Enwèye au Salon ! | La presse

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L’autre après-midi, je travaillais dans un café de Villeray. Le lieu est inspirant, agrémenté de bibliothèques. A toutes les tables, les gens travaillaient ou lisaient. A la grande table rectangulaire : une douzaine de femmes, des piles de livres, une discussion animée et brillante. C’était un club de lecture ! Pendant une heure, les propos éclairés de ces dames ont illuminé l’espace. Tout l’amour de la lecture était magnifiquement concentré dans ce café ce mardi-là.

Publié à 7h00

Il y aura aussi beaucoup d’amour pour la littérature au Palais des congrès de Montréal dans les prochains jours, alors que s’y tiendra le Salon du livre.

Je ne comprends pas ceux qui snobent ces salons. Si la lecture est une fête, les salons en sont le cadre joyeux. Nous aimons tellement les livres et la lecture ici que nous avons développé une véritable clientèle de stars, y compris dans la littérature jeunesse. Stars et artisans signent des autographes, des files enthousiastes et amoureuses se forment devant les kiosques. Nous saluons le travail et les paroles des auteurs. Il y a quelque chose d’émouvant à voir cette dévotion.

Cela se passera à Montréal comme cela s’est produit au Lac-Saint-Jean, à Rimouski, en Estrie, au Salon des Premières Nations, comme cela se passera aussi au Salon du livre jeunesse à Longueuil, puis en Outaouais, à Trois-Rivières. Rivières, sur la Côte-Nord, en Abitibi et au Québec.

Les écrivains sont attendus et vénérés partout. Partout, l’ambiance est exceptionnelle, entre foire et recueillement. Tables rondes et rencontres font monter d’un cran l’enthousiasme des lecteurs.

L’avez-vous remarqué ? Il y a quelque chose dans les livres et la littérature en ce moment. Un buzz discret, mais bien réel. Une joyeuse communion. Les salons se multiplient, se diversifient et se vendent. Les librairies bourdonnent d’une vie discrète mais palpable. Nous organisons des événements dans les bibliothèques publiques où les listes d’attente pour emprunter des œuvres québécoises sont interminables. Même le rayon livres des supermarchés a des allures de salon de best-sellers et de guides pratiques. Les lancements illuminent les librairies locales, il y a une foule comme jamais. C’est sans compter les lecteurs qui, chez eux, dans les transports, au café, sont plongés dans des mondes incroyables, démentant les clichés sur les temps chargés.

Pourquoi cet enthousiasme ?

Le secteur du livre est le seul secteur culturel qui n’a pas décliné ces dernières années, bien au contraire. Alors que les arts du spectacle, de la chanson au théâtre, en passant par le cinéma, sont à la peine, le livre se porte à merveille. Nous lisons comme jamais auparavant. Cette condition est-elle une continuation de l’effet pandémique ? À cette époque, le livre était (re)devenu un allié, un ami. Nous y avons pris goût, découvert des univers, des auteurs dont nous souhaitons prolonger l’exploration.

Est-ce un camouflet à une époque qui avance trop vite ?

Lire demande du temps, et que volons-nous lorsque nous lisons ? Les réseaux sociaux, horriblement chronophages.

On se retire dans ces œuvres, on leur consacre des heures solitaires, mais on se sent partie d’une communauté, celle des lecteurs, puissante et plus grande que nous. C’est un héroïsme banal, un geste de résistance quotidien.

Cependant, nous avons parcouru un long chemin.

Nous sommes une jeune entreprise, nos racines sont courtes. L’éducation de masse est encore pour nous une conquête récente à l’échelle de l’Histoire. L’analphabétisme fonctionnel existe encore dans certaines couches de la société. Il n’y a pas si longtemps, les bibliothèques n’occupaient pas des murs entiers dans nos maisons. L’engouement autour de la lecture est relativement récent.

C’est peut-être aussi parce que nous le chérissons. Nous sommes un peuple de peu de mots qui avons découvert tard dans la vie le pouvoir et le plaisir de lire. Les mots sont des outils pour comprendre le monde. Comprenez-le et éventuellement changez-le. Une fois qu’on y a goûté, difficile de prendre du recul et d’envisager un monde où les seuls mots seraient ceux de X.

Cependant, certains voudraient remettre un frein à ce pouvoir. La tentation de censurer et de boycotter les livres constitue un danger imminent.

Mais qui sont ces censeurs modernes qui ne font pas confiance à l’intelligence et au jugement des gens ? Un lecteur sait faire le tri, comparer les commentaires, les évaluer, les juger avec son libre arbitre.

Le dernier épisode de censure s’est produit dans les cégeps, où les jeunes adultes de 17 à 19 ans refusent désormais de considérer certains titres, dont un roman de Michel Jean sur les pensionnats autochtones, Le vent en parle encoredont le contenu – un viol et un suicide – a été jugé trop dur. En , la FNAC annule les événements autour du test Allah n’a rien à faire dans ma classeaprès que des menaces aient été proférées.

Dans quel monde de licornes vivons-nous ? Les livres sont justement là pour nous éduquer, nous apprendre à affronter le monde et ses défauts, nous armer, nous aider à le réparer. Cet appel à la censure est puant et dangereux, tout autant que l’autocensure de plus en plus courante chez les enseignants, craignant d’offenser des élèves aux sensibilités victimaires, et d’être dénoncés.

Nous devons protéger les enseignants et la liberté d’éducation des horreurs des nouveaux censeurs, car ce sont des passeurs de liberté. Et sensibiliser les jeunes, si possible, aux joies et aux bienfaits de la lecture aventureuse.

Les lecteurs dérangent, parfois doucement, parfois violemment. Ce sont des combattants pacifiques de la liberté d’expression.

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