Laurence Devillairs, la beauté du voyage

Laurence Devillairs, la beauté du voyage
Laurence Devillairs, la beauté du voyage

Tout commence avec un vieil homme appuyé sur le bastingage d’un bateau. Le navire entre dans le fjord d’Oslo. La mer, la forêt. Le paysage envahit le silence. Elle le voit; il voit le monde. Beauté et fragilité. Rien ne dure. La philosophe Laurence Devillairs compte ce moment parmi les plus forts de sa vie. Une certitude : « Tout cela en vaut la peine. »

Dans « La Splendeur du monde », le spécialiste de Descartes et Pascal part d’un constat : après les défaites successives de l’espoir dans tant de domaines, dont celui de la paix, la beauté demeure comme l’une des rares possibilités de se dépasser. L’attention portée à la magnificence de l’univers est une source inépuisable de bonheur. Une éthique se dessine. Elle nous oblige à ne pas séparer les vivants et les morts, la nature et la culture, le présent et le passé, à nous ouvrir à un tableau de Van Gogh, un fragment de Pascal, une mer bleue, un vers de Rimbaud.

Repenser notre relation au quotidien

Qu’est-ce que « splendide » ? « Splendeur » se situe entre « beau » et « sublime ». Nous sommes en feu, sans être écrasés. Dans une succession de textes personnels, Laurence Devillairs nous invite à repenser notre rapport quotidien à ce qui nous entoure. Elle analyse des expériences esthétiques et livre des réflexions philosophiques. Le respect de la Terre nécessite une conscience de la splendeur du monde.

Du fjord d’Oslo, au sud de la Norvège, à la basilique San Miniato al Monte, sur les hauteurs de Florence, la normalienne et agrégatrice montre à quel point il faut se débarrasser de soi pour regarder la richesse de l’univers. Le manque d’effort, le conformisme, le rapport au temps nous empêchent de voir ce que nous voyons. Il faut réapprendre à regarder chaque instant, pour ne pas rater les offres de la nature et de la culture.

Aucun goût pour la grandiloquence

Nous sommes faits de ce qui nous motive. Laurence Devillairs : Baudelaire, les Sex Pistols, Hegel. « Nous savons qui nous sommes vraiment dans ce qui nous ravit. » L’auteur raconte comment elle est sortie d’un état dépressif en apercevant un corbeau noir sur un toit rouge ; comment la rencontre manquée avec les baleines lui a appris que la nature n’est pas là pour répondre à nos désirs ; comment le désir de voir ce que les autres ont vu nous fait manquer nos propres rencontres avec la beauté ; comment nous devons apprivoiser ce à quoi nous tournons immédiatement le dos.

Le reste après cette annonce

Laurence Devillairs a ainsi appris à apprécier les œuvres souvent inquiétantes de l’artiste néerlandais Karel Appel. Aucun goût pour la grandiloquence. Le philosophe se souvient d’un arbre tordu par le vent, planté sur le sol aride des îles d’Aran, en Irlande, au large du Connemara ; elle se souvient du chant des martinets lui faisant oublier le décor sans charme de la gare Montparnasse à Paris.

Une institutionnalisation de la laideur

La laideur est partout. L’essayiste parle même d’une institutionnalisation de la laideur avec les écoles, les centres-villes, les hôpitaux. Pour se laisser surprendre par la beauté, il faut mettre de côté ses convictions et ses jugements ; voyager, comme Nicolas Bouvier, sans plan préétabli ; laissez toute la place aux éclats de silence. « La splendeur du monde » nous appelle au même mouvement : dépaysement, décentrement.

L’auteur de « Être une bonne personne » (PUF ed., 2019) explore, dans ses essais, des thématiques à chaque fois différentes. De la gentillesse au faste, on trouve le moyen de se tenir droit. Faites le bien, voyez la beauté. Soyez à la hauteur. La vie est ce à quoi on ne s’attend pas. La philosophie de Laurence Devillairs est faite de détours et de retours : ne jamais suivre son propre chemin.

beauté », de Laurence Devillairs, éd. Stock, 198 pages, 19,50 euros.

© Astrid di Crollalanza

 
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