Livre –
Adrien Goetz fait son tour des musées de France en 120 étapes
L’homme veut donner de la visibilité à des villes et des lieux méconnus. Le ton reste clément. Nous avons affaire à une personne notable.
Publié aujourd’hui à 15h52
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« Je suis née à Caen et j’ai appris à regarder grâce aux ateliers pédagogiques du Musée des Beaux-Arts… » Le ton est donné. A 58 ans, Adrien Goetz a fréquenté de nombreuses autres institutions françaises depuis. L’homme en a fait un métier, avant de résumer son parcours dans un livre désormais publié chez Grasset. Il proposera à ses lecteurs (séduits autant par ses romans ou ses polars que par les articles hebdomadaires du Figaro) cent vingt « balades » dans des institutions essentiellement régionales. Cent vingt comme les jours de Sodome selon le marquis de Sade. Il a fallu faire des choix, même si certaines entrées résument plusieurs lieux d’une même ville. Pourquoi avoir élu celui-ci et pas celui-là ? Mais par l’abondance des richesses, bien sûr ! Et ce même si l’auteur reste plus enclin à l’ancien qu’au moderne. Public et privé. D’où un Louvre de Lens et un Pompidou Metz, mais pas de fondation LUMA ni de Château Lacoste. Des lieux sur lesquels il aurait pourtant beaucoup à dire, à critiquer, voire à calomnier.
Le voyage se déroule par région, dans un pays macrocéphale (et non plus « macroncéphale »). Le but ici est de donner de la visibilité à des villes qui n’en ont plus beaucoup. On n’a jamais autant parlé de décentralisation chez nos voisins, alors que la « diagonale du vide » est désormais un gouffre. Alors allez visiter les villes où Adrien Goetz décrit les merveilles bien cachées dans des lieux qui crient parfois à la pauvreté ! Il faudrait donc s’en remettre à ce qui reste du réseau SNCF de second ordre à Carpentras, où la Bibliothèque Inguibertine vient d’être réaménagée. Au Musée des Beaux-Arts d’Agen, où tout tourne autour d’un noyau de pruneau gallo-romain. Ou encore à Saint-Germain-en-Laye, dont le château abrite une collection d’archéologie nationale elle aussi quasiment fossilisée. L’écrivain nous donne envie. C’était en fait son intention. Il faut arrêter de considérer les musées comme des « instruments de distinction », comme au temps du très scrogneugneu Pierre Bourdieu. “Je n’oublierai jamais ma découverte de la “tapisserie” de Bayeux, un choc tellurique, avec l’école à huit ans, et un peu plus tard mon éblouissement d’enfant aux Hospices de Beaune.” Et pourtant Goetz n’y a-t-il pas vu vers 1960, comme moi, les religieuses avec leurs cornets dessinés au XVe siècle par Rogier van der Weyden, qui y a laissé son plus beau polyptyque !
“Je n’oublierai jamais ma découverte de la “tapisserie” de Bayeux, un choc tellurique, avec l’école à huit ans, et un peu plus tard mon éblouissement d’enfant aux Hospices de Beaune.”
Adrien Goetz
Adrien Goetz ne fait pas à chaque fois un inventaire, comme s’il devait remplacer les guides Michelin. Il choisit subjectivement quelques œuvres, les replace dans leur contexte et donne un aperçu de l’histoire des lieux. Une histoire parfois en mouvement. J’ai ainsi connu trois Musées des Beaux-Arts de Nantes successifs, tous des échecs malgré un très bon stock. Des mues ont eu lieu avec succès à Grenoble, Colmar et Lyon. Des miss (ici, je parle) à Aix-en-Provence ou à Bordeaux. Le problème, c’est qu’un décor dure désormais trente ans. L’architecture contemporaine devient obsolète aussi vite que les ordinateurs. Lille, qui a marqué la renaissance des murs colorés vers 2000, a rapidement pris des allures de ruine. Il en va de même pour les Augustins de Toulouse, ville où Goetz préférait évoquer la rénovation de la Collection Bemberg. Et je ne suis pas sûr que le Petit Palais d’Avignon ait enfin aussi bien vieilli. Je suis moins indulgent qu’Adrien quand il s’agit du « goût des années 70 ».
L’auteur a vu beaucoup de choses rares. J’avoue donc que je ne connais pas le musée Paul Dini de Villefranche-sur-Seine, le musée Baron Martin de Gray ou encore le musée du Collège royal et militaire de Thiron-Gardais, sauvé par Stéphane Bern. Mais vu mon âge, j’ai visité il y a longtemps le musée Bonnat-Helleu de Bayonne, qui « semble frappé d’une malédiction ». Ferme. Toujours fermé. L’établissement avec ses magnifiques collections avait déjà été restauré une fois. Adrien Goetz a des mots encourageants pour presque tout le monde. Il s’agit plus d’encourager que de distribuer des bonnets d’âne. Et puis, il ne faut se brouiller avec personne.
Parce qu’il faut le dire. L’écrivain fait partie des notables. Il enseigne à la Sorbonne et à l’Ecole des Chartes. Aujourd’hui, l’homme fait également partie de l’Académie des Beaux-Arts, dont les membres sont quasiment immortels. Il dirige la Bibliothèque Marmottan. Tout cela en donnant des romans dont certains (« Une petite légende dorée », « Le Coiffeur de Chateaubriand ») m’ont semblé excellents, alors que ses polars ne valent, à mon sens, rien. Que veux-tu? Goetz est devenu un pur produit de ce que l’on appelle « l’excellence française » au-delà du Jura après avoir étudié au Collège Louis-le-Grand puis à la Normale Sup’. Aussi couvert de décors qu’une vache valaisanne combattant en cocardes, il dirige depuis 2007 « Grande Galerie », le magazine trimestriel du Louvre. Autant dire que ce monsieur ne peut pas se permettre de faire des détours. Il aurait le monde des musées français sur son dos. Un univers qui ne brille pas collectivement par sa largeur d’esprit. Même si Louis « Mes musées en liberté », dit bien sûr le titre choisi par l’auteur. Oui, mais en liberté conditionnelle.
Pratique
« Mes musées en liberté, 120 balades artistiques en France » d’Adrien Goetz, Editions Grasset, 352 pages.
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Né en 1948, Etienne Dumont étudié à Genève qui lui furent de peu d’utilité. Latin, grec, droit. Avocat raté, il se tourne vers le journalisme. Le plus souvent dans les sections culturelles, il travaille de mars 1974 à mai 2013 à la Tribune de Genève, commençant par parler de cinéma. Viennent ensuite les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le constater, rien à signaler.Plus d’informations
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