Les libraires réclament une « baisse drastique de la production » de livres

Les libraires réclament une « baisse drastique de la production » de livres
Les libraires réclament une « baisse drastique de la production » de livres

1 200 personnes, dont 700 libraires, se retrouveront les 16 et 17 juin à Strasbourg pour les Rencontres nationales de la librairie. Organisés tous les deux ans, ils permettent aux professionnels de se retrouver, de mettre en lumière la situation des métiers du livre, mais aussi d’alerter les pouvoirs publics et les autres acteurs de l’écosystème sur les enjeux du moment.

Paradoxalement, les années Covid restent dans les mémoires de la profession comme une respiration : la reconnaissance du statut de commerce essentiel et le fort soutien public apporté aux librairies ont aidé les commerces indépendants à traverser cette période sans problème, voire sans problème. A l’inverse, les années à venir s’annoncent plus complexes, prévient le SLF, pointant plusieurs causes.

Un métier attractif mais fragilisé

Environ 600 librairies ont été créées ces cinq dernières années, note le SLF, dont la moitié dans des communes de moins de 20 000 habitants. Un vrai ” librairie-boom » qui témoigne de l’attractivité du métier, entouré d’une aura – justifiée – de commerce générateur de lien social, à forte valeur ajoutée. Ainsi, la moitié des créations est due à des personnes issues du monde du livre, l’autre à des particuliers en reconversion professionnelle.

Pour autant, cette image positive ne doit pas masquer une réalité moins engageante : « Aujourd’hui, dans les librairies, on passe notre vie à remplir et vider des cartons, comme dans un film de Chaplin où la chaîne s’emballe », résume crûment Amanda Spiegel, de la librairie La folie de l’encre de Montreuil, vice-président de la SLF et président de sa commission commerciale.

En cause, la surproduction de livres, avec une augmentation du nombre de livres publiés estimée par les professionnels à 300 % par rapport aux années 1980. “Sur la même période, la population n’a augmenté que de 20 %, tandis que le lectorat s’est stabilisé, voire a diminué. Les conséquences ne sont pas du tout vertueuses.»

Pauvreté des auteurs, diminution des tirages, rotation élevée des livres – et des titres qui disparaissent plus vite des tables -, flux de transport incontrôlables et donc empreinte écologique… Les maux provoqués par cette fuite en avant de la production seraient nombreux.

Il faut que les éditeurs, les distributeurs et les diffuseurs soient conscients de ces effets non vertueux : une baisse drastique et collective de la production serait très saine.», annonce Amanda Spiegel, «cela nous permettrait de faire notre travail de manière plus qualitative que quantitative« .

Un redoutableeffet ciseaux»

Parmi les autres menaces qui pèsent sur la profession figurent l’augmentation du coût de la vie et les charges imposées aux libraires qui, conjointement, exercent un «effet ciseaux» sur leurs finances. L’inflation qui s’est manifestée ces derniers mois a eu un impact sur le panier moyen des acheteurs de livres, dans un contexte de baisse d’enthousiasme pour la lecture.

Le chiffre d’affaires des librairies n’a donc pas eu tendance à augmenter, alors que la marge générée reste toujours autour de 1 %, voire 0,4 % pour les librairies dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 500 000 €.

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Or, les librairies ont besoin de libraires pour fonctionner : très qualifiés (souvent avec un bac +5), engagés dans une «profession d’investissement totale, physique et mentale», Ces professionnels sont généralement mal payés. Les frais de personnel représentent néanmoins entre 18 et 20 % du chiffre d’affaires d’une librairie, contre 12 à 14 % pour les grands magasins culturels, 10 % pour les supermarchés et hypermarchés et plutôt 5 % pour les pure player. assure le SLF.

Alexandra Charroin-Spangenberg, duLibrairie parisienne(Saint-Étienne), vice-président du SLF et chef de la commission sociale, indique que «réduire le nombre d’employés dans les plus petites librairies“, est déjà efficace et risque de se propager “aux moyennes et grandes structures si aucune mesure n’est prise« .

Même s’ils sont faibles, les salaires en librairie sont indexés sur les montants du Smic : depuis 2021, la hausse des salaires, bien que «normal et justifié», atteint + 10 %. Ajouté aux augmentations des coûts de l’énergie (+150%) et du transport des livres (+13%), le tout devient complexe à résoudre pour ces points de vente de livres.

Une étude réalisée par le cabinet Xerfi, présentée lors du RNL, assure que cela «effet ciseaux» pourrait conduire, à chiffre d’affaires et marge constants, à un déficit dans la plupart des librairies, d’ici 2025. «Pour éviter cette situation, il faudrait augmenter de 5 à 8 % le chiffre d’affaires, selon la taille des entreprises, au cours des deux prochaines années, ce qui paraît hautement improbable.», note Amanda Spiegel.

Un appel à certains éditeurs

Notre priorité est de rechercher des leads» pour dégager cet horizon, poursuit Anne Martelle (Librairie Martelle, à Amiens), présidente du Syndicat des librairies de France. “Nous pouvons augmenter la productivité et économiser de l’argent en interne, mais nous sommes aujourd’hui arrivés au bout de ces voies.“, elle croit.

L’organisation se tourne désormais vers les maisons d’édition, notamment celles qui dominent un secteur particulièrement concentré. “Les 12 premières maisons d’édition en France représentent 87% du marché, les 4 premières maisons d’édition représentent 55% du marché. Avec ces chiffres, on a presque déjà tout dit», a récemment rappelé Régine Hatchondo, présidente du Centre national du livre, devant les sénateurs.

La loi Lang a donné une responsabilité très importante aux éditeurs [qui fixent le prix de vente du livre, NdR]qu’ils ont tendance à oublier», assure le président du SLF. La plainte récurrente de l’organisation, formulée depuis plusieurs années, tient donc toujours : elle prône la généralisation de la remise minimale de 36 % accordée aux libraires.

Un tarif plancher, déjà »pratiqué par Editis et Madrigall, mais pas par Hachette ou Média Participations. Pour eux, cela représente une goutte d’eau dans l’océan, mais une aide très importante pour les libraires. On se demande ce qu’ils attendent pour rejoindre le mouvement», constate Anne Martelle.

Une exigence d’autant plus légitime, pour la profession, que les libraires investissent pour répondre aux clients, promouvoir les livres, proposer des événements autour de certains titres… »Cet aspect n’est pas valorisé par la distribution, et il est anormal que les remises accordées aux libraires soient inférieures à celles des autres circuits de vente, où les ressources humaines sont moins nombreuses, moins compétentes.», ajoute Amanda Spiegel.

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Parallèlement à ce taux d’actualisation minimum, le SLF souhaite briser le «plafond» du tarif de 40% de remise, environ, accordé aux moyennes et grandes librairies, et obtenir un tarif plus élevé, jusqu’à 45%, «qui serait accordé aux autres libraires« . Par ailleurs, un «prise en charge des frais de livraison au bureau [les nouveautés, NdR]» est demandée par le SLF, qui rappelle que «les libraires s’occupent du transport retour« .

Limiter la réduction aux communautés

Autre revendication persistante du Syndicat national des librairies, qui prend des allures d’urgence vitale en 2024 : la limitation de la réduction qui peut être accordée aux collectivités par les librairies, pour l’achat de livres de bibliothèque. Actuellement fixé à 9 %, ce taux de remise serait quasiment obligatoire pour qu’une librairie espère décrocher le marché.

À cela, il faut ajouter les 6% remboursés sous forme de droits d’emprunt. [pour rémunérer auteurs et éditeurs, mais aussi financer la retraite complémentaire des auteurs]sur lequel nous sommes tout à fait d’accord», précise Anne Martelle. “Mais la marge est ainsi réduite de 15 %, sans compter les frais de transport et le temps passé par le libraire ou son employé.»

L’organisation professionnelle réclame donc une réduction du taux d’actualisation possible à 5%, “le niveau des réductions pouvant être accordées aux particuliers« . Le coût pour les collectivités, universités comprises, serait de 6 millions d’euros par an, selon les estimations du SLF, mais le gain atteindrait une marge de 1 % en moyenne pour les librairies : «Nous comprenons l’importance du sujet pour nous», ajoute le président.

La ministre de la Culture Rachida Dati, qui devrait ouvrir les Rencontres nationales de la librairie de Strasbourg, sera sûrement sollicitée pour s’exprimer sur le sujet, ou en tout cas pour témoigner de l’attention portée par son ministère à la situation du secteur.

Photographie : laLibrairie de la Nouvelle-Orléans(illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0)

 
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