A Marseille, la cité Bassens va se construire ailleurs

A Marseille, la cité Bassens va se construire ailleurs
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C’est fait, voté… terminé. Conçue pour déconstruire les nœuds ferroviaires de Marseille, Toulon et Nice, la nouvelle ligne Provence – Côte d’Azur marque la démolition de Bassens II (15e). Les 95 familles devront quitter les lieux avant fin 2027 mais à leur demande, tous ceux qui le souhaitent seront relogés dans la même résidence, construite exprès, non loin de là, sur la ZAC Saint-Louis (15e). Il s’agit d’une mesure sans précédent. C’est une ville spéciale.

Si Bassens était un homme, ce serait une femme… Une cinquantaine d’années, des cils aux sourcils, ce serait Nanou. Et avec Nanou, on ne prend pas rendez-vous, on vient, c’est tout. Mercredi. Le thé restera chaud tout l’après-midi, dans un de ces thermos qui ornaient les tables de mariage d’antan. Dans les locaux des Femmes de Bassens, toute la ville viendra à un moment ou à un autre faire un bisou, voir la mère de quelqu’un qui était fatiguée hier, amener son enfant au soutien scolaire, lui annoncer quelque chose. “Même Macron est venu ici, alors…« Iman, 22 ans, dit la vérité. Il y a trois ans, le Président de la République pénétrait dans ces mêmes locaux pour discuter longuement avec les habitants, Bassens en garde une forme d’incrédulité.

Un homme entre, il a besoin que Nanou l’appelle ; ni une ni deux, la résidente enfile sa tenue de conciliatrice matrimoniale. Nous venons la chercher pour à peu près tout et n’importe quoi. Mais tout le monde ici sait que le grand référent du quartier »c’est Zacchia, dans la vraie vie», la grande sœur de Nanou. Ils vivent avec leur aînée Zina et deux de leurs enfants. Trois sœurs dans le même foyer, ça vous met en scène. Il vous dit que “Bassens, c’est le livret de famille, Bassens, c’est la base« . Sabah, 19 ans, est assez fière de sa formule. Depuis qu’elle a appris qu’elle «base» allait être démoli, s’inquiète-t-elle un peu.

Partir oui, mais ensemble

Aujourd’hui, les Bassenssois sont apaisés par ce départ, mais en 2016, quand on a commencé à leur parler de cette destruction, «c’était la panique totalese souvient Nanou. Les gens pleuraient, les plus âgés se demandaient comment ils allaient survivre au déracinement, ils n’imaginaient pas être séparés de tous ceux qu’ils avaient toujours connus.

Mercredi après-midi, Bassens est à la fête. Les enfants se pressent aux activités des associations quand les « Femmes de Bassens » refont le monde. Photo Valérie Vrel

Mais dans la nuit du 28 au 29 juin 2021, tout a basculé. Il y avait ce gamin, tué dans sa ville, sur fond de trafic de drogue. Quelles que soient les circonstances, le choc fut total. “Là, c’était fini, on pouvait raser Bassens, on n’avait plus rien à faire.“Mais à condition qu’on parte ensemble parce qu’après tout,”nous n’avons rien demandé« .

À la mémoire des onze enfants…

En réalité, les trois sœurs ne sont pas nées à Bassens. “Lorsqu’ils ont quitté l’Algérie pour Marseille, nos parents ont d’abord vécu dans un château abandonné à La Busserine (14ème), c’est là que je suis né, il y a 62 ans.témoigne Zacchia. Puis, dans les années 70, nous sommes venus ici, c’était un lotissement provisoire où personne n’était censé rester, il y avait principalement des Algériens et des gitans. On a marché longtemps pour aller chercher de l’eau, du fioul, du charbon” et aussi, “Sacs de 25 kilos de semoule sur le dos», précise Farid qui a vécu la même histoire dans les mêmes conditions, à l’Estaque (16e). Mais à Bassens, il y avait surtout ce champ plein de vaches, à la place du 15e commissariat. Et quand Zacchia parle, c’est Pagnol dans le texte, avec ses souvenirs d’odeurs de fleurs, de pommes volées et de trésors trouvés, “ah, les trèfles à quatre feuilles…“Elle dit qu’elle a eu l’enfance la plus merveilleuse qu’on puisse espérer.”Avec rien, nous avions tout», résume-t-elle.

Mais vivre dans un tel contexte de précarité nous exempte rarement des accidents. Et Dieu sait si Bassens en connaissait. Parce que, nous dit Zacchia, «pour aller aux champs ou à l’école, il fallait traverser la voie ferrée« . Pas besoin de ses mots pour imaginer la suite… Une plaque commémorative rappelle encore aujourd’hui cette inconcevable page de l’histoire : «À la mémoire des onze enfants de notre ville, victimes de l’incompréhension de notre société. Ils ont payé de leur vie l’absence de ce mur de protection réclamé depuis 13 ans.« Ces enfants abattus par le train, Zacchia les connaissait tous. Un mur fut alors construit. Une ville aussi, sous forme permanente, en 1981. Bassens. Une autoroute d’un côté, une zone industrielle de l’autre et rien d’autre… Rien, forcément, ne greffe dans votre corps une urgence de fraternité.

Solidarité par culture

Nouvelle collection! Cette fois, c’est pour aider les étudiants de la faculté de Saint-Jérôme.« Voici Kheira, « madame tombola » pour l’Ukraine, pour le Liban, de l’eau à Zanzibar, des crèches en Algérie et aussi de la nourriture pour les chats du quartier. Elle doit bientôt partir préparer son repas du soir à l’hôpital du Nord où elle est aide-soignante. Elle a juste le temps d’expliquer qu’elle doit cet enthousiasme pour les autres à ses parents.Ma mère prenait toujours quelque chose d’elle-même pour le donner aux autres.“Et c’était comme ça à chaque étage.”Nous célébrions les mariages à la maison et comme il n’y avait pas assez de place, le voisin nous ouvrait toujours ses portes.», décrit Nanou. “Si nous manquions de shampoing, ma mère nous en donnait un verre pour que nous allions en chercher chez le voisin.», ajoute Kheira.

Chaque vendredi, à tour de rôle, les mères effectuaient une sadaqa, un cadeau spontané recommandé par l’Islam. “Un des habitants a préparé un grand repas avec plein de fourchettes partout, tout le quartier était invité

Même en semaine, si Kheira ne s’inspirait pas du plat préparé à la maison, »Je suis monté chez le voisin et si ça ne me plaisait pas non plus, j’allais chez un autre voisin jusqu’à trouver un plat qui me plaisait“, elle rit. Selon Zacchia, «nos enfants ont toujours cette façon de vivre en eux même si le monde a changé et cela ne nous permet plus de grandir aussi heureux que nous l’étions“.Iman n’est pas tout à fait d’accord.”Rappelez-vous qu’on volait aussi des pommes de terre aux parents pour aller les griller au feu de bois, entre enfants, tous ensemble

Et puis, il y a eu ces voyages organisés par les Femmes de Bassens en Ardèche, dans les Alpes-de-Haute-Provence et même le ski, les sorties au cinéma… Kheira raconte : «Je me souviendrai toujours de cette voisine qui nous confiait sa joie lors d’un voyage. C’était la première fois de sa vie qu’elle franchissait les frontières de Bassens

Bassens, les heures sombres

Oui, le monde a changé, surtout depuis que les réseaux de drogue ont pris le relais. Il y a eu des morts. Beaucoup. Le récent procès d’un triple homicide en 2016 a occupé de nombreuses discussions. Parmi les trois jeunes décédés, un était une victime collatérale. Les visages se ferment un peu. Nous n’en parlons pas volontiers. Mais Nanou l’assure : «Les jeunes de Bassens en ont trop souffert, ils ont perdu des amis chers. Aujourd’hui, presque tout le monde va à l’école ou travaille.» Un acteur associatif, largement implanté à Bassens, confirme : «Contrairement aux autres villes dans lesquelles j’ai travaillé, à Bassens, il n’y a pas de cas d’abandon scolaire.

Sabah, face à la voie ferrée où elle n’est allée que « deux fois » dans sa jeune vie. Photo Valérie Vrel

Reste Sabah, 19 ans, que tout le quartier tente d’aider à trouver sa voie. Elle semble l’avoir enfin détecté : «Je veux être pompier.» Dehors, des dizaines d’enfants d’ici et d’ailleurs affluent en file indienne pour assister aux activités des associations. Sabah s’échappe de leurs étreintes pour nous montrer le chemin… ferroviaire cette fois. En chemin, un vaste bâtiment désaffecté : «Il paraît qu’avant, c’était une école maternelle, mais j’ai toujours connu cet endroit tel qu’on le voit là. Je n’aime pas venir ici, cette ambiance m’angoisse.

Sabah grimpe quelques mètres, cheveux tirés en arrière, yeux noirs, survêtement, chaussette glisse. “Et voilà, c’est la voie ferrée. Je n’y suis allé que deux fois dans ma vie, ça me fait peur.« Certes, Sabah n’a pas été épargnée par l’histoire collective. Ces rails qui ont tué onze des leurs, réclament désormais leur départ. Dans toute son unité, toute sa complexité, Bassens racontera son histoire ailleurs.

Pas loin, mais ailleurs.

Avec la nouvelle Ligne Paca, la résidence cédera la place à l’entrée d’un tunnel

La nouvelle ligne Provence – Côte d’Azur est un vaste projet… Son objectif : fiabiliser le trafic, augmenter l’offre ferroviaire et faciliter l’accès au train. Il s’agit en réalité d’une station souterraine qui sera créée à Saint-Charles. Ainsi, Marseille sera traversée par deux tunnels souterrains, l’un de 4 800 mètres, l’autre de 3 100. Il s’agit du premier tunnel « Nord », construit à partir de la ligne Paris-Lyon-Marseille, qui nécessitera la démolition de Bassens II, Bassens I n’étant pas impacté par les travaux.

Cela signifie que 95 logements devront être détruits et autant de familles devront partir, une grande majorité ayant choisi le relogement dans la ZAC Saint-Louis. Une démarche dans laquelle s’engage Samia Ghali, adjointe au maire de Marseille, «cela ne sera pas fait avant qu’une nouvelle offre de logements ne soit prête, afin que les familles n’aient pas à déménager deux fois« .

A terme, les cartons se dirigeront donc vers une résidence construite sur un terrain appartenant à la Métropole, qui a donné son accord de principe à la ZAC Saint-Louis. Restait à obtenir le vote de la Ville : le relogement des familles de Bassens a été acté à l’occasion du dernier conseil municipal, le 16 février 2024. Un travail sur la mémoire des habitants et de ce quartier historique a été, dans ce même vote, a été enregistré.

 
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