L’une des familles les plus riches de Suisse est accusée de trafic d’êtres humains. Après six ans d’enquête, le procès devait enfin s’ouvrir, mais la famille était absente pour son premier jour : des problèmes de santé empêcheraient son retour de Dubaï. Un chapitre de plus pour une saga juridique particulière.
Julian Spörri, Genève / ch media
Maîtres Yaël Hayat et Robert Assaël au premier plan. Derrière eux, Ajay Hinduja et son épouse Namrata qui sont poursuivis entre autres pour trafic d’êtres humains.Image : CLÉ DE CLÉ
Que se passe-t-il derrière les portes des villas de cette famille de milliardaires discrets ? Cette question est au cœur d’une saga juridique genevoise. Quatre membres de la famille Hinduja font face à des accusations de trafic d’êtres humains pour l’exploitation de leurs travailleurs domestiques. Il s’agit de Prakash Hinduja, de sa femme, de son fils et de sa belle-fille. Ils bénéficient tous de la présomption d’innocence.
Prakash Hinduja, 78 ans et Indo-Suisse, possède avec ses trois frères le groupe Hinduja, qui emploie des dizaines de milliers de personnes à travers le monde. Ce conglomérat est particulièrement actif dans le secteur bancaire ainsi que dans les secteurs des télécommunications et de l’énergie. Selon la « Sunday Times Rich List », La famille Hinduja est la famille la plus riche du Royaume-Uni et possèderait près de 39 milliards de francs. Selon les estimations de Bilanun quart de cette somme revient à Prakash Hinduja, qui réside dans le canton de Genève.
Les graves accusations portées contre lui et sa famille ont fait surface en 2017 : des employées de maison ont déclaré devoir travailler dans des conditions indignes dans leur villa de Cologny (GE). Le ministère public genevois a mené une enquête pendant six ans – avant de porter plainte devant le tribunal.
Ce dont la famille est accusée
Selon l’acte d’accusation, la famille a recruté pendant près de 19 ans des dizaines d’étrangers à Genève et en Inde – souvent des personnes illettrées et issues de milieux pauvres. Ils auraient été hébergés dans des conditions précaires dans le sous-sol de la villa. Certains ont même dû dormir plusieurs années dans un abri antiatomique sur des lits superposés.
L’acte d’accusation précise également que les employées de maison travaillaient tous les jours de la semaine, du matin au soir, sans compensation pour les heures supplémentaires, et ce pendant un salaire mensuel compris entre 110 et 400 francs. En outre, les passeports des salariés auraient été confisqués par l’employeur, ce qui aurait considérablement limité leur liberté de mouvement.
L’année dernière, les avocats de la famille ont qualifié les accusations d’exploitation de « fabrication » devant le tribunal. NZZ au Sonntag. Selon eux, les salariés recherchent un gain financier. Ils auraient été libres à tout moment et auraient, par exemple, fait des promenades au bord du lac Léman.
Bloqué à Dubaï
Les parties auraient dû présenter leurs arguments devant le tribunal correctionnel de Genève ce lundi. Les trois anciens plaignants employés de maison ont comparu à l’ouverture du procès avec leur équipe d’avocats. En revanche, Prakash Hinduja et son épouse étaient absents. Ils ont réclamé des certificats médicaux délivrés par un médecin de Dubaï, où ils séjournent actuellement. Deux des cinq avocats de la famille n’ont pas non plus assisté à l’ouverture du procès pour cause de maladie.
Le procureur Yves Bertossa a vivement critiqué la « tactique de modération » du couple et de leurs défenseurs : « Ces gens méprisent la loi, La justice suisse et les victimes. La famille ne veut pas de procès, selon Olivier Peter, avocat d’un plaignant.
« Elle se moque du tribunal, tout comme elle se moque de la souffrance du staff »
Ces propos forts sont dus au fait que ce n’est pas la première fois que le procès est retardé. Elle aurait déjà dû avoir lieu à l’automne 2023. La famille a épuisé toutes les voies de recours possibles : selon un reportage de la RTS, ses avocats ont déposé 14 demandes de récusation contre des procureurs, des policiers et des juges, le tout sans succès. La dernière requête contre le juge en chef du Tribunal pénal est toujours pendante devant le Tribunal fédéral.
« Procès contre les riches »
Les trois avocats de la famille Hinduja se sont vigoureusement défendus lundi contre l’accusation de vouloir torpiller le procès. Les critiques exprimées sont des « arguments populistes », a déclaré Robert Assaël. Ce serait un « procès contre les riches ». Les Hinduja respectent les institutions judiciaires et ne sont pas responsables de leur « santé fragile ».
Mais comment le tribunal peut-il rendre un jugement alors que deux accusés se trouvent à Dubaï ? En Suisse, un procès en l’absence de l’accusé n’est possible que sous certaines conditions. Le Tribunal correctionnel de Genève estime que celles-ci ne sont pas remplies pour le moment – et lance une nouvelle tentative : le procès principal avec tous les accusés doit s’ouvrir le 25 janvier.
Adapté de l’allemand par Tanja Maeder