« Il ne rêvait que de paysages et de lions au bord de la mer », de Gérard de Cortanze

« Il ne rêvait que de paysages et de lions au bord de la mer », de Gérard de Cortanze
« Il ne rêvait que de paysages et de lions au bord de la mer », de Gérard de Cortanze

Il revient ici sur les derniers jours de l’écrivain. “Selon vous, que se passe-t-il lorsqu’un écrivain de plus de soixante ans se rend compte qu’il ne pourra plus jamais écrire les livres qu’il a juré d’écrire ? Ou accomplir ce qu’il s’était promis d’accomplir à vingt ans ? C’est la question centrale du roman qui se déroule du 12 juillet 1960 au 1er juillet 1961. Aimait-il les femmes ? Il perd sa libido. A-t-il vécu pour écrire ? Il n’en peut plus. Est-ce qu’il buvait beaucoup ? L’alcool lui est interdit.

Le roman commence à Cuba. Hemingway recherche son chien Black Dog. Il le cherche partout et sa femme lui rappelle très pensivement que l’animal est mort depuis trois ans. C’est le début des troubles mentaux.

Un roman assez érudit sur Ernest Hemingway ?

Au début on craint un roman Wikipédia, c’est-à-dire plein de détails biographiques qui ralentiraient l’action. Cortanze ne tombe pas dans ce piège bien qu’il connaisse les rebondissements de son sujet sur le but des doigts. Il a la bonne idée de resserrer le roman, de le concentrer sur deux personnages : Ernest et sa femme, Mary Welsh. Elle le protège, le suit, l’admire, l’aime, endure les cris homériques et le désespoir sans fin. Ils quittent Cuba pour retourner aux États-Unis et tentent de soigner l’écrivain qui voit des agents du FBI partout : dans les bars, dans les rues, dans le jardin de leur maison, dans la maison elle-même. Ils se présentent sous la forme de personnages de romans. Et venez narguer Ernest et l’espionner.

Et il prend soin de lui ?

Il est interné à la Mayo Clinic de Rochesterune clinique psychiatrique, sous un faux nom car il n’est pas question de révéler à la presse que le prix Nobel de littérature est devenu fou. Là, il subit des électrochocs (la description donnée par Cortanze est frappante). Et Marie est toujours là. Cette histoire d’amour est une grande réussite de ce roman, non pas une passion passagère mais un amour profond, sincère, entier. Mary est beaucoup plus jeune qu’Ernest et elle suit ses folies, ses dépressions, ses mouvements d’enthousiasme.

Nous avons affaire à une personne bipolaire de plus en plus paranoïaque, malade donc et furieusement attachante.. Un autre personnage important est Hodward Home, le médecin-chef de la clinique Mayo. C’est un peu un savant fou, dur avec son patient, prévenant avec Mary. Est-il un agent du FBI comme le croit l’écrivain ? Mais sa présence permet de bons dialogues sur l’écriture, la critique (ils le tiennent pour acquis) et l’art en général.

Guérir de son ” échec à écrire »

Il ne lui manque qu’un chapitre pour terminer Paris est une fête. La Panne d’encre l’obsède et Gérard de Cortanze (je l’ai dit : 90 livres à son actif) décrit le désarroi. Cela commence par une difficulté croissante à trouver le mot juste, le synonyme parfait. Un travail de mémoire donc. Ensuite cela continue avec une perte de résistance. L’écriture est une activité physique. Ernest se levait à cinq heures du matin et écrivait tous les jours de six à midi. C’est la discipline qui doit aiguiser le talent. La discipline de l’écrivain, parfaitement décrite ici. Pourtant, depuis plusieurs mois, Ernest ne se réveille plus et se traîne. C’est un cercle vicieux.

Trop fatigué pour se soucier du reste de la vie, il n’avait plus d’émotion, plus de perspective ; il avait surmonté la souffrance

C’est un roman aussi fort qu’un verre de whiskydur comme un abandon, bouleversant comme un amour solide et passionnant comme une biographie romancée. Une réussite.

 
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