Les bibliothèques des cégeps disparaissent

À Montréal, le Salon du livre bat son plein. Des auteurs locaux présentent leurs dernières publications. Cependant, plusieurs de ces nouveaux ouvrages qui se sont retrouvés tôt ou tard dans les bibliothèques des cégeps ne rempliront pas leurs étagères. En fait, ces bibliothèques ne peuvent plus acheter de livres. Les étudiants doivent désormais se contenter des découvertes des années précédentes et des grands classiques.

À Saint-Hyacinthe, la bibliothèque du cégep fait la fierté des professeurs du département de littérature. Habituellement, nous avons toujours les derniers prix littéraires, les nouveautés ; les étudiants adorent ças’enthousiasme Daphné Lajoie, qui enseigne au cégep depuis 1994.

Pourtant, lorsqu’on parcourt les rayons, on se rend compte que les nouveautés sont désormais absentes. Nous n’achetons plus de livres. Tout cela date d’au moins l’année dernièreobserve l’enseignante, qui fait l’éloge de sa collègue bibliothécaire qui s’efforce toujours de faire vivre la bibliothèque.

Daphné Lajoie, literature teacher at Cégep de Saint-Hyacinthe. Photo: Radio-Canada/Alexis Gacon

C’est pas spectaculaire, une bibliothèque qui dépérit, mais c’est tristeajoute-t-elle.

Ce pôle culturel incontournable est donc sous respirateur. Le budget d’achat de livres – qui devrait augmenter à 31 000 dollars cette année compte tenu de la hausse des prix des livres – est passé de près de 20 000 dollars l’an dernier à moins de 5 400 dollars cette année. Et il ne reste déjà que 3 000 $ dans les caisses.

Cet été, les cégeps du Québec ont reçu une directive du ministère de l’Enseignement supérieur visant à réduire les dépenses liées à la réfection des bâtiments et à l’achat d’équipements. Les cégeps, qui doivent composer avec un budget réduit, décident désormais des dépenses qu’ils jugent prioritaires pour compenser ces restrictions budgétaires.

Ces coupes massives se font sentir dans tout le réseauaffirme Marie Montpetit, présidente-directrice générale de la Fédération des cégeps, qui soutient que le budget d’investissement de certains établissements a été réduit de moitié par rapport à ce qui avait été autorisé avant l’été par leur conseil d’administration.

Marie Montpetit, President and CEO of the Fédération des cégeps. Photo: Radio-Canada/Alexis Gacon

La Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec a mené un sondage auprès de ses membres dont les résultats démontrent que les autres cégeps ne peuvent plus acheter de livres. On évoque un budget réduit à 10% de celui de l’année dernière pour l’achat de livres.

D’autres le feront donner la priorité aux livres qui développent les compétences pédagogiques des élèves. Certains voulaient renouveler le mobilier vieillissant de la bibliothèque, mais cela est impossible.

Ça fait très mal

Les professeurs du département de littérature du Cégep de Saint-Hyacinthe se serrent les coudes, mais il n’y a pas de découragement.

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Literature teachers at Cégep de Saint-Hyacinthe. Photo: Radio-Canada/Alexis Gacon

Francis Favreau, professeur en fin de carrière, se dit qu’en coupant le budget réservé à la bibliothèque, le cégep disait que ça paraîtrait moins, que ça ferait moins mal. Cependant, pour les professeurs de littérature, ça fait très mal.

Pour mettre à jour le contenu de son cours, il souhaitait acheter un documentaire dont la licence coûte 375 $ pour un an. La bataille de Saint-Léonardc’est tout le contexte linguistique des années 1960 qui mène à la loi 101, c’était parfait.

Il a ensuite fait la demande d’achat au Cégep, qui lui a fait parvenir une série de questions pour justifier cette demande. Pour qu’il soit autorisé, il fallait que l’enseignant puisse expliquer que le film serait utile à d’autres départements et que son achat devait donc être prioritaire… Sa bataille de Saint-Léonard fut une défaite.

Nous ne l’avons pas commandé. Je me suis dit que si un collègue voulait acheter des BD pour sa classe, il ne pourrait pas le faire à cause de mon achat. On s’est dit qu’il était impossible d’avancer.

Francis Favreau, professor in the literature department of Cégep de Saint-Hyacinthe

Une autre enseignante, Florence Tétreault, indique que pour que ses élèves aient accès aux œuvres qu’elle souhaite qu’ils étudient, elle doit aller s’en procurer dans une bibliothèque de Montréal. Cela rend la tâche très compliquéese lamente-t-elle.

Et c’est tout l’écosystème du livre qui est impacté par ces coupes.

À Saint-Hyacinthe, la librairie L’Intrigue peut en témoigner. Cet automne, la copropriétaire, Louise Desautels, a appris que le Cégep annulait une commande dont le coût était entre 5000$ et 6000$.

>>>>>>Les deux copropriétaires de la librairie L'Intrigue discutent ensemble.>>>>>>

Louise Desautels (à droite) discute avec l’autre copropriétaire de la librairie L’Intrigue, située sur l’avenue de l’Hôtel-Dieu, à Saint-Hyacinthe. Photo : Radio-Canada/Alexis Gacon

Nous avons été informés le 30 septembre que le budget touchait à sa fin et que nous devions annuler les titres en commande et non encore livrés. [ …] En fin de compte, c’est tout l’accès à la littérature qui est impacté par cette situation. […] C’est la première fois que cela se produit.

Quel travail est indispensable ?

Les enseignants de ce cégep déplorent un saper la curiosité des étudiantsqui ont accès à moins d’œuvres récentes. On crée le petit feu d’amour qu’ils ont pour la littérature et on l’éteint ensuitedéplore la professeure Virginie Blanchette-Doucet. Cette situation crée également de la concurrence malsain lorsqu’il s’agit de décider quel travail est essentiel ou non. C’est une question absurde.said Daphné Lajoie.

Gaël, étudiant au cégep, se rend compte des changements à la bibliothèque et estime aussi que ces coupures peuvent nuire à la qualité de l’enseignement.

Il faut donner aux enseignants plus de ressources pour explorer de nouvelles choses, nous montrer des documentaires, de nouveaux livres, pour essayer de piquer la curiosité des jeunes. Et si nous supprimons ces ressources, nous nous tirons une balle dans le pied.dit-il.

Cédric, son camarade, ajoute ceci : Nous ne sommes pas à la place du gouvernement, mais quand on voit l’argent qu’il donne à l’industrie des batteries… […] D’un point de vue extérieur, on peut quand même dire que c’est dommage, car la santé et l’éducation sont les deux choses les plus importantes dans notre société.

Un exemple parmi d’autres

Pour Marie Montpetit, le gel des achats de livres est un exemple parmi d’autres des conséquences des restrictions budgétaires imposées par le gouvernement depuis la rentrée scolaire. Elle observe des effets significatifs dans plusieurs programmes à mesure que la population étudiante du cégep augmente.

Les laboratoires ne peuvent plus acheter d’équipement pour la formation en santé, soins infirmiers, sciences naturelles, thérapie respiratoire, etc.critique-t-elle, même si elle dit comprendre que le gouvernement est confronté à des contraintes budgétaires.

Gouverner, c’est faire des choix. Et faire des choix qui nous font reculer en tant que société sont nécessairement de mauvais choix.

Marie Montpetit, President and CEO of the Fédération des cégeps

Pour Yves de Repentigny, vice-président responsable du groupe cégep à la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec, ces coupures ne visent pas les bonnes cibles.

Les livres sont la culture. La culture est l’âme d’un peuple. Quand on coupe l’âme d’un peuple, on le conduit à sa ruine. Nous devons donc arrêter de penser avec un tiroir-caisse plutôt qu’avec notre cœur.

Yves de Repentigny, vice-président responsable du groupe cégep à la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec

Le FNEEQ identifie des difficultés majeures en dehors du gel de l’achat de livres dans les cégeps. C’est absurde. Des laboratoires sans équipements qui obligent un collège à refuser les admissions, un manque de mannequins pour étudier les soins infirmiers, un système de réfrigération qui fuit sans avoir les moyens de le réparer…

Par courriel, le Conseil du Trésor, qui a refusé nos demandes d’entrevues, a écrit qu’il demandait simplement aux ministères de respecter leurs budgets et qu’une révision des dépenses était en cours.

Le ministère de l’Enseignement supérieur, qui a également décliné notre demande d’entretien, indique que l’enveloppe MAOB (mobilier, matériel, outillage et bibliothèque) a augmenté pour le réseau, passant de 59 millions de dollars à 67 millions cette année. Il ajoute qu’une bonne gestion des finances publiques nécessite de prendre les mesures nécessaires pour faire respecter les budgets.

« Le ministère fait confiance aux établissements pour prioriser adéquatement les sommes mises à leur disposition. […] C’est aux établissements de définir leurs priorités entre la réalisation de projets d’infrastructures et l’achat d’équipements. »

La direction du Cégep de Saint-Hyacinthe a refusé notre demande d’entrevue, mais les enseignants assurent qu’elle est solidaire avec eux.

Si, demain, ces coupes budgétaires signifiaient qu’on arrêtait d’acheter des livres en première année du primaire, les gens iraient aux barricades. […] Mais à 18 ans, ce n’est plus vraiment important. […] Je pense qu’il est important de les motiver à relire pour qu’ils voient, lorsqu’ils sortent seuls, que la littérature est belle, et qu’ils aient envie d’y revenir.

Daphné Lajoie, literature teacher at Cégep de Saint-Hyacinthe

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