« En utilisant les armes nucléaires comme outil de dialogue stratégique, la France pousse la Russie à négocier »

« En utilisant les armes nucléaires comme outil de dialogue stratégique, la France pousse la Russie à négocier »
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ENTRETIEN – Le rappel par Emmanuel Macron de notre force de dissuasion contre la Russie, notamment lors de son intervention télévisée ce jeudi, est un retour à la discussion et non à une montée des tensions, estime Lova Rinel, chercheuse associée à la Fondation. pour la recherche stratégique.

Lova Rinel, spécialiste de la dissuasion nucléaire, est chercheuse associée à la Fondation pour la Recherche Stratégique.


LE FIGARO. – Quels enseignements tirer de l’intervention d’Emmanuel Macron ce jeudi ?

Lova RINEL. – La leçon fondamentale de cet entretien est que l’action du président peut être un réveil, ou un début de réapprentissage pour les Français, des rapports de force internationaux. Mais la vraie, celle qui rythme les tensions. On y voit un président assez serein, sûr de sa position et des raisons qui le poussent à maintenir cette posture.

Si l’on s’intéresse aux propos du président, on comprend qu’il ne dit rien d’autre que ce que plusieurs experts de la défense et de la dissuasion expliquent depuis le début du conflit :

Nous sommes face à une guerre voulue par la Russie qui va au-delà d’un conflit bilatéral. Elle est coloniale et hégémonique et ne s’arrêtera pas aux territoires ukrainiens.

L’autre enseignement, et c’est certainement le plus fort, c’est que la France est l’une des clés de ce conflit. La capacité du président français à gérer dans les prochains mois (d’ici 2026) le rapport de force avec un allié comme les Etats-Unis, qui semble se rapprocher de la cause russe, pourrait être décisive pour l’Europe.

La dissuasion permet à vous et à moi, ainsi qu’à chacun sur le territoire, de vivre en sécurité sans passer par l’enseignement des armées.

Lova Rinel

Bref et pour faire plus simple, l’autre enseignement que l’on peut en tirer est que la France joue sa carte géopolitique. La responsabilité et le défi de porter un autre message que celui des Russes et des Américains reposent aujourd’hui sur la France.

Par ailleurs, le président Emmanuel Macron ne fait rien d’autre que respecter l’exégèse de notre doctrine : l’indépendance stratégique. Il l’a dit jeudi soir, ce qui est très positif et même rassurant. Le maintien de cette liberté d’action sera déterminant pour la France.

La Russie ne doit pas et ne peut pas gagner cette guerre», a insisté le chef de l’Etat, estimant que la sécurité de la France et de l’Europe est en jeu en Ukraine. Le chef de l’Etat cherche-t-il à faire prendre conscience aux Français du danger qui pèse sur l’Europe, et donc sur eux, pour qu’ils soutiennent son action ?

La France vit dans un monde préservé de tout conflit sur son territoire grâce à sa dissuasion depuis les années 1960. Par conflit, j’entends les guerres dites de haute intensité nécessitant un appel à la conscription ; ce qui explique aussi en partie le choix de la France de quitter le service militaire.

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Nos choix stratégiques de défense territoriale ont permis de réduire nos besoins en recrutement, grâce à notre dissuasion. Cela permet à vous et moi, ainsi qu’à tous les gens du territoire, de vivre en sécurité sans passer par l’entraînement des armées. L’une des conséquences directes de la fin du service militaire (1996) est que la France fonde sa défense essentiellement sur la dissuasion en disposant en plus d’une armée de terre présente sur OPEX. Le plan vigipirate est venu rappeler aux Français que nos militaires existent et qu’ils protègent notre territoire mais qu’en réalité, nous n’avons pas été éduqués à la guerre. C’est une bonne chose en soi, mais cela pose la limite à la compréhension d’un imaginaire collectif limité sur les dangers de la confrontation. La Russie, en envahissant l’Ukraine et en menaçant l’Occident d’une attaque nucléaire, a brisé cet idéal. Le président vient de rappeler cette dure réalité.

La dissuasion consiste à brouiller les intérêts vitaux ; nous ne les définissons pas, sinon nous perdons l’avantage de la négociation, mais c’est la certitude de la réponse nucléaire en cas d’attaque contre nos intérêts vitaux.

Lova Rinel

Il faut aussi comprendre que cette sérénité vaut aussi en Europe, certes le parapluie nucléaire existe, mais il est fragile. C’est déjà entre les mains des Américains, qui rappelons-le, si Donald Trump remporte les prochaines élections pose une incertitude quant à la capacité des USA à faire respecter l’article 5 de la Charte de l’Otan (défense collective). Le doute est sincèrement soulevé au vu des différents propos tenus par Donald Trump qui suggèrent que s’il gagne, il retirera tout soutien à l’Ukraine et n’engagera pas l’armée américaine dans un conflit avec la Russie.

La France est-elle désormais en danger si l’Ukraine perd cette guerre ? La question est d’autant plus importante qu’elle est plus large. En effet, ce n’est pas la France mais toute l’Europe qui serait en danger et les pays baltes continuent de nous alerter à ce sujet. Les avis divergent en France, mais en Europe, le consensus est plus large. Je reformule donc, non seulement la France serait en danger en cas de victoire de la Russie dans l’intégrité de son territoire et de ses intérêts mais l’Europe toute entière et c’est un avis partagé par les Etats européens.

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Et d’ailleurs les journalistes l’ont évoqué à juste titre, sans être dans un conflit de haute intensité avec la Russie, cette dernière ne cesse de nous attaquer depuis 2017 avec des attaques déstabilisatrices qui pose aussi un des nouveaux visages de l’affrontement avec une puissance : ingérence, désinformation, cyber rafles… C’est évidemment sans compter les différentes attaques contre notre modèle de société, la défense de la communauté LGBT et des libertés individuelles qui semblent être une des justifications de Vladimir Poutine des attaques qu’il lance de manière détournée sans jamais vraiment prendre en compte responsabilité à leur égard. Wagner n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Emmanuel Macron a assuré que les armes nucléaires « apportent la sécurité à la France » face à la Russie. Emmanuel Macron cherche-t-il à entretenir le flou ? Doit-on les interpréter comme une volonté de maintenir un bras de fer face à Poutine ? Dans quel but?

La dissuasion consiste à brouiller les intérêts vitaux ; nous ne les définissons pas, sinon nous perdons l’avantage de la négociation, mais c’est la certitude de la réponse nucléaire en cas d’attaque contre nos intérêts vitaux. C’est aussi le cœur de l’interview de jeudi sur la dissuasion du président. La France était trop désireuse de trouver une solution diplomatique pour « calmer » les Russes, mais elle s’est heurtée à un mur d’agression et de chantage inacceptable pour les Ukrainiens.

Aujourd’hui, nous sommes très loin du danger nucléaire.

Lova Rinel

L’objectif de la dissuasion est bien de mettre sur la table les armes nucléaires. Ici, c’est la Russie qui l’a imposé dans ce conflit (24 fois depuis 2022) pour empêcher toute discussion. La France pose un autre rapport de force, utilisant l’arme nucléaire comme outil de dialogue stratégique, elle pousse la Russie à négocier. La dissuasion utilisée par la France est une voie de retour vers la discussion et non vers une augmentation des tensions. La balle est dans le camp de la Russie ; elle doit décider si elle accepte la main qui lui est tendue pour trouver une solution à ce conflit.

Nous avons un président qui a peut-être compris que la seule façon de parler à Vladimir Poutine, c’est la force. C’est déstabilisant ici, mais c’est respecté en Russie, et c’est le principal.

Avec ce type de déclaration, ne risque-t-on pas un dérapage en matière de dissuasion nucléaire ?

La dissuasion est en place depuis 1960 (gerboise bleue, première tentative française), c’est une arme de non-usage pour les inciter à renoncer à nous attaquer. C’est la définition de la dissuasion, et sauf erreur de ma part, la France n’a pas été attaquée avec l’arme nucléaire par la Russie, donc à ce stade, ça marche. Le jour où l’arme est utilisée, c’est mécaniquement la fin et l’échec de la dissuasion. Aujourd’hui, nous sommes très loin du danger nucléaire. La dissuasion nucléaire française est crédible aux yeux de tous, même des Russes, et le président Poutine peut parler de la supériorité de ses armes, mais la force égalisatrice de l’atome n’en demeure pas moins. C’est le fait qu’une arme atomique stratégique comme la nôtre peut causer une destruction irréversible à la Russie. Il n’y a donc aucun intérêt pour eux ni pour nous d’en arriver là. Mais c’est à Vladimir Poutine de faire pression et c’est le message que lui envoie la France. Pour la première fois, les Russes font preuve d’une résistance importante, je crois au contraire que c’est le début, certes d’une tension, mais un moment obligé pour arriver à quelque chose où nous, Français, garantissons notre sécurité, tout comme les Européens.

 
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