“Nous sommes tous aux prises avec quelque chose”

“Nous sommes tous aux prises avec quelque chose”
“Nous sommes tous aux prises avec quelque chose”

l’essentiel
Médecin et écrivain, Baptiste Beaulieu a récemment sorti « Tous les silences ne font pas le même bruit », un livre dans lequel il raconte son parcours d’homosexuel. Il a accepté de répondre aux questions des abonnés de Dépêche du Midi lors d’une discussion particulière à Bibent.

Médecin généraliste à Toulouse, Baptiste Beaulieu a commencé à écrire avec son premier livre, « Alors voilà : Les 1001 vies des urgences », en 2013, après le blog qu’il tenait en tant que blog internet à l’hôpital d’Auch. Il en est aujourd’hui à son 14e ouvrage, « Tous les silences ne font pas le même bruit », récemment publié chez L’Iclonocaste. L’aide-soignant, qui est également écrivain, mari et père d’un petit garçon de 15 mois, parle ouvertement de son parcours d’homosexuel, longtemps douloureux et épuisant. Il a accepté de répondre à nos questions et à celles de six abonnés de La Dépêche du Midi, réunis à Bibent ce jeudi pour un échange privilégié.

La Dépêche du Midi : Vous vous aventurez sur des terres plus personnelles, pour lutter contre le racisme et l’homophobie. Comment trouvez-vous le temps d’écrire ?

Baptiste Beaulieu : Aujourd’hui, c’est devenu très difficile. Je travaille désormais à temps partiel dans mon bureau. Chaque matin, je travaille et l’après-midi, j’écris. J’ai besoin du brouhaha, de me noyer au milieu de la vie, d’attraper des bribes de mots. Je vais souvent au café Ombres blanches. Quand on est médecin, on peut souffrir de solitude car les patients ne sont pas censés être amis. Il y a là des habitués, qui viennent aussi écrire. Certains sont devenus des collègues que j’ai plaisir à retrouver.

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La Dépêche du Midi : Dans votre livre, vous écrivez qu’être gay fait de vous une meilleure personne. De quelle manière ?

Je pourrais le résumer par une phrase de Jean Genet : « Si quand les noirs sont persécutés, on ne se sent pas noir, si quand on méprise les femmes, ou les ouvrières, on ne se sent pas femme ou ouvrière, alors, toutes vos dans la vie, tu auras été un pédé pour rien. Je pense que j’ai écrit ce livre pour ne pas être un pédé pour rien. Je défends aussi d’autres combats que l’homophobie. Lorsque nous faisons l’expérience d’être une minorité, nous sommes plus sensibles à la souffrance des autres.

Dans la cave de Bibent, Baptiste Beaulieu et six abonnés de La Dépêche ont eu un échange privilégié.
DDM – Nathalie Saint-Affre

Camille Viard, 36 ans, assistante sociale : ce que j’aime dans vos publications, c’est que vous vous appuyez sur des faits concrets, réels. Mais c’est effrayant de voir où se situe la société sur les problèmes de violence domestique, d’égalité des sexes, d’homophobie…

De triste consultation en triste consultation, on se dit que les femmes n’ont pas la vie facile. Mais je suis un scientifique donc j’ai regardé l’Insee et les statistiques. Et cela confirme les scénarios que je vois au bureau. Résultat, un matin, on se réveille et on est en colère pour toutes ces femmes, qui portent trop de choses. Nous sommes deux papas, nous travaillons à 50/50 à la maison et je n’ai jamais été aussi fatigué de ma vie. Que font les femmes qui ont plusieurs enfants, plus, parfois, un gros bébé qui est leur mari ? (rires) C’est compliqué…

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Sébastien Sacarot, 45 ans, ingénieur aéronautique : Le début de votre livre raconte exactement ce que j’ai vécu : le rejet à l’école, l’angoisse des cours de sport… Ça marque une vie, ça construit aussi une personnalité différente, qui s’éloigne de la masculinité toxique. . J’accepte mon homosexualité mais j’ai l’impression de faire campagne tous les jours. La société ne progresse pas beaucoup, il y a encore beaucoup d’hypocrisie…

Mes livres se vendent très bien, mais je sais qu’ils sont beaucoup lus par des personnes concernées, des personnes LGBT et des femmes. Ce que je voudrais, c’est que les femmes les donnent à leurs maris et les obligent à les lire. Je parle beaucoup de la condition des femmes et de la condition des hommes. La façon dont on nous apprend à devenir des garçons est déplorable. Nous nous construisons sur la base d’injonctions contradictoires, impossibles à retenir pour un cerveau adolescent : nous devons à la fois détester le féminin, le rose, la gym, etc., et proclamer notre hyper-désirabilité pour le sexe féminin.

N’y a-t-il pas une autre façon d’envisager la masculinité ? Être un homme, c’est avant tout assumer ses responsabilités, supporter la charge mentale à parts égales, soutenir sa femme lorsqu’elle tombe malade, aller chez le pédiatre, etc. Mais cela demande beaucoup plus d’efforts.

Six abonnés ont posé leurs questions à l’écrivain.
DDM – Nathalie Saint-Affre

Patricia Sacarot, 68 ans, retraitée : Comment écrivez-vous ? Dans quel contexte le faites-vous ?

J’ai pris une très mauvaise habitude. J’ai commencé à écrire à l’hôpital quand je passais d’une chambre à l’autre, quand je me sentais dépassée par ce que je voyais, par la façon dont les soignants prenaient soin des patients, et j’écrivais sur mon téléphone. Je ne sais pas comment écrire autrement. Tous mes romans ont été écrits ainsi.

J’utilise une application, c’est comme envoyer un très long message texte de 300 pages à quelqu’un. Cela me permet de tout faire. Dès que je pense à quelque chose, je peux l’écrire. C’est très obsessionnel, l’écriture. Quand on prépare un livre, on n’y pense que pendant des mois, et tout ce que l’on voit et entend peut le nourrir. Quand on a une bonne idée, on ne la lâche pas.

Camille Viard : Que peut-on faire pour bien éduquer nos garçons sur les questions d’homophobie notamment ?

Je me pose beaucoup cette question avec mon fils, qui est encore petit. Avec deux papas, j’ai peur de ce qu’il va entendre à l’école. Lorsque nous avons commencé à devenir parents, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire des albums pour enfants, ils servent d’outils pédagogiques et se vendent très bien. Inconsciemment, j’ai fait ça pour que lorsqu’il ira à l’école, il soit protégé et que les professeurs s’occupent de lui en disant « Attention, c’est le fils de Beaulieu » (rires). Sérieusement, je ne sais pas ce que nous pouvons faire. Cela me décourage un peu.

Camille Viard : Même si nous encourageons les échanges et rapportons des livres comme le vôtre à la maison, ils passent les trois quarts de leur temps à l’école…

Cela me rappelle une patiente adolescente, âgée de 13 à 14 ans, qui est venue dans mon cabinet médical et se scarifiait. Elle se faisait beaucoup de mal. J’ai tout de suite su que son mal-être venait de son homosexualité, qu’elle avait du mal à accepter. Il se trouve que je connaissais sa famille, dans laquelle cela ne posait absolument aucun problème. Cela m’a fait réfléchir.

Que se passe-t-il dans une société pour un enfant qui a grandi dans une cellule familiale où ce n’est pas un problème et qui se déteste autant ? Cela veut dire qu’il y a une force sociétale qui est inconsciente et qui pousse les enfants à se dire : “C’est horrible ce que je suis.” Nous sommes une société démocratique, nous aspirons tous à être libres. La liberté nécessite l’analyse des courants de domination, conscients et inconscients.

Betty Viard, 61 ans, retraitée : Elle reflète toute la violence qui règne dans notre société, notamment derrière les écrans. « Les gens sont beaux », c’est le titre d’un de vos livres. Pourquoi ne pas accepter chacun tel qu’il est ?

D’autant plus que nous sommes tous différents. Si vous montez dans une rame de métro, il n’y a pas une seule personne qui ne lutte en silence, seule dans sa salle de bain, avec quelque chose dont elle ne parle à personne. Cela peut être plein de choses différentes : le surpoids, l’eczéma, un patron fou… Nous sommes tous aux prises avec quelque chose. Peut-être que si on se le disait, on se sentirait moins seuls.

Patricia Sacarot : Pourquoi les gens sont-ils si intolérants ? Qu’est-ce qui les dérange ?

Pendant des années, j’ai essayé de me réfugier dans le « Born this way », un argument très courant dans la communauté gay qui signifie : « Je suis né comme ça, je n’ai pas choisi, alors ne me frappe pas. « Je reviens sur cet argument en disant : même si j’avais choisi, de quel droit avons-nous venir regarder ce que font deux adultes consentants dans leur chambre ? En conséquence, nous déplaçons le sujet de la sexualité vers la liberté individuelle.

Les pays réactionnaires s’emparent de ces sujets. Cela commence aux États-Unis, où ils s’attaquent au mariage pour tous, aux personnes trans et à l’avortement. En Russie, on interdit aux femmes de dire ouvertement qu’elles ne veulent pas d’enfants. Aux hétéros qui ne se sentent pas concernés, j’ai envie de leur dire que tout le monde est concerné par les libertés individuelles.

 
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