8 mars, Le long combat des femmes

8 mars, Le long combat des femmes
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EEn cette année 2024, le Maroc s’apprête à vivre un moment historique : la promulgation d’un nouveau Code de la famille, purgé de certaines de ses contradictions et conforme aux conventions internationales ratifiées par le Royaume. Pour parvenir à ce résultat, il a fallu, pendant des décennies, une forte mobilisation des militants des droits des femmes, mais aussi et surtout une volonté politique au plus haut niveau de l’État. Retour sur les temps forts et les dates clés de la lutte pour l’égalité femmes-hommes.

Tenez les femmes

C’est dans les années 1930, au lendemain de la guerre du Rif, que les femmes marocaines sortent de leur silence, « celle du confinement, de la fermeture et du voile », comme le souligne Denise Masson, éminente traductrice du Coran, en revendiquant leur place dans le nouveau monde qui se construit. Il faut dire que le mouvement pour l’accès à l’école des premières filles musulmanes avait commencé depuis 1916 malgré l’opposition d’une société conservatrice, fondamentalement opposée à tout ce qui apparaît comme une innovation. Ce mouvement ne s’arrêtera plus jamais, même s’il se heurte à la résistance de tous ceux qui croyaient que« Éduquer les femmes, c’est verser du venin dans une vipère déjà pleine de venin », et qu’une femme instruite serait difficile à retenir. Mais la graine était semée. Un réseau Des « écoles gratuites » font timidement leur apparition dans les principales villes du Royaume et les notables sont incités à y envoyer leurs filles. Mais comme il fallait s’y attendre, les premières femmes instruites étaient majoritairement issues de familles privilégiées…

Voix de l’émancipation

La première porte-drapeau de l’émancipation féminine au Maroc n’est autre que la Princesse Lalla Aïcha qui a prononcé, dévoilé, le 2 avril 1947 à Tanger, un discours mémorable dans lequel elle appelait à l’émancipation de la femme marocaine, insistant avec force sur l’importance de leur scolarité et appelant les parents à envoyer leurs filles à l’école.

« Akhouat As Safa » (Les Sœurs de la Pureté), première association politique de femmes, a été créée au sein du parti de l’Istiqlal en 1948. Les revendications de cette association, lors de son premier congrès, étaient avant-gardistes pour l’époque. Les délégués appellent, comme le souligne Zakya Daoud dans son ouvrage Féminismes et politique au Maghreb, l’interdiction de la polygamie (sauf cas de nécessité majeure) et des mariages précoces (avant 16 ans). Suite à l’exil forcé de Mohammed V, un changement de paradigme s’opère. Les nouvelles idées concernant l’émancipation des femmes sont reléguées au fond des tiroirs et plusieurs écoles sont fermées. Cette mise à l’écart n’a pas empêché plusieurs femmes de participer activement aux premières révoltes et au mouvement de résistance.

Dès son retour d’exil, Mohammed V lance le projet de code du statut personnel. Inspiré de la tradition salafiste et puisant son essence dans la charia, ce premier code, affiné par Allal el Fassi, est né en 1958. Le nouveau code légalise l’âge du mariage à 15 ans pour les filles et 18 ans pour les garçons, permet au père de se marier sa progéniture s’il le souhaite et institutionnalise la polygamie et la répudiation. Ce nouveau droit de la famille, qui régira l’existence juridique des femmes marocaines pendant des décennies, est truffé d’aspects inégalitaires, d’idées rétrogrades et de mise sous tutelle des femmes, mineures à vie. « Ce texte tout nouveau avait au moins le mérite d’être codifié… Nous avons été des pionniers. Nous avions réalisé des progrès importants. Notre dignité, notre alphabétisation, notre éducation. La Moudawana nous paraissait secondaire », rapporte Zakya Daoud, citant Leila Messaoudi, première femme nommée en 1956 à un poste de direction au sein du tout nouveau ministère des Affaires étrangères. Les femmes bourgeoises et autres intellectuels de l’époque avaient conscience d’avoir traversé les siècles en quelques années, grâce à l’accès au savoir et aux modes de vie modernes. Ils n’éprouvent aucune volonté de bousculer les codes traditionnels au nom de l’émancipation, d’autant plus que la Moudawana, suite à la codification du rite malékite, assure à l’épouse un contrôle exclusif et autonome sur son propre patrimoine. Par ailleurs, le code de 1958 permet à la femme de stipuler dans l’acte de mariage certaines conditions susceptibles de la protéger, comme la renonciation du mari à prendre une seconde épouse et lui permet d’avoir l’initiative du divorce. Bien entendu, seules les femmes aisées issues d’un certain milieu social pouvaient en bénéficier.

Dans ce contexte, la seule « victoire » notable pour les femmes fut, dans les premières années du règne de Hassan II, une déclaration dans la Constitution de 1962 stipulant l’égalité politique, professionnelle et civique des hommes et des femmes. L’enseignement obligatoire pour les filles et les garçons a également été promulgué par dahir en 1963.

Un léger amendement

Les premières critiques contre le code du statut personnel ont été entendues à la fin des années 1960. Mais le Code reste immuable. Les femmes avancent en silence dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la planification familiale et du travail. Elles accèdent aux professions libérales les plus convoitées après avoir investi massivement dans les écoles, les hôpitaux et les usines… Les femmes marocaines s’émancipent et sortent peu à peu de l’invisibilité sociale et politique.

Les premières associations féminines, ADFM (Association Démocratique des Femmes du Maroc), UAF (Union d’Action Féminine), ont été créées entre 1985 et 1992, année au cours de laquelle l’UAF lance une campagne d’un million de signatures en faveur de la réforme de la Moudawana, dont le texte est légèrement amendé en 1993. Les changements introduits sont encore loin de représenter une rupture radicale avec la tradition malékite. Le débat a ressurgi avec acuité au début des années 2000 suite à la publication du Plan d’action national pour l’intégration des femmes au développement (PANIFD) dirigé par le secrétaire d’État chargé de la protection sociale, Mohamed Saïd Saâdi. Le texte a suscité de violentes protestations de la part des islamistes qui ont organisé une marche de protestation. Une contre-marche est organisée par le mouvement progressiste à Rabat.

En 2001, le processus de réforme Moudawana a commencé. SM le Roi Mohammed VI reçoit cette année les représentants de nombreuses associations féministes. En avril de la même année, il nomme la commission royale consultative chargée de révision de la Moudawana (CRCM) qui a livré, près de deux ans plus tard, sa copie. La révision globale du Code de la famille permet de supprimer certaines dispositions discriminatoires à l’égard des femmes, notamment celles relatives à la polygamie, au divorce, à la tutelle, au partage des biens et au système successoral. Qualifiée de révolution tranquille, la réforme est saluée par les associations de femmes et la société civile. Encore, «cette avancée vers l’émancipation de la femme marocaine» cache de nombreuses lacunes. De plus, l’application des dispositions de la Moudawana présente certaines limites en matière de ration de défauts et une interprétation rigide de ses dispositions. Résultat : dysfonctionnements sur le terrain et non-respect des droits des femmes. L’heure de la révision est venue et l’appel du Roi Mohammed VI, lors de son discours de la Fête du Trône, le 30 juillet 2022, en est la preuve tangible. Sur instructions royales, un organisme chargé de réviser le Code de la famille est créé, et débute le 1euh Auditions de novembre 2023 avec le tissu associatif concerné par les droits de l’homme, les droits des femmes et des enfants ainsi qu’avec les magistrats, les chercheurs, les universitaires et autres professionnels du droit de la famille. Au total, 130 audiences sont en cours au 27 décembre 2023, date de clôture des audiences. Le 26 mars 2024, soit 6 mois jour pour jour après la lettre adressée par le Souverain au Chef du Gouvernement, l’Instance chargée de réviser la Moudawana, devrait remettre ses recommandations au Souverain. Seront-ils en phase avec les aspirations des femmes et l’évolution de la société marocaine ? Nous osons l’espérer.

Les défis de la réforme

L’année 2023 a été marquée par un débat national intense sur la réforme du Code de la famille, avec des positions divergentes, des consultations approfondies et des propositions de réformes audacieuses. Le dernier débat a eu lieu à Rabat le 8 février 2024. A cet effet, l’association Le Féminin Pluriel a réuni un panel d’experts, militants et professionnels pour une journée d’étude dédiée à la Moudawana, entre hier et aujourd’hui. L’événement a constitué un forum dynamique où les défis et les réformes entourant ce cadre juridique crucial ont été examinés en profondeur. Parmi les problèmes abordés, l’absence de tribunaux de la famille a été identifiée comme un obstacle majeur à l’accès à la justice pour un grand nombre de femmes. Dans de nombreuses régions, l’absence de ces infrastructures juridiques spécialisées pose des défis importants, en particulier pour les femmes issues de milieux défavorisés. De même, le manque de juges formés et spécialisés sur ces questions sensibles compromet souvent la qualité et l’équité des décisions rendues. Dans cette optique, l’accès à la justice doit être un droit garanti et gratuit. Les experts invités au débat n’ont pas manqué d’évoquer la question du mariage des mineurs et de sa résurgence, notamment dans les régions rurales et défavorisées. Mais si la pauvreté est souvent identifiée comme un facteur déterminant, la culture du mariage précoce a également été pointée du doigt comme une norme sociale pernicieuse à combattre. Les questions d’héritage, de divorce et de garde des enfants ont également retenu l’attention des intervenants qui ont dressé un état des lieux inquiétant.

 
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