’en inspirer.

Alors que l’Allemagne fait marche arrière sur les réformes néolibérales, la France continue d’avancer tête baissée sur ces réformes qui se révèlent néfastes. Mais ce n’est pas en s’attaquant aux chômeurs qu’on réduira le chômage.

La réduction de la durée d’indemnisation a-t-elle été prouvée ailleurs ? ?

Il existe des évaluations des effets de la réduction de la durée et des montants des indemnisations dans plusieurs pays, dont la France, qui a introduit en 1992 une allocation de chômage dégressive (appelée Allocation unique dégressive). L’argument était déjà que cela accélérerait le retour à l’emploi des chômeurs. Mais les évaluations n’ont montré aucun effet sur le retour au travail. Paradoxalement, ils ont même constaté une augmentation de la durée du chômage des cadres. C’est pourtant pour eux que la dégressivité des allocations a été récemment remise en place.

Dans d’autres pays, certaines évaluations suggèrent un faible effet de la réduction de la durée des prestations sur le retour à l’emploi. Certaines évaluations suggèrent que l’amélioration des taux d’emploi est payée par une réduction de la qualité des emplois trouvés par les chômeurs. Nulle part la réduction des durées d’indemnisation n’a conduit à une baisse massive du chômage ni à un retour au plein emploi.

La rapidité avec laquelle les chômeurs trouvent un emploi dépend bien plus de la situation économique, de la présence d’emplois à pourvoir, en quantité et en qualité. Par exemple, en France, jusque dans les années 1970, l’assurance chômage était généreuse (avec des taux de remplacement de salaire et des durées d’indemnisation élevés), mais les chômeurs trouvaient rapidement un emploi. Le pays était au plein emploi. Personne n’a alors jugé nécessaire de réduire la durée du chômage pour accélérer le retour au travail. L’assurance chômage protège les chômeurs, elle n’est pas la cause du chômage.

Nous sommes donc aujourd’hui confrontés à une incompréhension des causes du chômage. Le gouvernement persiste à appliquer des recettes néolibérales qui ne se sont pas révélées efficaces, sauf pour appauvrir les chômeurs.

La fonction de l’assurance chômage est de soutenir le pouvoir d’achat des chômeurs et de garantir leur droit à un revenu suffisant. Elle a également un rôle macroéconomique anticyclique, qui consiste à assurer que les chômeurs soient relativement maintenus dans leurs revenus pour soutenir la demande et la croissance.

Il est essentiel de préserver un système d’assurance chômage généreux pour soutenir les revenus de ceux qui sont privés de travail, surtout en période d’inflation. Cela est crucial pour amortir les futures crises économiques.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV Privé de 190 000 € de subventions, le Théâtre de la Cité dénonce le « sabotage » du conseil départemental de la Haute-Garonne
NEXT L’autoroute A13, fermée entre Paris et Vaucresson, ne rouvrira pas le 1er mai, pas de nouvelle date