Otage des Kouachi, Michel Catalano publie un livre poignant

Otage des Kouachi, Michel Catalano publie un livre poignant
Otage des Kouachi, Michel Catalano publie un livre poignant

Par

Baptiste Ringeval

Publié le

7 janvier 2025 à 7h00

Le 9 janvier 2015 à 8h30, la vie de Michel Catalano des roches. Les frères Kouachi franchissent les portes de leur imprimerie de Dammartin-en-Goële. Dix ans plus tard, dans un récit à la fois rigoureux et sensible, le sexagénaire décrit les étapes de sa reconstruction, parallèle à celle de son entreprise dans son livre « L’imprimeur de Dammartin « publié le jeudi 2 janvier. Pour La Marneil revient sur ces 10 années qui l’ont poussé à tout mettre par écrit.

Pourquoi avez-vous voulu raconter cette histoire à travers un livre ?

Avant que ce soit un livre, c’était thérapie ce que j’ai fait. Il m’a fallu 4/5 ans pour l’écrire. J’ai tout écrit, ce que j’avais vu, ce que j’avais vécu. En même temps, il fallait que je comprenne avec mon psychologue pourquoi j’avais fait ça, pourquoi cette réaction…, il fallait que je comprenne tout ça. Puis mon psychologue m’a posé plus tard la question : « mais qui es-tu après tout ? » Là, je me rends compte que peu après cet événement, ma vie tournait autour de ce 9 janvier 2015. J’avais l’impression d’être née ce jour-là, ayant oublié qui j’étais avant même si j’avais 48 ans de vie derrière moi. Cela m’a permis de me redonner une identité, et grâce à ce livre j’ai pu laisser ma marque. Ce que j’ai voulu faire à travers ce livre, c’était évidemment raconter ce qui m’était arrivé mais aussi prendre du recul pour mieux l’analyser. C’est désormais gravé dans le marbre, et je me sens mieux de l’avoir fait, c’est un soulagement. Cela me permet de mieux accepter ce qui s’est passé et de pouvoir enfin tourner la page.

J’ai conçu le livre comme une histoire, mais au départ, il s’agissait plutôt d’une description très précise. Ce que je voulais faire après, c’était le rendre lisible pour tout le monde.

Dans le livre, vous évoquez des moments de vie, notamment avec votre père. Était-il important pour vous de relier cette histoire à votre famille ?

Je voulais m’accrocher à ma famille, à mon passé, à mon éducation… Quand une tragédie de ce type vous arrive, vous n’êtes pas les seuls à en être affectés. Ce fameux jour, ce que j’ai fait, ça vient de ce que j’ai vécu, de l’éducation que j’ai reçue. Ce que j’ai compris, c’est que ce jour-là, le fait que je m’en suis sorti, je le dois à moi-même, je me suis libéré tout seul. Et comment y suis-je parvenu ? Grâce à l’histoire que j’avais.

Dans le livre, vous répétez également qu’être seul dans cette situation vous convenait, pourquoi ? De même, vous êtes resté très calme lors de votre prise d’otage, comment avez-vous fait pour gérer la situation ?

En fait, J’avais accepté l’idée que j’allais mourir. Partant de ce principe, quiconque aurait pu être là à ce moment-là aurait changé ma façon de faire. Mon corps s’est mis en action, je n’ai pas paniqué du tout. Une autre présence aurait déstabilisé tout cela et ma réaction aurait été différente, plus encline à l’émotion. Je ne pense pas que nous aurions fini de la même manière.

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Je me suis demandé : comment pourrais-je rester si calme et me débrouiller si bien ? Enfin, c’est grâce à mon expérience. Dans ma vie, j’ai dû faire face à des choses qui n’étaient pas faciles et j’ai réalisé que cela faisait partie de ma vie. Je suis propriétaire d’une entreprise et je m’occupe de problèmes toute la journée. J’étais joueur-entraîneur de hockey, je suis père, donc j’ai aussi vécu cette expérience. Tout cela combiné, et même si ce n’est pas une situation habituelle, cela m’a permis de m’en sortir et d’affronter du mieux que je pouvais mes deux ravisseurs. Et c’est aussi ce dont j’ai voulu témoigner dans mon livre. Dans la vie, nous expérimentons des choses mais nous ne réalisons pas qu’elles pourraient nous être utiles plus tard. Mais j’avais besoin de comprendre tout cela.

Lors de votre prise d’otage, vous demandez à vos ravisseurs si vous pouvez partir, pensiez-vous vraiment qu’ils accepteraient ?

La première fois que j’ai posé la question, je n’y ai pas cru. Je suis presque sûr qu’ils vont dire non parce qu’ils veulent que je fasse office de bouclier humain contre les tireurs d’élite installés partout dans le bâtiment. La deuxième fois, lorsque j’ai reposé la question après avoir soigné l’un des deux frères Kouachi, j’ai vu que son frère hésitait. Et la troisième fois, voyant cette hésitation, J’ai posé la question un peu plus directement et il m’a dit que je pouvais y aller. Il semblait avoir apprécié que je m’occupe de son frère, cela a dû peser dans la balance. L’autre était davantage dans l’action. Il avait décidé qu’il allait mourir ce jour-là et il avait cela en tête.

Vous avez également réussi à cacher la présence de Lilian aux terroristes. Cela vous a-t-il rassuré de savoir qu’il était plus en sécurité ?

Ce qui m’a fait tenir ce jour-là, ce n’était pas moi, je savais que j’allais mourir. Il s’agit plutôt du fait d’agir pour que Lilian, ma collaboratrice cachée dans les lieux, puisse en ressortir vivante. En fait, J’étais tout seul mais dans ma tête, j’étais concentré sur lui. Je pensais à lui tout le temps. J’avais tracé une ligne imaginaire à ne pas franchir parce que je savais à peu près dans quelle zone il se trouvait. Je dis souvent qu’il m’a sauvé la vie, qu’il m’a permis de continuer.

Le pire dans cette histoire, c’est que tout aurait pu se passer bien différemment. En effet, et je l’ai appris bien plus tard, lorsque les frères Kouachi sont arrivés sur le parking de l’imprimerie, ils ont demandé à mon chef d’atelier qui arrivait également, combien de personnes il y avait dans les locaux. . Et ce dernier m’a répondu que j’étais seul malgré la voiture de Lilian. Il aurait pu leur dire que nous étions deux, mais non. Et donc une fois à l’intérieur, quand ils m’ont demandé si j’étais seul et que j’ai répondu par l’affirmative, cela avait du sens avec les propos de mon animateur d’atelier. Au final, cela n’a pas beaucoup d’importance.

Votre épouse, Véronique, a été particulièrement touchée par le 9 janvier, était-ce difficile de la voir dans cet état ?

Oui. Ce jour-là, on m’a souvent dit que j’avais de la chance, que j’étais l’un des seuls à être encore en vie après avoir été en contact avec des terroristes. Pour moi, ce n’était pas de la chance, mais comme je l’ai dit, je m’en suis sorti grâce à mon expérience. Par la suite, la chance que j’ai eu, c’est de pouvoir compter sur ma famille et notamment mon épouse. Mais c’est vrai qu’elle plongeait aussi de temps en temps. Elle vit avec moi nuit et jour et elle l’a pris encore et encore. Sauf qu’on ne lui a pas demandé si elle allait bien. Alors elle a pris des coups sans forcément pouvoir en parler et ça m’a profondément touché. En fin de compte, j’avais besoin qu’elle et ceux qui m’entouraient se portent bien, pour pouvoir m’en sortir.

J’ai aussi compris, notamment en discutant avec d’autres victimes, qu’à un moment donné, il faut être égoïste pour se remettre sur les rails. Parce que si j’étais descendu, ma femme serait descendue avec moi. J’ai donc dû m’en sortir. Et malgré une récente période difficile, elle va toujours beaucoup mieux. Et tout comme moi, publier le livre permet enfin de mieux accepter cette étape compliquée.

Pourquoi avez-vous eu cette envie de reconstruire au même endroit ? Avez-vous parfois des flashs ?

C’était important pour moi de reconstruire au même endroit car je voulais absolument redonner vie à ce bâtiment, que l’image est belle, que les gens oublient. Moi, je ne peux pas oublier et ce n’est pas en allant ailleurs que ça aurait été le cas, bien au contraire. Cette reconstruction m’a permis de l’accepter et d’avoir cette histoire avec moi car elle fait partie intégrante de ma vie. Un choix qui n’était pas celui de ma famille, qui souhaitait partir. Et j’avoue que je les ai un peu forcés mais je ne le regrette pas et ils n’en ont plus. Ce n’était pas la voie la plus simple, mais c’était nécessaire. Je ne voulais pas non plus être obligé de partir, je n’avais rien à me reprocher.

Oui, parfois lorsque j’ouvre mon portail électrique le matin, j’ai une émotion qui surgit. On est à la période de l’année où ça s’est passé, et je pensais qu’au bout de 10 ans ça passerait, mais finalement, c’est une période, entre la fin de l’année et le début de l’année suivante, où je suis toujours un peu plus fragile, où les émotions reviennent toujours plus.

Avez-vous encore des contacts avec Lilian aujourd’hui ?

J’en ai très régulièrement. En fin de compte, ce qui nous lie à Lilian est plus fort que ce que l’on imagine. Nous avons vécu l’horreur ensemble, nous pensions que nous allions mourir tous les deux. Nous avons vécu quelque chose de si fort que nous avons un lien indestructible. Il fait partie de ma vie.

Qu’est-ce que le 9 janvier 2015 a changé dans votre quotidien ?

Je ne suis plus du tout le même homme. J’aime l’aviation, j’aime les voitures, j’étais pilote de paramoteur, j’ai fait du parachutisme. J’ai mis tout ça de côté, je n’en veux plus. J’ai aussi des phobies que je n’avais pas avant. Je ne peux plus passer d’IRM, je ne supporte plus de rester allongée dans le noir, j’ai encore du mal à dormir… Je suis aussi devenue super vigilante. Par exemple, je ne peux m’empêcher de regarder constamment les écrans de surveillance, ou lorsque je vais au restaurant, je m’assois à une table où je suis sûr de pouvoir vérifier tout ce qui se passe autour de moi. Je suis toujours en alerte, c’est devenu presque instinctif.

Comment se porte votre imprimerie aujourd’hui ?

Cela a été très dur pendant 10 ans. Nous avons connu 5 ans de déficit et au moment où nous commencions à nous redresser, la période Covid nous a fait replonger. Mais cette année, pour la première fois, on retrouve un chiffre d’affaires équivalent à celui d’avant 2015. J’attends une confirmation, mais ce serait un bon signe de dire qu’après 10 ans, on s’en sortirait. À mon avis, mon entreprise est comme mon troisième enfant et le fait qu’elle avance me permet aussi d’avancer.

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