Il y a cinquante ans, le chantier de construction de la Baie James saccagé par des voyous

Il y a cinquante ans, le chantier de construction de la Baie James saccagé par des voyous
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Le 21 mars 1974, il y a un demi-siècle, la destruction d’une partie du camp de la centrale LG-2, lors d’une violente guerre intersyndicale, causait des dégâts sans précédent sur le site d’Hydro. -Québec. Le saccage du chantier a forcé l’évacuation du chantier par avion, en plus de gêner la poursuite des travaux pendant près de deux mois. Les dégâts sont estimés à plus de 30 millions, soit l’équivalent de près de 200 millions en dollars de 2024.

Moins d’une semaine après les événements, le gouvernement de Robert Bourassa lançait les travaux d’une commission d’enquête chargée de faire la lumière sur ce qui s’est passé. C’est lors des travaux de cette commission que Brian Mulroney et Lucien Bouchard, deux futurs premiers ministres, se sont fait connaître du grand public.

Rattaché au prestigieux cabinet d’avocats Ogilvie-Renault, Brian Mulroney représente, au sein de la commission, le monde des affaires. Lucien Bouchard, pour sa part, occupe le poste de procureur adjoint. Quant à lui, Guy Chevrette, futur chef de file du Parti québécois, représente le monde ouvrier.

La commission est dirigée par Robert Cliche. Ancien professeur de droit devenu juge, époux de l’écrivaine Madeleine Ferron, beau-frère de Jacques, avec qui il entretenait une correspondance houleuse, Robert Cliche s’identifiait au courant de gauche de la politique québécoise. Il avait été chef du NPD au Québec. «Le président rêvé», écrit Lucien Bouchard.

La commission sous sa direction entendra près de 300 témoignages au cours de 68 jours d’audiences publiques. « Il faut reconnaître que Mulroney et Cliche ont fait du bon travail lors de cette commission. Il y en avait des verts et d’autres non mûrs là-dedans», raconte Michel Rioux, directeur de l’information de longue date à la CSN.

La terreur

Cette commission révèle au grand jour la volonté du Conseil des métiers de la construction de prendre tous les moyens, y compris celui de la terreur, pour imposer sa domination sur les grands chantiers.

En retournant la pierre des pratiques syndicales de l’époque, la commission aperçoit vite tout ce qui fourmille en dessous. Lucien Bouchard résume ce qui est sous leurs yeux : « des lutteurs et des boxeurs recyclés dans des fonctions syndicales ; des condamnés et des éléments de la pègre vaquant à leurs activités syndicales avec des battes de baseball et des revolvers […], ou même avec des mitrailleuses. Tout comme les représentants syndicaux qui récompensent les actes illégaux commis dans leur intérêt par de grosses sommes d’argent. Autrement dit, une sorte de mafia corrompt le monde du travail.

Il faut reconnaître que Mulroney et Cliche ont fait du bon travail lors de cette commission. Il y en avait des verts et d’autres non mûrs.

Au final, la quasi-totalité du rapport de la commission Cliche se lit « comme un catalogue de l’horreur », commente Lucien Bouchard.

La commission Cliche autorisera un programme d’écoutes téléphoniques. Cela a finalement révélé que des intimidations, notamment des armes à feu, étaient utilisées pour forcer les travailleurs à adhérer à tel ou tel syndicat.

André « Dédé » Desjardins était alors à la tête de la section locale 144 du Conseil provincial des métiers de la construction du Québec, se souvient Michel Rioux. Son règne fut celui de la terreur. « Il arrivait avec des gars pour faire la loi. » Ce fidèle était considéré comme le « roi de la construction ». Ami des mafieux habitués des travaux noirs, ce fils de plombier qu’est Dédé roule en Cadillac blanche. Il n’attendra pas les conclusions des travaux de la commission Cliche pour démissionner, sachant d’emblée quelle est la part de responsabilité qui lui incombe dans ce qui s’est passé à la Baie James.

Un tremplin pour Brian Mulroney

Il est impossible de comprendre le caractère politique que se construit Brian Mulroney sans se concentrer sur les travaux de cette commission qui servira ses ambitions. Ami de Robert Bourassa, Mulroney ne cache pas ses intentions politiques.

Lors d’une assemblée annuelle des actionnaires de Power Corporation, il avait déjà déclaré vouloir devenir un jour premier ministre du Canada. John Sawatsky, son biographe, rapporte cette déclaration comme une prophétie auto-réalisatrice déclamée devant un témoin de choix : Paul Martin Jr., alors jeune cadre de Power Corporation. Martin deviendra également premier ministre du Canada.

Les travaux de la commission sont publics. Les médias en parlent largement. Pour le public, cela prend des allures de feuilleton. À la commission Cliche, Mulroney a privilégié la méthode forte. Surtout, il a l’habitude de communiquer clandestinement des informations à la presse en favorisant l’un ou l’autre journaliste, ou en essayant de les monter les uns contre les autres. Quand le journaliste de Devoir Louis-Gilles Francoeur est à la veille de publier un article important lié à la commission, Mulroney le contacte pour négocier.

Devant les caméras, Mulroney n’hésite pas à se mettre en lumière. Lorsqu’il s’agira de faire témoigner le premier ministre Robert Bourassa, Mulroney s’y opposera. Il croyait, dit son biographe, à « l’immunité des dirigeants ».

Le contrôle

Au début des années 1970, le chantier de la Baie James constituait une cagnotte pour certains travailleurs. Presque tout le monde connaît quelqu’un qui est parti travailler « dans le Nord », comme on dit, c’est-à-dire à la Baie James. De nombreux travailleurs sont attirés par des salaires supérieurs à ceux habituellement accordés à la plupart des métiers. Dans cette tourmente, les syndicats rivalisent pour la représentation des travailleurs, en utilisant souvent des moyens qui n’ont pas grand-chose à voir avec la simple défense des droits et des intérêts des travailleurs.

La Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) entend exercer un contrôle sur la majorité des syndiqués du chantier. La Confédération des syndicats nationaux (CSN), syndicat d’origine catholique, tente néanmoins de tenir sa place. L’intimidation entre les deux se fait sans détour. La violence est monnaie courante. Le président de la CSN, Marcel Pépin, lève le voile sur ce qui se passe lorsqu’il affirme que la campagne de terreur contre les travailleurs est l’œuvre de l’Union internationale des opérateurs de machinerie lourde (UIOML). «La recherche d’un monopole à tout prix a donné lieu à des exagérations extrêmes de la part de ces gens-là», se souvient Michel Rioux, alors attaché au Service d’information de la CSN.

Un agent de l’UIOML, Yvon Duhamel, mène la charge sur le site de la Baie James. Il se croit volontiers investi d’un sens du syndicalisme qu’il redéfinit à sa guise. Visage carré, menton fort, longues pattes encadrant un visage sans crainte ni remords, Duhamel affronte quiconque tente de le ramener à des dispositions plus raisonnables tandis que la tension monte sur le chantier. Lorsqu’on lui a dit qu’il devait modérer son enthousiasme au risque d’être expulsé du chantier, comme d’autres travailleurs l’avaient été, Duhamel a pris le mors aux dents. Il se lance à l’assaut des installations, en même temps qu’il promet de faire comprendre que c’est son groupe qui contrôle réellement ce qui se passe au Nord.

Aux commandes d’un bulldozer Caterpillar D9, Duhamel a détruit une remorque, puis a incendié, avec des complices, la caserne où dormaient les ouvriers du chantier. Les canalisations d’eau du village ouvrier sont arrachées. Les générateurs qui assurent la production d’énergie des locaux sont détruits. Quelque 135 000 litres de carburant ont été déversés depuis des réservoirs délibérément éventrés. Le feu mène au feu. Au lendemain de ces actions, tout n’est plus que cendres, ruines et désolation.

Selon Duhamel, la Société d’énergie de la Baie James (SEBJ) devait comprendre qui étaient les véritables maîtres des lieux. Duhamel a refusé de témoigner dans cette affaire, ce qui lui a valu dans un premier temps huit jours de prison. En août 1974, Le devoir rapporte que l’agent d’affaires de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), Yvon Duhamel, a été condamné à 10 ans de prison pour les méfaits qu’il a commis et incité à commettre le 21 mars 1974. À la suite des travaux de la commission, quelqu’un dont la vie est une personne entachée d’un casier judiciaire ne peut plus occuper un poste de direction dans un syndicat. Le président de la FTQ, Louis Laberge, est pour sa part critiqué pour avoir détourné le regard alors que des actes répréhensibles étaient commis presque sous son nez.


Une version précédente de ce texte a été modifiée. André « Dédé » Desjardins était à la tête de la section locale 144 du Conseil provincial des métiers de la construction du Québec et non de la section 791.

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