« EElles étaient là, les cinq femmes, vêtues de blanc, avec un foulard noué sur les cheveux. Pas de parfum ni de maquillage. Ils se tenaient là comme une hydre à cinq têtes, une figure mythologique impossible à vaincre. Un clan. » C’est avec cette image, dans une scène poignante d’adieu à un père déchu, solennelle et puissante, où la mort s’est invitée mais sans pouvoir chasser la vie trop forte pour elle, que Leïla Slimani clôture magnifiquement sa trilogie personnelle et romantique. Le pays des autres.
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Personnelle, car elle puise dans l’histoire de sa propre famille. Romantique, car le véritable écrivain, même lorsqu’il raconte l’histoire la plus intime, ne se limite jamais à coller au PV de la généalogie officielle : il brode, coupe, répète le réel, déploie son grand tissage de mots, il crée la mythologie. D’où le fait que ces cinq femmes soient comparées à une hydre, et le père allongé, au « dernier homme » : le merveilleux surgit souvent entre les pages de j’enlèverai le feu. Ce qui n’empêche pas la sincérité d’y brûler, transmettant une chaleur dorée au lecteur.
Phrase talismanique
Qui sont ces cinq femmes ? Mathilde, Selma, Aïcha et les « petites », les deux sœurs Mia et Inès, qui ont grandi et sont devenues des femmes dans les années 1980 où se déroule cette troisième et dernière « saison » de la Les pays des autres. Mathilde, l’Alsacienne tombée amoureuse en 1944 d’Amine, le soldat marocain venu la libérer et qu’elle suivit de l’autre côté de la Méditerranée, est aujourd’hui grand-mère. Selma, la sœur cadette d’Amine, la Vivien Leigh des cafés de Meknès, endurant tout pour préserver intacte sa liberté et l’enseigner – avec goût pour la mode – à ceux qu’elle aime, incarne l’assurée, sexy, écorchée, bienveillante.
Sa nièce Aïcha, la fille de Mathilde, aujourd’hui maman, est l’un des plus beaux personnages de j’enlèverai le feutitre hommage à la phrase talismanique de Cocteau : l’élève de Regarde-nous danser est devenue une gynécologue dévouée à ses patientes et qui gardera la tête haute dans la tempête de disgrâce qui s’abattra sur la famille, protégeant tout son être pour que ses filles, Mia et Inès, puissent s’épanouir, mi-jolies fleurs, à moitié sauvages l’herbe, loin du chaos.
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C’est cette troisième génération incarnée par les deux sœurs que Leïla Slimani place au cœur de son grand roman, tentant de décrire une enfance puis une adolescence marocaine dans le jardin d’Eden familial, dans l’ombre d’un père vénéré. mais lointain, entrepreneur visionnaire au service du Royaume qui va bientôt briser ses ailes, arrêtons-nous là…
-La sensualité par-dessus l’épaule
Si nous connaissons le « Familles, je vous déteste ! » par André Gide, on connaît moins le reste : « Des maisons fermées, des portes closes, des possessions jalouses de bonheur. » Leïla Slimani, à ce niveau, est l’anti-Gide, comme la famille est ici le refuge, lealma mater où l’on reprend des forces, malgré les coups du sort et de l’exil, les morsures identitaires ou les séquelles de désirs souvent déçus.
L’écrivain lui construit alors un temple des mots, en tant que gardien du foyer. Ça crépite, scintille, elle n’est jamais naïve : si ses formidables talents de narratrice ne sont plus à prouver, capable qu’elle est de changer de point de vue à volonté, de se glisser dans la peau avec une virtuosité serpentine de chacun de ses personnages. , Leïla Slimani sait écrire crûment, et les pages consacrées à l’initiation romantique de ses jeunes héroïnes, la sensualité toujours au rendez-vous, sont parmi les plus réussies.
Nous voudrions dire un mot du féminisme solaire de ce roman, de sa bande originale, d’Asmahan à REM, des couleurs et des saveurs qu’il nous offre à profusion, des mots arabes qui scintillent en français comme des joyaux magiques, de son humour, de ses accès de mélancolie envahissants, mais nous nous arrêterons sur la phrase à laquelle nous avons pensé en le fermant. C’est d’Alberto Manguel : « La biologie nous dit que nous descendons de créatures de chair et de sang, mais nous sommes intimement conscients d’être les fils et les filles de fantômes d’encre et de papier. » La littérature est partout dans j’enlèverai le feumais ses fantômes sont aussi faits de chair et de sang.
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« J’enlèverai le feu », de Leïla Slimani (Gallimard, 430 p., 22,90 €).
Extrait
« Ces histoires sur les racines ne sont rien d’autre qu’une façon de vous clouer au sol, de sorte que le passé, la maison, les objets, les souvenirs n’ont pas d’importance. Allumez le grand feu et éteignez le feu. Je ne te dis pas au revoir, ma chérie, je te dis au revoir. Je te pousse de la falaise, lâche la corde et te regarde nager. Mon amour, ne fais pas de compromis avec la liberté, méfie-toi de la chaleur de ta propre maison. »